jeudi 18 février 2021

Dire du mal

 


Un petit plaisir si mesquin






Un groupe d'amis en vacances vient de passer de délicieux moments en compagnie de voisins autochtones qu'ils avaient priés de passer prendre l'apéritif. Instant charmant au demeurant que je n'évoquerai pas ici, il faut préserver un peu d'intimité, même lorsqu'on a décidé de faire de son existence le sujet d'inspiration direct ou indirect d'un billet quotidien. L'autofiction a des limites que la pudeur exige !


Mais, sans déflorer la teneur exacte de ce qui nous fut conté avec verve et drôlerie, grivoiserie parfois, sens prononcé de la gaudriole à quelques moments surprenants, il faut reconnaître que notre longue conversation fut, pour l'essentiel, consacrée au doux et pervers plaisir de dire du mal d'une autre voisine. Voilà bien un sport national, une bonne et saine habitude qui entretient l'amitié et unit dans la médisance ceux qui se font, l'espace d'un moment convivial, langue de vipère !


Le propos vachard sur l'absent, quel plaisir ! Voilà un sujet de conversation parfaitement consensuel qui évite les rives incertaines de la politique, les chemins escarpés de la culture, les voies trop balisées du sport ou de la télévision. Là, on est dans son connu, on se comprend sans trop en dire et on se délecte de traîner dans la boue ou de salir celui qui doit avoir les oreilles qui sifflent !


C'est alors l'hallali, la mise à mort verbale de celui qui est exposé à la vindicte du voisinage. L'absent a toujours tort, et ils sont si nombreux, que rien ne peut le sauver du naufrage dans lequel tous ces braves gens l'entraînent à son corps défendant. Chacun y va de son anecdote, d'un épisode peu glorieux où le pauvre joue naturellement le mauvais rôle.


On le fait alors bien plus riche qu'il n'est vraiment, de défauts et de perversions, de fourberies et de roueries. Chacun en rajoute, en fait des tonnes puisque tel est le propos, il faut noircir celui qui se trouve en ligne de mire de ces mauvaises langues impitoyables. Pas de pitié, aucune clémence, il ne trouve pas grâce à leurs yeux.


Parfois pourtant , l'un d'eux vient atténuer la charge. Une qualité surgit soudain dans la liste des turpitudes du pauvre homme. Mais ce n'est qu'un répit illusoire, elle n'est destinée qu'à renforcer les travers qui l'accompagnent et se font d'autant plus déplorables qu'il est capable parfois de se montrer sous un jour acceptable. Alors, c’est à nouveau le déchaînement des griefs, chaque propos trace encore plus un portrait noir et sans espoir du pauvre absent !


Dire du mal, ça fait du bien et ça ne mange pas de pain ! La réplique est facile, si elle laisse dans le pétrin le pauvre qui est tombé sous les feux croisés de tout son entourage, elle unit pour quelques instants ceux qui ont participé à la curée. Demain, ce sera le tour d'un autre ! C'est ainsi que se fondent les amitiés solides, sur le dos d'une pauvre victime expiatoire.


Dire du mal c'est se comparer et se rassurer. Bien sûr, il n'est pas question de songer un seul instant à être objectif. Ce petit jeu pervers et méchant ne cherche nullement à s'approcher de la vérité. Il s'agit simplement de souder un groupe par une cérémonie sans pitié. C'est un jeu équivoque où chacun au final parle des présents et de soi même au travers d'un truchement bien commode.


Dire du mal c'est surtout ne pas dire du bien. Il ne faut pas être pris au jeu de l'éloge que l'on ne conserve précieusement que pour le dernier moment venu. La charité chrétienne exige, à n'en point douter, de garder le meilleur pour la fin et le pire durant cette longue vallée de larmes. Il n'est pas question d'être avare en reproches et en rumeurs, en moqueries et en sarcasmes, en piques et en vacheries, en diffamations et en affirmations infondées.


Dire du mal, c'est se persuader un bref instant que l'on parvient à être soi même au-dessus de la mêlée, qu'on échappe à la médiocrité de la condition humaine. Dire du mal, c'est s'élever au-dessus de tout ça ! Dire du mal pour exister un tant soit peu, y compris de la pire des manières qu'il puisse être !

 

Médisancement vôtre.



 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Le bon moine de Marcigny

  Une légende usurpée Il était une fois un gentil moine de l'ordre des Récollets. C'était un brave franciscain habillé de g...