mardi 27 juillet 2021

La Pierre Crapaud de Saint Miral

 

Quand vient le solstice d'hiver.

 

 


 

Il est un secret, en nos bords de Loire, qui est fort bien gardé. Les rares privilégiés qui ont eu à le savoir le préserve jalousement dans la gibecière de leurs histoires. Il est vrai que la vérité n'est pas toujours bonne à dire et que grands seront les risques pour les imprudents à qui prendraient l'envie de vérifier par eux-mêmes cette légende. C'est imprudemment que je vous la livre ici, puissiez-vous vous montrer raisonnables ! Gare aux vilains attirés par le lucre ou l'attrait des richesses terrestres, la pierre saura vous punir ! Ce n'est pas faute d'en avoir été prévenu …


Entre Sully et Gien sur notre rive Berry, tout près du village de Lions-en-Sullias, il est une pierre qui se dresse majestueuse non loin d'une grande butte de terre. La Loire n'est guère éloignée de cette Gargouille qui fait depuis des lustres croasser ceux qui ont langue trop pendue. Je souffre de ce maudit travers et ne peut m'empêcher de vous livrer une histoire qu'il ne faut jamais révéler. Soyez tout ouïe …

    La pierre en question, dans des temps immémoriaux, était, prétend-on, promontoire pour un chef Ligure qui avait conduit sa troupe en des terres lointaines.  Il montait sur ce caillou à la forme batracienne pour haranguer sa horde de vilains et de chenapans qui venaient ici, brigander la région. Ils s'étaient fait naufrageurs sur notre Loire, l'histoire est déplorable car, c'est de ces affreux personnages que l'on nomma les gens du pays en les appelant par la suite « les ligériens ». Mais laissons-là cette anomalie étymologique pour s'en revenir à nos lascars italiques de ces temps mégalithiques.



    La Loire était déjà la grande voie fluviale que sillonnaient toutes les marchandises du pays. Les routes n'existaient pas encore, les « frayés » étaient hasardeux et les mauvaises rencontres si fréquentes que c'était folie que de se risquer sur terre avec des biens précieux. L'huile, le blé, les épices et le vin d'Italie circulaient sur le fleuve, loin des détrousseurs des chemins. Les bourses des marins d'alors étaient gonflées du fruit de leurs fructueux négoces ...

    La bande avait monté un petit stratagème fort vilain à vrai dire. Ils avaient planté dans la Loire une rangée de pieux en chêne parfaitement acérés qui affleuraient à peine quand les eaux étaient navigables. Le piège se trouvait au sortir d'une boucle de sorte que les malheureux marins ne pouvaient voir avant que de tomber dessus. Ils avaient élu domicile en un endroit à la triste réputation, un lieu marqué du mauvais œil et où les hommes modernes toujours oublieux des enseignements du passé, ont construit une centrale nucléaire, sans rien savoir savoir de la malédiction qu'il porte en lui.

    Quand une barque ou un bateau plus grand venait à s'empaler, la coque ne résistait pas à ce piège vicieux. Les hommes devaient abandonner bien vite le pont pour « s'ensauver » quand il était encore temps. Sur « l'arivel », il y a avait toujours un homme à guet. Quand le mauvais coup avait réussi, nos lurons lamentables se précipitaient pour prendre tout ce qu'il y avait à sauver des eaux. Quant aux pauvres mariniers, les bandit en eau douce leur faisaient vilain sort !

   

 Ce petit commerce dura longtemps, les nouvelles n'étaient pas aussi rapides et rares étaient ceux qui pouvaient témoigner. La tribu se fit un joli magot, un trésor de guerre qui trouva cachette sous la pierre crapaud. Puis les années passèrent, pour des motifs qui échappent à notre compréhension, la bande abandonna le site en laissant là le fruit de leurs larcins multiples. Il se murmure qu'ils furent à leur tour victime de la vengeance des gens de Loire et qu'ils connurent le sort qu'ils infligeaient à d'autres.


    L'histoire pourrait en rester là et offrir belle occasion de mettre main basse sur un joli magot. Vous n'êtes pas pour rien en pays étrange, il y a des choses qui échappent à la raison. C'est naturellement le cas avec notre pierre crapaud. La demoiselle a, pouvoir magique, un don qui lui fut accordé par un druide de la forêt des Carnutes. Si celui-ci n'aimait pas le brouet, fut-il magique, il était capable d'accomplir de grands mystères et de belles diableries.

    Il aimait à se jouer des hommes et leur faire belle farce à sa manière. Il aimait les ressemblances, se faisait poète à ses heures. Comme par dessus tout, il se passionnait d'astrologie, il accorda à la Pierre un pouvoir mystérieux. À chaque solstice d'hiver, quand la nuit est la plus longue de l'année, à la minuit, la pierre avait des démangeaisons curieuses.

    Au premier coup du changement de jour la Pierre s'en allait en gigantesques bonds s'abreuver pour l'année dans la Loire sa voisine. Cela faisait si grand bruit et forts tremblements sur le sol que personne pendant très longtemps n'eut jamais le courage de venir assister à ce spectacle diabolique. Le sortilège était de courte durée, la Pierre revenait à sa place dés le dernier coup de cloche.



    Des siècles durant, la rumeur circula dans le pays sans que personne n'osa se rendre compte de ses propres yeux de la véracité de la fable. Il fallut qu'un plus gaillard, qu'un moins craintif se débarrasse des vieilles superstitions qui entravaient les esprits de l'époque. C'est le gars Roncieaux qui s'enhardit assez pour venir au soir du 21 décembre de cette année là se cacher dans un fourré à deux pas de notre Pierre Crapiaud.


    Pour dévergondé et fort aviné qu'il était, il avait le cœur battant et des craintes plein la tête. Il ne faisait pas le « fiérôt » mais personne n'était là pour constater qu'il avait mouillé sa culotte. Je sais que ce détail n'apporte rien à notre histoire, il atteste cependant de l'angoisse et des tracas de ce pauvre diable quand la dernière heure sonna.

    Aussitôt ce premier coup de cloche, ce qu'il vit et ce qu'il entendit le laissèrent pantois. Il en fut tout « abaubi » et ne se mit en marche qu'après quelques secondes de perplexité. Puis le courage lui revenant, il se précipita là d'où la Pierre, venait de partir. Il y avait là grande béance au fond de laquelle brillaient d'étranges reflets.

    Roncieaux, bien que pas très rassuré, se glissa dans la « bîme » pour y voir de plus près. Ce qu'il vit, nul ne le saura jamais. Il connut alors le plus grand des bonheurs. Il plongea ses mains dans un trésor somptueux. Il riait, il chantait, il se voyait riche pour le restant de ses jours. Il ne croyait pas si bien dire !

    Tout enivré de ce spectacle et du vin qu'il avait bu exagérément pour se donner du cœur au ventre, il n'entendit pas le bruit qui gronda de plus en plus fort. Le douzième coup de minuit retentit et la Pierre dans son dernier bond reprit sa place, notre Roncieaux pris au piège ! Jamais plus personne ne revit le bonhomme. On le chercha un long moment sur les bords de la Loire, l'homme avait aussi la réputation de poser des nasses pour y prendre des poissons en toute illégalité.

    Les années passèrent et Ronceaux fut oublié de tous. C'est alors qu'une curieuse histoire naquit dans le pays, une belle menterie pour peupler les longues soirées d'hiver. C'est une vieille conteuse qui inventa l'histoire, c'est du moins ce qu'elle prétendit. La dame avait réputation sulfureuse, commandait aux brûlures, guérissait les maladies, reboutait les os ou jetait des sorts quand on lui déplaisait. Beaucoup pensèrent que notre « birette » savait bien plus qu'elle n'en voulait bien dire ...

    Voilà, vous savez ce qui se prétend fable ! Vous pouvez tout aussi bien penser qu'elle est vérité vraie. Prenez bien garde de ne point vous laissez prendre au piège. De ceux qui m'ont écouté la dernière fois, j'en connais un qu'on a jamais revu.




Mystérieusement vôtre.


 

À lire dans ce livre ...


 

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