jeudi 9 novembre 2023

Un brouillard à couper au couteau.

 De la purée de pois au fromage blanc






En un temps incertain, un Capitaine versatile, capable du meilleur comme du pire, à l'humeur aussi changeante que le vent, fit parler de lui de par tout le pays. Son histoire courut sur les quais de Loire sans qu'on puisse jamais en établir la véracité. Tout avait commencé un jour de printemps, le Capitaine était d’humeur badine, il remontait la rivière sous voile, poussé par un vent favorable. Son équipage, ce jour-là, n’avait pas à subir ses sautes d’humeur, ce qui, il faut l’avouer, n'était pas chose fréquente.


Lorsque apparut au détour d’une boucle de la rivière, une toute petit embarcation, un frêle esquif qui tenait bien plus de la coquille de noix que d’un véritable bateau. Plus tard, on apprit qu'il s'agissait d'un Coracle perdu ici, on se demande encore comment. Le niveau d’eau était important, le Capitaine, dans un bon jour, décida de prendre à son bord le bonhomme et son curieux petit rafiot qui semblait pourtant fort bien tenir les flots.


Un courant de sympathie naquit bien vite entre les deux hommes d’autant plus qu’à un moment, le nouvel embarqué plongea subitement dans la rivière pour en remonter une amphore hermétiquement bouchée. Ce jour-là, sur le chaland on but un excellent vin, dont nul ne pouvait dire d’où il venait et depuis quand il bonifiait ainsi au fond de l'eau. Mais qu’importe, il était fort bon.


Un nouveau membre faisait désormais partie de cet équipage. Le matelot trouvé sur l’eau fut immédiatement flanqué du sobriquet de Noé sans qu'on sache qui il était vraiment et d'où il venait. Désormais ce fut ainsi qu'on le désigna partout sur la Loire. Il fut vite adopté grâce à ses pitreries et sa connaissance sans pareil des secrets de la rivière. Bien vite cependant, sa popularité à la fois sur le chaland mais plus encore dans les tavernes et sur les quais, posa problème au capitaine, qui n’aimait guère qu’on lui fasse de l’ombre.


Progressivement Noé fut de plus en plus en butte aux griefs du patron. Quoi qu’il fasse, il recevait remontrances et propos peu amènes d’un homme aussi imprévisible que renfrogné. Les autres marins ne comprenaient pas pourquoi Noé ne changeait pas d’embarquement tant la vie à bord devenait un véritable calvaire pour lui. Toujours en but aux réprimandes, il était systématiquement sollicité pour les manœuvres les plus risquées. Par exemple il était le seul à devoir coincer le bâton de marine dans les arronçoires, un exercice au cours duquel il n’était pas rare de perdre un doigt.


C’est un jour de gros temps, de fortes eaux tandis qu’à la remonte notre chaland allait franchir un pont à la volée, une pratique encore plus risquée que toutes les autres manœuvres, que l’accident que tous pressentaient survint. Le capitaine n’avait eu de cesse de hurler après son souffre douleur, exigeant bien plus de lui que des autres. Le pauvre garçon exaspéré, à bout de nerfs se vit confier une manœuvre particulièrement délicate et fort étrange : grimper dans la mature pour descendre le girouet en plein passage sous le pont.


Personne n’avait compris cet ordre aussi absurde qu’inutile dans un tel moment et par dessus tout, mettant grandement en danger la vie de ce matelot. Celui-ci, habitué aux caprices d’un capitaine impitoyable tout autant que dangereux, s'exécuta sans broncher. Ce qui devait arriver, ce que sans aucun doute ce diable de mauvais homme espérait, arriva leur camarade tomba dans les flots tourmentés et fut emporté par un courant impétueux.


Dans pareille circonstance, en ce temps-là, la manœuvre primait sur la vie d’un homme. Le bateau devait franchir l’arche marinière et nulle autre occupation devait perturber l’équipage. En dépit des ordres l’un des hommes se précipita à la poupe et jeta dans la Loire ce qui pouvait lui venir en aide : un tonneau vide, une planche de rive, la cage dans laquelle avait été enfermé un cochon qui n’avait pas terminé le voyage. Tout cela dans l’espoir que Noé puisse se saisir de l’un de ces objets flottants pour échapper à la noyade. Malgré les protestations, le pont franchi, le capitaine poursuivit sa route. Tout juste permit-il à ses hommes de prévenir les bateaux avalants qu'ils croisèrent ,du sort de leur malheureux camarade. Pour ses collègues, il ne faisait aucun doute qu’il n’avait pas survécu tant la rivière était en colère et l’endroit inhospitalier.


