samedi 27 février 2021

Fantasmagoriques tourments en Sologne.

 


L'appel de la Nature





Il est une sortie qu’aiment à faire les gens de notre belle Sologne. Ils attendent cette période avec impatience ; la fièvre monte, la tension se fait manifeste. Les uns grattent du pied, les autres se montent du col. Tous sentent un puissant appel de la nature, devinent la force irrépressible de la préservation de l’espèce. Il convient d’aller dans les bois, de tendre l’oreille et de se laisser porter par le flot des hormones.


Les Solognots se mettent en branle. Chacun a son coin secret, connu de tous, hélas, si bien que le soir venu, ils sont nombreux à être à l’affût du grand spectacle. Le ciel doit être clément ; le temps, ce soir, se prête à ces folies des sens. Beaucoup s’allongent dans les fourrés, histoire de voir la feuille à l’envers et de se faire le plus discret possible. On devine que chacun retient son souffle dans l’attente d’un événement considérable.


Les uns viennent affublés de tenues guerrières pour mieux se dissimuler. Ils portent des armes, heureusement inoffensives, autour du cou : des téléobjectifs immenses qui tiennent davantage du fusil de chasse que de l’appareil photographique. Certains ont besoin de prendre leur pied : il faut avouer que le contexte s’y prête merveilleusement bien. Ne leur tenons pas rigueur de ce petit plaisir par procuration ...



D’autres ont besoin de leurs deux yeux pour se faire voyeurs plus encore. Ils sont guetteurs dans l’obscurité, vigies attentives du moindre mouvement à la lisière du bois. Ils ont parfois des merveilles techniques autour du cou afin de percer la nuit qui tombe désormais. Comme les premiers, ils sont tapis, immobiles, silencieux. Ce qu’ils attendent les met en transe !


Chacun alors prend son pied à sa manière. Il en est qui tendent la perche, ils y ont fixé un microphone sensible, capable de saisir murmures et soupirs. Ils portent un casque sur les oreilles pour se centrer sur les appels de la forêt et oublier le tumulte qui ne manque pas de se produire derrière eux. Il faut bien admettre qu’il y a foule pour assister à ce que tous prennent pour un spectacle et qui devrait rester un moment secret et intime.


Les automobiles tournent dans les bois. Les chemins communaux sont envahis. Les passagers descendent, claquent les portières. Ils discutent, s’extasient de la foule présente dans leur coin secret. Puis ils avancent et commencent à se taire, sans doute un peu tard pour que le loup sorte véritablement du bois… Tous ont des yeux de biche pour percer la muraille des taillis … Au loin, une inconnue enlace un chêne dans le sous-bois. Elle semble ailleurs, mystérieusement ailleurs !



Soudain, un murmure parcourt toutes les échines… Une belle dame daigne se montrer. Elle avance majestueuse, indifférente à cette foule impudique qui vient assister à la grande aventure de la vie. Elle se sait prête à recevoir son maître ; elle l’espère, elle l’attend. Qu’importe tous ces témoins trop curieux, il est venu pour elle le temps de perpétuer l’espèce !


Un bruit, un cri, un hurlement, un feulement, un râle déchire la nuit. Il arrive, il avance, il réclame sa belle. C’est Sa Majesté : il en impose avec sa merveilleuse couronne. Il va saillir sa biche, lui octroyer ce qu’elle réclame et que tous ces gens veulent voir. Il a cependant quelques réticences à se montrer ainsi. Il a besoin d’un peu d’intimité : il attendra que la nuit tombe.


En attendant, il entonne la musique des amours : le brame immémorial. C’est ce chant magnifique, étonnant, si émouvant que sont venus écouter tous ces gens. Ils sont servis. Le grand cerf ne ménage pas ses effets. Il épate la galerie et sa belle par la même occasion. Il en rajoute un peu, se fend d’un long appel guttural : un éraillement d’autant plus caverneux qu’un jeune freluquet au petit chef dérisoire, vient lui disputer sa harde. Il va voir de quel bois il se chauffe ce blanc corne ! …



La bataille n’aura pas lieu. L'impétrant repart la queue entre les jambes. Le public s’indigne de n’avoir pas droit au combat des chefs. Les querelles de ménage : il n’y a rien de tel pour que jubilent les voisins. Le spectacle aura été de courte durée. La foule se disperse ; chacun rentre en sa demeure avec le secret espoir que le spectacle inspirera monsieur ou madame. Combien d’ébats naissent ainsi ? Nul ne pourra jamais le dire. Monsieur cerf et mesdames biches ne viennent pas épier les amours humaines.


Plus loin, dans la nuit, derrière un vaste rideau d’arbres, un concert est offert aux plus persévérants des curieux. Quinze à vingt mâles beuglent leur désir. C’est un chant ininterrompu, la plus belle ode à l’amour qu’il m’ait jamais été proposée d’entendre. C’est curieux, étrange , troublant, bouleversant. C’est beau et fort, profond et mystérieux. Plus personne ne parle. Chacun est en émoi. L’appel de l’amour, le fantastique tourment du désir s’expriment ici avec mille et une nuances.


Tout en écoutant, je me demandais comment vous rendre compte de cette merveille. Je cherchai des images, des mots pour décrire chaque râle. Puis je renonçai à cet impossible. Il vous appartient de jouir à votre tour de ce moment unique, de ces instants magiques. Fuyez la foule, allez au cœur de la forêt profonde et ouvrez grands vos oreilles et votre cœur.


Bramenent leur.


 

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