Soupe
au lait
C’est
dans les vieux pots qu’on ferait, prétend-on, les meilleures
soupes et c’est avec une bonne tête de cochon que l’infâme
brouet deviendra une soupe au lait : de celles qui vous font
faire des grimaces. Il n’y a rien de mieux qu’un lait qui a
tourné au vinaigre pour avoir quelques reproches qui vous caillent
sur le jabot.
Quand
la colère est consommée, la lippe ne suffit plus à exprimer son
mécontentement. On broie du noir, on a quelques aigreurs et la soupe
pèse alors son pesant de déception et de rancœur. Il faut mixer le
tout, couper en quatre les cheveux d’ange afin de mettre un peu de
liant et de douceur dans la marmite. Mais revenons à notre cuisson
et examinons l’affaire par le menu.
Il
convient de faire mijoter le tout, le cuire à petit feu. Il est
primordial de ne pas oublier de saisir vos ingrédients, la flamme
ravive les mauvaises pensées. Les oignons ne sont pas seuls
responsables ; vos yeux coulent et votre nez est de mèche avec
la nécessité absolue de manger chaud. La soupe à la grimace vous
remettra d’aplomb en dépit des griefs que lui font les gens d’un
naturel optimiste.
Il
est bon parfois de passer vos contrariétés à la moulinette de la
franchise. Un peu de beurre dans les épinards ne nuira pas à la
qualité du mets. Évitez de mettre trop tôt les carottes :
elles risquent d’être cuites et de vous pousser dans des abysses
de perplexité. Contentez-vous de boire du petit-lait, laissez faire
le temps afin que le brouet épaississe tranquillement.
Ne
faites pas le poireau devant la marmite : elle n’a pas besoin
d’une surveillance permanente. Ayez confiance en vous, mettez un
peu de sel et beaucoup de poivre : votre préparation ne
manquera pas de piquant. Usez avec parcimonie des épices : il
ne faut pas que votre plat vous emporte la bouche ; vous feriez
à nouveau la gueule ; ce qui nous ramènerait au point de
départ.
Si
vous aviez été la crème des hommes vous eussiez pu ajouter
quelques cuillères de matière grasse mais là, ce n’est pas trop
raisonnable,à l'instar de notre pays, vous risqueriez la crise de
régime. Ne mettez pas non plus les petits plats dans les grands :
ce serait louche et vous en souperiez ! Il faut rester simple quand
on joue les marmitons. La frugalité de la soupe vous donnera la
patate !
Le
beurre rance est la clef de la réussite. Préférez-le à l’oseille
ou bien à l’argent, toujours illusoire, à la condition de bien
connaître la crémière. Il apportera à votre préparation ce
velouté, cette onctuosité indispensables. Ne vous emmêlez pas les
pâtes : préférez-les en petit alphabet et ignorez le tapioca
et le vermicelle. C’est ainsi que vous donnerez des lettres de
noblesse à votre plat ; vous en ferez une grande œuvre et, si
vous désirez y ajouter quelques morceaux de fromage, choisissez la
tome ; ce qui vous permettra d’en faire plusieurs éditions.
Il
en est des soupes comme de toutes les créations humaines :elles
sont fugaces, transitoires, et fragiles. Dépêchez-vous de la
déguster ; ne vous contentez pas d’une petite cuillère,
n’ayez pas peur de voir grand. Avalez à grandes lampées mais
surtout ne faites pas de bruit : il paraît que c’est un signe
de manque d’éducation. N’y allez pas non plus avec le dos de la
cuillère : l’exercice est périlleux et bien peu efficace.
Quand
tout sera consommé, quand tout sera digéré, il ne vous restera
plus qu’à faire la vaisselle sans vous tromper. Réservez les
serviettes pour votre bec, même si vous le faites encore un peu et
consacrez les torchons à cet usage. Vous passerez auparavant
l’éponge sur mes étranges divagations. Ne faites pas de soupe
avec l’eau de vaisselle : j’en serais à coup sûr
responsable.
Je
fais toujours la soupe à la grimace mais au moins, le temps de ce
pauvre billet, j’ai retrouvé le sourire et c’est bien là
l’essentiel. J’ai ravaudé les expressions et fait mon miel de ce
fatras culinaire. Merci de votre compréhension et ne faites pas le
nez, ouvrez grand la bouche, vous en reprendrez bien une autre
assiette !
Louchement
vôtre
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