lundi 8 février 2021

Le genre de l’eau

 

L’article n’y fera rien.





Au presque début du monde, le grand créateur, excédé de l’absence de sexe des anges décrété dans son dos par les humains, se dit qu’il lui revenait de reprendre les choses en main en ce qui concerne les éléments essentiels de sa création. Il voyait poindre de son Olympe la tentation du genre neutre, ce qui ne convenait guère à ce personnage soucieux d’un manichéisme pédagogique afin que le bien et la malédiction, le ciel et la terre organisent clairement le Monde.


Ce jour-là, il se pencha sur les cours d’eau, les plus grands, ceux qui se gonflaient de tous les autres pour finir par se jeter dans les mers ou océans. Il lui apparut immédiatement que les gros bras, les plus violents, ceux qui roulaient des épaules en toutes saisons méritaient incontestablement, dans sa représentation primaire des genres, du masculin. C’est ainsi qu’il accola l’article « Le » devant Rhône, Rhin, Danube, Nil, Mississippi, Yangzi Jiang.


Le grand créateur était fort satisfait de lui. Voilà qui allait simplifier les choses quand il s’aperçut qu’il n’avait pas considéré le plus grand d’entre eux. Il pensa que l’apostrophe allait résoudre le problème. L'Amazone resterait aussi mystérieux dans sa classification qu’au long de son cours. Lui-même ne savait pas où se trouvait sa source.


Puis il se rendit compte que des prétendants au classement avaient un comportement plus irascible. Tour à tour puissants puis lascifs, violents ou paisibles, rapides ou lents, ces cours d’eau n’avaient jamais le même aspect. Pour le créateur, leur capacité à se métamorphoser ainsi troublait grandement ses certitudes. Il y avait même diablerie dans cette manière de se transformer au gré des jours, sans véritable raison.


Poussant l’injure plus loin encore, il les qualifia fort injustement de capricieux alors qu’ils n’étaient que changeants. Le féminin leur fut attribué par dépit par ce personnage qui avait besoin de représentations nettes et tranchées. Il fit ainsi La Loire, la Charente, la Seine tout en leur conservant leur statut de Fleuve.


L’Allier, le frère jumeau de la Loire se plaignit d’avoir été oublié. Le créateur se rendit compte qu’il était là devant un problème majeur, ne voulut pas prendre position dans la querelle qui opposait ces deux-là. Il lui accola l’apostrophe qui évite une fois encore de vraiment se mouiller. En dépit de cette pirouette, la controverse restera éternelle entre Loire & Allier.


Il avait dans son empressement à classer les unes et les autres, omis de se préoccuper d’une Rebelle inclassable. En ayant assez des plaintes qui montaient jusqu’à ses nobles oreilles, lassé de ce flot de mécontentement, Garonne se vit privée d’article. Plus femme que toutes les autres rivières fleuves aux comportements imprévisibles, elle n’avait nul besoin de ce modeste appendice de deux lettres.


Le grand créateur pensait être au bout de ses peines. Il se trompait lourdement. Qu’elles fussent rivières ou bien fleuves, qu’ils fussent masculins ou bien féminins, les cours d’eau réservèrent bien des misères aux riverains. Ils avaient la ferme intention de leur démontrer que jamais ils n’accepteraient de se laisser mettre en cage, qu’elles seraient toujours capables de colères majestueuses et dévastatrices. Malheur à qui ne les respecterait pas, tôt au tard, ils ou elles leur démontreraient de quelle eau elles ou ils se chauffent.


Quant à ces ponts qui ont l’incroyable ambition de les enjamber, ils devaient savoir que leur victoire n’était que provisoire. Un jour ou l’autre, l’affront serait balayé. Il en a toujours été ainsi.


Genrement leur.


 


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