mercredi 17 février 2021

Un prénom

 


C’est pour la vie





Alors que la loi ne fixe plus aucune barrière pour l’attribution d’un prénom, que le tout et le n’importe quoi prévalent joyeusement dans ce qui s’apparente désormais à une loterie des futilités, des esprits douteux réclament un retour au calendrier chrétien, manière de montrer leur insupportable xénophobie. Là cependant n’est pas le problème.


Un prénom c’est sérieux et il est parfaitement criminel d’affubler un enfant d’un patronyme absurde pour un jeu de mots, une référence à une vedette éphémère, un mot tiré par les cheveux inventé un soir d’ivresse. L’enfant aura à se le coltiner toute son existence tout en supportant à la place de ses géniteurs quolibets et moqueries. Vous parlez d’un cadeau de naissance !


Puisqu’il est préférable de parler de sa fenêtre, je vais vous narrer par le menu ce que ce choix fut pour votre serviteur. Ma chère mère qui s’appelait Bernadette avait perdu un frère qui, c’est fort original se prénommait Bernard. Mes grands parents devaient manquer d’imagination puisqu’ensuite ils eurent un Marcel suivi d’une Marceline qui devint au dernier moment et à l’initiative du seul Grand-Père : Simone…


Je venais donc sur terre pour remplacer un partant. Il n’est rien de pire et voilà bien écueil à éviter scrupuleusement. Pire encore, ma mère en plein déni de grossesse ne s’occupa guère dans les premiers mois de ce gamin arrivé quinze ans après sa première fille. Ça ne facilite pas l’intégration dans cette vallée de larmes. Elle agit pareillement avec ma jeune sœur, qui arriva trois ans plus tard.


S’appeler Bernard en ce temps-là, c’était constituer une exception alors que le prénom était passablement passé de mode tant il avait été largement utilisé par la génération précédente. J’avais deux oncles Bernard et trois oncles Marcel, on ne baignait pas dans le conformisme chez nous. Parmi mes camarades, un seul se prénommait ainsi, nous y reviendrons plus tard.


Rapidement l’inévitable diminutif me colla comme un gant de crin. Ce Nanard me grattait aux entournures et pire encore m’assignait à un rôle dont je mis fort longtemps à me départir. Je n’avais pas le choix, j’étais le guignol, le grotesque, le pauvre type, le gentil camarade qui ne pouvait être pris au sérieux. Ne pouvant échapper à cette appellation réductrice au possible, je serrais les dents me jurant que de mon côté, jamais je n’userais de pareille facilité langagière. Si le sobriquet a parfois trouvé grâce à mes yeux, jamais le diminutif ne me fut tolérable.


Il en fallut du temps pour sortir de ce cadre fixé dès ma naissance par un prénom alors obsolète et sujet à déformation. Ajoutons à ce triste tableau un nom de famille permettant contre-pétrie douteuse et je me retrouvai bientôt flanqué d’un Bernet Ringard du meilleur effet. Pourtant, j’avais amadoué ce choix car l’autre Bernard, le malheureux, était mort fort jeune, électrocuté par une ligne électrique alors qu’il aidait son père à déplacer un tuyau dans leur ferme. Je me donnais stupidement sans doute, le devoir de porter sans rechigner un prénom pour deux.


J’ai vécu ma vie d’adulte avec cette hantise du surnom qui de manière récurrente finissait toujours par me revenir à la face tout en me déconsidérant. Il a fallu qu’un jour je fasse enfin le deuil de cette injonction des autres à n’être qu’un sot pour enfin me l’accaparer en la détournant à mon profit. Le pseudonyme : C’’Nabum est arrivé comme une planche de salut tout comme l’envie de jouer au Berlaudiot pour satisfaire à l’attente implicite de mes contemporains.


Tout ceci peut vous sembler paradoxal et stupide. C’est le choix d’un prénom, choix dont naturellement je ne fus en rien responsable qui a façonné ce parcours étrange. J’invite donc les futurs parents à plus de raison et de réflexion au moment de choisir pour le carnet de famille quelques lettres qui marquent à vie un individu. Je doute que mon expérience soit d’une quelconque utilité mais au moins, avoir couché sur le papier ce témoignage me libère d’un immense poids.


Prénommement vôtre


 

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