La petite fugue de Pénélope.
Il était une fois une brave femme qui voulait passer la main, usée sans doute par des années à s’épuiser les yeux sur ses travaux d’aiguilles. Elle désirait abandonner un métier qui avait été son cadre, son bureau, sa prison ; non pas qu’elle n’aimait pas ce qu’elle faisait, elle y avait mis toute son existence, tout son cœur et toute son énergie mais bien parce que l’ouvrage ne nourrissait guère celle qui s’échinait du mieux qu’elle pouvait.
La couturière avait pris sa résolution, elle allait mettre les pouces, s’octroyer enfin l’autorisation de se les rouler, d’oser l’oisiveté pour le peu qui lui restait à vivre. De fils en aiguilles, elle avait passé sa vie clouée sur son ouvrage, ignorant tout de ce vaste monde dont elle ne percevait l’existence que par le truchement des canevas qu’elle n’avait cessé de réaliser pour les autres et du bruissement émanant du port tout proche de son échoppe.
Ces merveilles, elle voulait les découvrir de ses propres yeux, du moins de ce qu’il en restait. Elle les avait érodés à piquer dans la pénombre, à travailler au petit matin ou bien tard le soir à la seule lueur d’une bougie vacillante. Quoique à bout de force, fort diminuée, sa résolution était intangible, elle allait prendre la poudre d’escampette, se laisser porter par le vent de l’aventure en dépit également d’une santé défaillante.
C’est d’ailleurs ce qui la poussait à mettre le holà, à profiter de ce mince fuseau qui lui restait à dévider. C’est l’apothicaire qui un jour, alors qu’elle était si mal qu’elle n’avait pu faire autrement que de le consulter, lui déclara : « Ma chère, vous filez un mauvais coton ! Vous avez fort mauvaise bobine, vos jours vous sont comptés avant que le fil de votre existence ne vienne à se rompre ! » Elle voulait voir du pays avant son ultime voyage quitte à ne jamais revenir de cette folle équipée.
Elle ne mit guère de temps à tout brader. Le dernier fil noué à son ultime ouvrage, elle planta définitivement ses aiguilles dans sa pelote, jusqu’alors éternellement fixée au poignet de sa main gauche. Elle abandonnait pour toujours cet étrange bijou de si peu de valeur. Elle se sentit soudain libre, soulagée d’un poids qui au fil du temps avait fini par lui peser.
Pas le temps de faire le point, il n’était plus l’heure de réfléchir. Elle devait partir dans l’instant, tendre le pouce pour monter dans le premier bateau qui voudrait bien la prendre à son bord. Descendre la Loire, trouver un navire pour un ailleurs lointain, elle n’avait que ça en tête, dût-elle se glisser comme dans un chas d’aiguille ou un un trou de souris. Elle prenait la poudre d’escampette dans l’urgence d’un temps qui lui était compté.
Elle trouva embarquement. Connue sur la place d’Orléans, les mariniers avaient plus d’une fois abusé de ses talents d’aiguilles pour obtenir réparation contre quelques possons de faux sel. Pénélope n’avait jamais refusé et ce jour-là, quand elle se présenta sur le quai, faisant un signe à tous les bateliers, leur faisant comprendre son désir de quitter le pays, pas un n’aurait songé à la refuser à bord.
Elle se précipita sur le premier qui allait partir, descendant la rivière pour aller jusqu’à Nantes, un grand et beau Chaland chargé, ironie de l’histoire, de beaux rubans et de passementeries venus de Roanne. La couturière se faisait la malle parmi les étoffes. Dans toute la ville, ceux qui avaient toujours à se féliciter de son travail, voulurent la saluer. Il y eut ce jour-là grande presse sur le quai de Recouvrance.
Les bourgeoises comme les petites gens, les couseuses et les lavandières avaient toutes la larme à l’œil, chacune de lui souhaiter le meilleur pour cette incroyable escapade sans retour. Il y avait sans doute un peu de jalousie mais surtout beaucoup d’admiration pour ce choix si rare à l’époque. Le « Grébiche », ironie du sort, le bateau sur lequel elle avait jeté son dévolu, larguait les amarres. Tous de saluer la tapissière d’un ultime signe de la main. Le Chaland s’en alla à la vitesse du courant quand le Duc d’Orléans, en visite sur le port s’étonna de cette foule féminine en grand émoi.
Il interrogea la première digne de sa condition, une dame de petite mais respectable noblesse en l’apostrophant ainsi : « Pourquoi toutes ces femmes sur le quai de Recouvrance à cette heure et qui est donc cette personne au loin qui agite un foulard sur le bateau qui descend la Loire ? » Prise de court sans doute que ce noble personnage puisse pour la première fois s’adresser à elle, la dame ne sut que répondre : « C’est la main qui file ! »
La réponse fit le tour de la ville. Chacun la trouvant d’une incroyable concision tout autant que d’une charmante tournure. La rue qui avait été celle où Pénélope avait installé sa modeste échoppe à deux pas de là, fut immédiatement baptisée ainsi, sans que quiconque en cette ville ne sut jamais jusqu’où cette main avait filé lors de sa première et ultime escapade.
De cette histoire qu’il convient de considérer puisque écrite par le fils d’une tapissière, je fais le vœu que jamais plus on ne débaptise un vieux nom de rue pour honorer une canaille ou bien une vieille baderne qui bien souvent n’a même jamais vécu dans la cité. Nos anciens noms de rue portent une histoire et si parfois, il n’est plus possible de la retrouver, laissez donc le soin aux bonimenteurs et aux conteurs le soin de l’inventer.
Patronymiquement sien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire