samedi 24 juillet 2021

L’obstination d’une sterne

 

L’instinct maternel





Il était une fois une sterne naine qui fidèle à l’immuable cycle de la vie, revint début mai sur la petite île qui l’avait vue naître, quelques années plus tôt. Elle n’était qu’un maillon d’une chaîne qu’elle n’entendait pas interrompre, reproduisant ainsi ce que l’instinct lui commandait d’agir comme l’avaient fait avant elles tous ses ancêtres.


Sa petite île, comme lors de chaque année avait subi quelques changements, des modifications qui ne l'empêchaient nullement de venir y pondre une fois encore. Elle s’était déplacée de quelques mètres vers l’aval, il y poussait désormais une espèce invasive : l’érable négundo, qui ne manquerait pas de réduire à néant la plage, mais ça, la Sterne n’en avait pas conscience. Elle se méfiait de plus en plus des goélands, qui venaient lui contester sa présence. Ceux-là, elle les craignait terriblement, les nouveaux arrivants à l’instar des cormorans, sont parfois mauvais coucheurs …


Un peu par insouciance, beaucoup par admiration pour ce beau mâle qui avait su la séduire, elle pondit trois œufs magnifiques au début du mois de mai. Elle n’avait pas traîné en chemin, l’amour donne parfois des ailes y compris aux sternes. Elle était très occupée à couver ses œufs quand, du côté de l’amont, il d’énormes orages se déclenchèrent dans les Cévennes. La pauvrette n’en savait rien, ne disposant pas encore des chaînes météo. Elle aurait compris alors que la Loire allait gonfler et noyer ses pauvres petits pas encore sortis de leurs coquilles.


Qu’à cela ne tienne, elle se remit à l’ouvrage avec son compagnon, ne tardant pas à pondre une nouvelle nichée. Deux œufs cette fois, tout aussi jolis que les précédents qu’elle couvait autant du regard que de son corps gracile. Mais hélas pour elle, la saison touristique avait débuté, les loueurs de canoës se frottaient les mains tant les touristes désireux de descendre notre rivière étaient d’année en année plus nombreux.


Ceux-là n’avaient sans doute pas écouté les consignes du loueur ni pris la peine de se documenter sur la rivière. Ils choisirent l’île pour s’arrêter pique-niquer, y laisser en partant, les reliefs de leur repas et pire encore, permettre à leurs enfants de se dégourdir les jambes en courant sur le sable. La Sterne avait fui, effrayée par ses intrus et le malheur fondit sur son nid. Les gamins écrasèrent les deux œufs dans l’indifférence et l’ignorance de ces gens en goguette.


Quand les embarcations repartirent, ils laissèrent la désolation derrière eux et ces panneaux de mise en garde et d’interdiction, qu’ils n’avaient même pas pris la peine de lire. De toute manière, c’était trop tard, l’irréparable avait été accompli. La Sterne et son époux pour la saison décidèrent de quitter l’île natale et d’aller chercher un nouvel espace plus tranquille.


Nous étions fin juillet, la Loire à son étiage leur offrit une plage parfaite, une île discrète, sur un boire, à l’abri des flots incessants de canoéistes, loin du batillage des quelques abrutis en Jet ski qui se moquaient tout autant de la flore que du silence en ces lieux enchanteurs. La belle eut cette fois plus de chance. Son unique œuf donna naissance à un bel oisillon qui à son tour reviendra là, pour reconduire ce cycle de la vie pourvu que l’eau puisse encore arriver jusque là.


Ainsi va la vie en bord de Loire, fragile et soumise aux aléas de la météorologie, de la nature et pire que tout, des étranges animaux qui vont debout sur leurs jambes arrières. Les sternes font avec tous ces impondérables, elles s’obstinent à maintenir la vie quand parfois les circonstances sont toutes défavorables. Celle-ci plus que les autres encore montra une extrême détermination et déjoua les règles de la nature pour pondre une troisième fois.


Quant à vous qui lisez cette histoire, ne marchez jamais de mai à août sur nos îles de sable, c’est là que viennent se reproduire bon nombre d’oiseaux migrateurs. Ils ont bien assez de soucis comme cela pour que vous ne veniez à votre tour, les tracasser dans leur désir d’enfanter. C’est la seule leçon à retenir de ce récit que j’ai pris garde de ne pas écrire avec une plume d’oiseau. Bon vent à la petite Sterne et à l’année prochaine si Dieu et les hommes lui prêtent vie.


Aviairement sien.


 

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