lundi 13 janvier 2020

La croisée des destins


Lancelot et Margot.



Lancelot erre sur les chemins de l'aventure. Il en a soupé des défis et des épopées, des batailles incertaines et des combats si peu loyaux. Lancelot a compris qu'il agissait ainsi pour une pure illusion. Guenièvre n'est pas celle qui accepte les élans du cœur. Elle aime, certes, l'amour galant car celui-ci lui permet de faire de jolies mines et de tendres sourires, sans devoir accorder plus à son gentil héraut, mais la dame reste froide et roide devant les vibrations du garçon.

Lancelot en a vraiment soupé de ces tournois factices pour des amours qui ne se réalisent jamais. Son corps réclame ce que les mots finissent par ne jamais lui accorder. Il sent monter en lui une sève qui l'étouffe, qui lui fait perdre la tête tandis que sa dame, stoïque et lointaine, semble ne rien éprouver, n'avoir ni désir ni envie.

Il est certain que l'éducation de l'époque n'est pas favorable à l'épanouissement des pulsions intimes, des désirs charnels qui semblent réservés au commun des mortels : ces pauvres hères qui vivent tout juste comme des bêtes. La chevalerie a une éthique, un code d'honneur et des valeurs qui rendent la vie triste et le corps prisonnier des convenances. Lancelot, la lance en berne, ne désire plus le sourire gentillet de dame Guenièvre.

Il la veut lascive et offerte. Il souhaite la prendre dans ses bras, se perdre en baisers brûlants, en caresses torrides. Mais comment faire, engoncé dans cette maudite armure, enfermé dans des conventions qui sont bien trop convenables ? Le poids du religieux s'impose à tous : Guenièvre est aux mains de son confesseur : un être à la face d'hypocrite qui se délecte de juguler ainsi l'amour des deux jeunes gens sous une ganse de préceptes moraux absurdes.

Lancelot a fait son deuil de sa belle. Elle n'est que simagrées et minauderies. Il veut partir à la quête d'une vraie femme, d'une amante libre et émancipée, d'une louve qui saura se faire chatte, d'une lionne qui osera lui donner des coups de griffes avant que de s'abandonner dans une sarabande de frissons intimes.

Hélas, son époque n'est pas de celles où il a la moindre chance de trouver chausse à son pied. Il doit franchir la porte des siècles, aller quérir son inaccessible étoile. Quelque part justement dans un palais froid et lugubre, une princesse se morfond. Elle a épousé un sacré luron, un homme qui ne pense qu'à collectionner les femmes, les saisir à la va-vite, jouir sans délicatesse de la donzelle avant que d'aller rechercher un autre trophée.

Son Henry sent l'ail, le vin, la mauvaise éducation. Nulle finesse dans sa conversation. L'amour pour lui n'est que le prolongement de la guerre. Il encercle la place, en fait un siège de façade, finir par l'investir sans fleur ni roucoulade. Henry prend, se goinfre sans partage, laisse la proie à sa toilette et se remet en chasse.

Ses manières l'exaspèrent. C'est un soudard sans imagination. Il force le passage, se dispense de la moindre caresse. Il s'introduit pour se déchaîner en de brefs soubresauts. Il se répand en un râle qui tient plus de la bête que du gentilhomme, tel que Margot avait cru le discerner parmi les chevaliers de la table ronde. Décidément, elle s'est fourvoyée en ce siècle de sang et de guerre religieuse.

C'est alors que, sur son fier destrier, Lancelot franchit le miroir devant lequel Margot pleurait en silence. Il était là, le preux chevalier de ses songes, le porteur de tous les rêves, de tous les espoirs qui donnaient à ses nuits des allures d'épopée magnifique où elle sentait monter en elle les vibrations d' un plaisir dont elle ignorait tout. Margot voyait toujours ce noble cavalier et voici que ,soudain, il venait se prosterner à ses pieds.

Ce qui se passa alors ne doit pas être décrit. Les amants ont besoin du secret de l'alcôve. Ils avaient tout à découvrir l'un de l'autre et, pour eux, le plus délicat était de se mettre à nu. La dame était revêtue d'une multitude d'étoffes, toutes plus chatoyantes les unes que les autres, dissimilant son pauvre corps sous des monceaux de tissus. Lancelot n'était pas mieux loti et jamais il n'avait appris à se défaire de son carcan de fer sans son fidèle écuyer.

L'effeuillage releva de l'épreuve initiatique et de la brûlure la plus folle. Ils étaient braises, ils se perdaient en maladresses innombrables, en énigmes vestimentaires. Mais comment diable retirer ce pourpoint ? Que faire de cette guêpière ? Je vous passe les mille et une entraves qu'il leur fallut faire sauter.

Margot se faisait fontaine, Lancelot étendard douloureux. Leurs bouches découvraient le goût de l'autre, leurs mains se mêlaient, leurs corps se réclamaient. Quand, après bien des efforts, la peau s'offrit au regard de l'autre, il n'était plus temps de susurrer à l'oreille des phrases éternelles et des mots chevaleresques. La lave coula dans leurs veines ; ils se diluèrent totalement dans le feu de la passion.

C'est ainsi que Lancelot trompa sans vergogne le brave Henry. Le Navarrais n'en sut rien. Un couteau vint se ficher dans son dos ; la poule au pot obtenait ainsi sa revanche. Margot fut lavée du péché d'adultère par l'entremise de Ravaillac, bonne âme qui lui rendit ce fier service. Dans un murmure d'extase, Lancelot cria à sa belle : « Tu es ma reine ! » et tous deux s'envolèrent dans une bulle de savon …

Uchroniquement leur.


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