mardi 6 juillet 2021

Le tour du parc

 

Retour vers le passé …





Je venais de passer de délicieux instants avec un jeune couple et ses enfants. Nous avions pique-niqué à Bouteille, ce lieu magnifique en bord de Loire, véritable invitation à la rêverie. La Loire changeait de couleur au gré des variations du ciel et d'une météo qui a oublié de regarder le calendrier. La rivière se couvrait de rides quand le vent venait agiter son cours.


Mon camarade, connaissant mon attachement aux bons produits, m'avait préparé un repas à base des productions de la charcuterie de mon enfance dont le propriétaire, Monsieur Labbe, a confié la succession à son fils. Quelle joie de constater que rien n'avait changé ! Je retrouvais en effet les goûts qui avaient accompagné ma jeunesse, sans différence aucune : une surprenante plongée, plus de quarante ans en arrière.


Est-ce cette nostalgie gustative, madeleine charcutière, qui me donna l'envie de revoir mon village natal ? Je n'en sais rien ; je ne crois pas avoir prémédité ce départ prématuré. Je laissai mes hôtes à leurs enfants, leurs ânes et leurs chevaux. Ils avaient tant à faire , quant à moi, j'avais reçu un appel mystérieux qui ne me donnait pas son nom . Enfourchant mon scooter, je laissai le hasard me guider en ce milieu d'après-midi.


Le hasard avait pourtant un nom : Sully sur Loire. Il y avait trop longtemps que je n'avais retrouvé mon village autrement qu'à travers mes histoires. J'en fis le tour : celui que, des années durant, j'accomplissais pour rejoindre un camarade qui allait en sens inverse. Il y a bien longtemps que je n'y retrouve plus personne ; les gens de ma génération s'en sont presque tous allés vers d'autres cieux. C'est souvent le lot des villages …


Je croyais en avoir fini avec cette nostalgie qui ne cesse de me tourmenter quand, allez savoir pourquoi, au moment de franchir le pont pour rentrer en Orléans, je décidai de prendre sur la droite, vers le Parc du château. Ce but de promenade dominicale ponctuait toujours le repas de midi ; c'était, pour l'enfant que j'étais, un rituel pénible, un pensum dont j'avais voulu bien vite m'émanciper.



Cette fois, j'en avais fini avec les envies d'ailleurs de l'adolescent impatient. Je voulais retrouver mon château, son parc et ce parcours entre bois et Sange, une plongée dans un passé qui m'a construit, m'a façonné bien plus que je ne le croyais alors. Et là, je fis une heureuse rencontre en la personne de l'un des rares camarades d'école primaire restés au pays. Régis, puisque c'est de lui qu'il s'agit, mène durant l'été, les touristes en calèche dans le parc.


Nous étions, je le crois, aussi heureux l'un que l'autre de nous retrouver. Nous avons discuté de nos chers disparus et de ceux, si nombreux, partis sous d'autres cieux. Nous reproduisions le comportement qui nous exaspérait alors chez nos parents quand ils se croisaient pour faire le tour des connaissances. Heureusement, quelques jeunes gens mirent fin à nos ratiocinations pompeuses.


Ils venaient interviewer le maître des chevaux, personnage célèbre en son royaume. Régis se prêta de bonne grâce à ce petit exercice pour une radio locale. Les jeunes s'initiaient ainsi au journalisme dans le cadre d'un centre de loisirs à l'origine de cette excellente initiative. Bien vite, mon camarade, plus à l'aise avec des rênes en main qu'avec un micro, conseilla aux journalistes en herbe d'interroger le curieux personnage qui était à ses côtés.


Les fillettes ne se firent pas prier. Manifestement elles n'étaient pas avares de leur temps et s'amusaient ainsi de jouer les curieuses. Celle qui tenait le micro me demanda de lui raconter l'histoire de la ville. Mais qui donc lui avait soufflé cette demande ? Ce n'est pas l'enfant de Sully qui lui répondit mais le Bonimenteur de Loire.


Une demi-heure durant, j'enchaînai plusieurs fables. Maurice de Sully, le fondateur de Notre Dame de Paris, le legs à la Loire, la légende du trésor de Maximilien de Béthune et l'histoire de la Croix Saint Nicolas, juste de l'autre côté de la rivière. Le miracle avait lieu : les demoiselles écoutaient, fascinées et surprises. Des touristes à leur tour, vinrent profiter de cet étrange spectacle impromptu. Je ne m'arrêtais plus ; j'avais remonté le temps et ce petit cercle d'auditeurs m'avait emboîté le pas.


Quand j'en eus fini avec cette prestation au débotté, je me rendis bien compte que mon auditoire aurait voulu me voir poursuivre ce voyage en imaginaire. Il ne faut pas abuser cependant : la magie du conte ne peut se prolonger trop longtemps ; il faut savoir laisser en suspens le récit, ne pas le pousser trop loin afin de laisser le charme opérer.


Des visiteurs arrivaient, désireux de faire le tour du château en calèche. L'occasion était belle de mettre un terme au récit, de laisser les curieux dans l'entre-deux : ce monde étrange entre le réel et les songes. Régis me proposa de monter à ses côtés et nous fîmes, avec ses deux comtois, l'inévitable et merveilleux Tour du Parc. Du passé lointain de mes histoires, je me retrouvais en mon pays d'enfance …


Ce dont nous discutâmes alors n'a aucune espèce d'importance. Cela nous appartient et permettez -moi de garder pour moi ce moment agréable. Nous avions passé nos années primaires ensemble, il y a si longtemps et avions tant à nous dire que le tour du Parc passa comme un rêve. Les touristes nous écoutaient raconter nos anecdotes anciennes ; je crois bien qu'ils s'en amusaient.


C'est alors qu'au milieu de l'allée centrale, apparut, face à nous, notre bon charcutier d'antan, Monsieur L.... La boucle était bouclée ! Ledit charcutier avait, certes, bien vieilli mais gardait bon pied et surtout bon œil. C'est ainsi qu'il me reconnut d'après la ressemblance que j'ai avec mon défunt père. Ces coïncidences, toute cette série de hasards qui font si bien les choses, certains les nomment « sérendipité ». Qu'importe le terme employé ! il faut savoir profiter de ces instants si fugitifs ! 

 

Sulliassement vôtre.


 

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