Durant de longs mois, plus personne n’entendit quoi que se soit à propos du disparu. Aucun corps n’avait été retrouvé en aval ce qui n’était pas surprenant en cette période de hautes eaux. Puis à l’étiage, plus surprenant, le mystère demeura tandis que personne n’avait entendu parler d’un bateau recueillant un éventuel naufragé. Pour tous, Noé avait rejoint la grande cohorte des nombreux disparus en Loire et bien des mariniers de Loire l'avaient pleuré à l’exception de ce maudit capitaine.


C’est bien des mois plus tard qu’un soir de grand brouillard, alors que le chaland était amarré sur le quai de Recouvrance, juste sous le pont où s’était déroulé un drame que personne n’avait oublié que se passa une bien étrange aventure qui semblera improbable à qui garde les pieds sur terre…


Comme souvent, l'équipage avait beaucoup trop bu. L’inactivité provoquée par les conditions météorologiques poussait les hommes à s'activer dans les tavernes nombreuses en cette cité. Le souvenir du drame passé jouait encore sur l'humeur de ceux qui revenaient pour la première fois sur les lieux du drame. Ceci explique cela sans naturellement le justifier ou l'excuser. Tous buvaient bien plus que de raison, le capitaine n’échappant pas aux excès bachiques.


Un calfat qui traînait encore sur le pierré fut le premier témoin d’une incroyable apparition. Du coracle, cette coque de noix en osier sur laquelle autrefois naviguait le défunt, un individu vêtu de blanc dans des vêtements amples et vagues naviguait à proximité du chaland. L'homme, dans un état de sidération que vous devinez aisément crut reconnaître le disparu. Aussitôt il vint avertir l'équipage qui à la description de l'apparition dégrisa soudainement. L’équipage accompagné d'une grande partie de la compagnie de l'endroit se précipita sur le quai. Là, chacun put ou crut apercevoir un revenant, surgi de la purée de poix et tournant autour du grand bateau.


De la Loire toujours couverte de brouillard, un murmure s'éleva de ce que tous prirent pour un revenant. Était-ce le bruit du vent, les échos lointains de ville, le chant des mouettes ? Toujours est-il que beaucoup pensèrent identifier un message intelligible. C'est le capitaine du Chaland qui était mandé par ce qui ne pouvait être qu'un spectre. Après s'être concertée, la troupe s'empressa de regagner le débit de boisson pour quérir celui qui était convoqué par un fantôme.


Le capitaine fort occupé en compagnie de quelques chopines, devant l'instance de cette troupe aux propos incohérents se douta qu'il se passait quelque chose d’anormal sur son chaland. Il se leva et dans un silence de mort, quitta l'établissement tandis que nul n'osa le suivre.


Ce qui se passa sur le bateau, personne ne le sut jamais. Bien des gens ont essayé de reconstituer la scène d’après ouïe dire et propos de tavernes. Quant à ce pauvre Noé, jamais on ne le revit, ce qui entretint les supputations et les croyances. L'histoire n'eut de cesse de se répéter de port en port, comme si les matelots entendaient ainsi convaincre les capitaines d'user d'un comportement acceptable à leur égard. Une menace pesait sur les têtes de ceux qui se conduisaient mal durant la manœuvre...


Quant au méchant capitaine de ces faits troublants, il abandonna le métier sans la moindre explication. Il avait changé d'apparence, l'espace de cette nuit qui le vit se rendre sur son chaland dans une véritable purée de pois. Le brouillard avait dû se fixer à jamais sur sa chevelure qui dès le lendemain était toute blanche. Le mauvais marin qui parlait si mal à ses matelots abandonna son bateau et le métier pour aller garder des chèvres en Berry, le plus loin possible du quai de Recouvrance.


Des esprits retors affirmèrent que lorsque ce personnage de sinistre mémoire tirait le lait de ses chèvres, par un étrange phénomène, il caillait dans l'instant sans avoir besoin de présure. Son fromage n'était pas mauvais même s’il vous revenait souvent en bouche une curieuse impression. Je ne sais s’il faut accorder foi à cette rumeur et encore moins à cette histoire.


Il est des nuits sur la Loire où le brouillard est si épais qu'il est permis d'imaginer bien des choses, pour peu qu'on se laisse influencer par le mystère des lieux.


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La queue en panache

  L’Écureuil roux Vidéo   En bon hédoniste tout autant qu'esthète La queue en panache, se savait épié Aussi, les or...