jeudi 19 octobre 2017

Quand Loire entre en cène



Prenez et buvez !



Soucieux de rétablir la vérité, désireux de remonter aux sources de toutes choses, je me dois de vous révéler la vérité vraie sur un événement qui a changé la face du monde. Tout commença, il y a fort longtemps, sur les bords de la Loire, comment pourrait-il en être autrement ? Nous sommes dans les années cinquante avant celui qui se fit pasticheur, bien malgré lui. Les Romains viennent de mettre le pied et le glaive le long de notre rivière ….

Mais avant d'aller plus loin, il me faut dévoiler ce que furent mes archives. J'ai découvert, dans une « boire » de Loire : un bras mort, depuis bien longtemps vide d'eau, des manuscrits abandonnés dans un vieux coffre marinier. Depuis, ces textes sont connus sous le nom de manuscrit de la « boire » morte. C'est d'eux que je tire cet épisode d'une histoire volontairement laissée dans l'oubli pour des raisons que vous comprendrez facilement. Je vous en laisse juges !

Depuis de longues années, chaque solstice d'été, les représentants des mariniers de Loire se réunissaient en un lieu tenu secret, pour un grand banquet au cours duquel ils édictaient des règles de bonne navigation, des principes de solidarité et d'entraide pour tous les bateliers de la rivière. Ils venaient de l'amont et de l'aval, de Condevincum (Nantes) à Rodumna (Roanne) en passant par Nevirnum (Nevers) et Cenabum naturellement.
Chaque année ils désignaient celui qui parlerait en leur nom devant tous les chefs des peuples vivant en bord de Loire. Leur confrérie réunissait des pêcheurs (déjà) et des mariniers en nombre égal. Ils étaient traditionnellement douze, regroupés en un grand chapitre autour de la table, afin d'édicter les règles de navigation, les obligations d'entraide, le code d'honneur de tous ceux qui circulaient et travaillaient alors sur la Loire. Ils se faisaient fort d'imposer leur volonté tout du long de la rivière et de ses affluents.

Cette année-là, pourtant, rien se se passa comme à l'accoutumée. Les Romains avaient envahi les différentes tribus celtes. Le pouvoir avait imposé, par la ruse et le mensonge, la présence d'un treizième homme : un certain Lucas, homme à la botte du pouvoir, venu de Lugdunum, une ville qui n'a rien à voir avec notre Loire.

Le nonce Nilate, chef romain couard et calculateur, l'avait mandaté secrètement pour briser la force de cette confrérie dangereuse qui divulguait des idées de solidarité et de charité qui débordaient bien vite le cadre de la rivière. Il fallait mettre un terme à cette philosophie du partage et de la compassion qui pouvait s'avérer néfaste au pouvoir en place : brutal et égoïste.

Comment Lucas parvint-il à se faire admettre dans cette assemblée secrète ? Les manuscrits ne le disent pas. Toujours est-il qu'en ce repas sacré, ils étaient treize à table et qu'une étrange ambiance régnait parmi les convives. Quand il fallut désigner le maître de cérémonie, c'est un certain « Marius », fils d'un charpentier de marine qui avait proposé tant d'innovations aux bateaux d'alors, qui fut élu en souvenir de son glorieux père.

Marius était le plus doux des hommes. Il aurait donné sa chemise à plus malheureux que lui et aurait partagé son manteau en deux s'il avait croisé un mendiant grelottant de froid. Il était pêcheur, d'une rare adresse et avec lui, on avait le sentiment qu'il était capable de multiplier les prises. Jamais son filet ne revenait à vide et il y avait toujours une part pour les pauvres et les malades.

Un jour, il avait réalisé un prodige. Un marinier s'était noyé et, par un étrange baiser, il l'avait ramené à la vie. Son nom était désormais connu tout du long de la Loire. Il était vénéré des humbles et craint des puissants. Nilate voyait en lui un dangereux subversif, un homme capable de reprendre le flambeau que venait d'abandonner, bien malgré lui, un certain Vercingétorix. Il était plus redoutable encore, car il prônait la paix et la concorde entre les hommes.

En ce repas annuel, un étrange sentiment animait les convives. Quand Marius partagea la miche de pain noir et offrit à chacun une coupe de ce fameux breuvage qui leur venait de Rome (seul bienfait de l'envahisseur) , il leur tint un discours d'une rare puissance.

« Mes amis, mes frères de la rivière. Nous vivons une époque trouble où des forces étrangères veulent imposer leurs conceptions cupides. Sachez rester soudés et solidaires. Que rien ni personne ne vienne jamais entraver l'amitié qui unit le peuple ligérien. Notre Confrérie des gens de Loire doit perdurer au-delà de ces temps obscurs. Elle fédérera les hommes de bonne volonté. Chaque fois que vous vous retrouverez, vous ferez un grand et beau repas en mémoire de moi et en souvenir de cette promesse éternelle ! »

C'est le moment que choisit le traître Lucas, l'affreux vendu à l'envahisseur, qui, pour quelques pièces en or, dénonça « Marius » et sa troupe marinière. Une cohorte instruite par l'infâme, arriva et s'empara du meneur qui fut conduit à Nilate qui faisait ses ablutions. Il avait horreur d'être dérangé en ce doux moment et excédé, le nonce envoya notre pêcheur de Loire se faire pendre ailleurs.

Lucas fut accroché en haut d'une vergue, les bras en croix. Il y souffrit un long martyre sans un soupir. Voilà la triste fin du premier grand personnage de la Loire qui voulut fédérer les énergies et développer un idéal de fraternité pour tous les gens de Loire, leurs femmes et leurs enfants. La confrérie des marchands serait, bien plus tard ,l'expression de la résurrection des valeurs de ce glorieux aîné.

Pourtant ce message étrange fit son chemin. En empruntant la route de l'étain, il arriva bien vite jusqu'en Palestine. Quelques années plus tard, un autre fils de charpentier reprit une grande partie de ce discours et s'adressa, lui aussi, à des pêcheurs ou des moutons égarés. On sait ce que devinrent ces belles idées qui étaient nées, quelques années plus tôt, sur le bord de la Loire... mais vous n'êtes pas obligés de me croire ….

Évangéliquement vôtre.


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