mardi 14 janvier 2020

La Fanchon du Petit Café.


Choupette



Pour tous ici, elle est Choupette, jeune fille de 92 ans qui fait encore tourner les cœurs. Il faut avouer que la dame n’a pas sa langue dans sa poche, que le poids des ans n’a pas entamé sa verve et sa capacité à dire quelques mots grivois, glisser une allusion qui mettrait mal à l’aise un perdreau de l’année. Elle n’en a cure, elle se joue de cette réputation qu’elle entretient à plaisir. Désormais dans un Ehpad, elle a consenti à me tracer un rapide survol d’une existence riche en rebondissements.

Tout a commencé en 1926 à Montech, née d’un père photographe professionnel et d’une femme au foyer, la petite Marie-Germaine a grandi avec sa grande sœur Giselle. Son aînée a fait des études, obtenant son brevet supérieur pour devenir clerc de notaire tandis que Choupette faisait les quatre cents coups chez les sœurs qui étaient si méchantes. C’est ainsi qu’elle obtint son certificat de fin d’études sur inscription de ses parents tandis que les sœurs avaient refusé de présenter la diablesse.

À l’annonce du résultat, la sœur supérieure vint à elle, rouge de colère sous sa coiffe blanche pour lui déclarer fort chrétiennement : « Vous ne le méritez pas ! Vous devriez le donner à Janine Caillou ! » La pauvrette était toujours première à l’école tandis Marie-Germaine passait son temps en punitions diverses. Les voies du seigneur sont impénétrables, ce ne sera pas le cas de celles de Choupette.

À 13 ans elle embrasse la carrière capillaire en devenant l’apprentie coiffeuse d’Odette dont le mari était prisonnier en Allemagne. Elle vivait en zone libre, l’arrivée des allemands transforma son existence. Marie-Germaine parlait aisément l’Allemand. Elle se souvient d’un dénommé Joseph Kessel, officier SS qui faisait des photographies avec un Leica. Il avait voulu réquisitionner le laboratoire d’Antonin, le père. C’est le premier souvenir de cette période qu’elle a vécue dans l’insouciance de sa jeunesse.

Elle quitte Montech pour Bordeaux à la fin de la guerre. Elle suit son parrain, officier de l’armée de l’air puis file à Paris continuer la coiffure. Elle a retrouvé son amie Claude qui s’était égarée à Montauban lors de l’exode, se fait héberger par Yvonne la mère de son amie qui travaillait dans la lingerie de luxe. Choupette doit arrêter la coiffure, elle garde un enfant pour gagner quelques sous chez la sœur d’Yvonne.

C’est par l’entremise de ces personnes, qu’on présente à Marie-Germaine, André, qu’elle épouse en 1947. Elle attend immédiatement un enfant, au grand désespoir de sa belle-mère qui veut la faire avorter. Elle résiste et se retrouve mère de Marie-Christine. Elle ouvre un salon de coiffure dans l’Oise. Six mois plus tard, elle descend à Montech présenter sa fille à ses parents et oublie de repartir rejoindre son mari. C’est sa première grande rupture.

Le divorce est prononcé en 49, elle travaille chez un photographe durant 3 ans à La Française tandis que sa fille est gardée par ses parents. Elle s’essaie au cinéma avec un Russe qui se met à la céramique. Elle le suit à Ardus. L’homme la quitte mais elle accompagne son ancien compagnon en Dordogne avec sa nouvelle amie. (J’avoue avoir du mal à suivre ses frasques).

Après une petite dépression, elle part en Amérique dans le Massachusetts. Elle rejoint une fille d’Yvonne. Elle y reste un an à travailler comme gouvernante, sans être déclarée, chez un vétérinaire. Elle revient en catastrophe à Montech, son père venant d’être amputé d’une jambe. Marie-Germaine trouve un emploi comme serveuse au petit café de Montauban.

C’est là qu’elle hérite de son surnom, refusant de se faire appeler par son prénom. C’est le début d’une nouvelle aventure faite d’une grande complicité avec son patron, Jean, homme apprécié de tous. Elle devient la mascotte des lycéens et des normaliens qui viennent boire des jus de fruit et des cafés. Elle fait le spectacle dans son nouveau théâtre, amusant chacun par ses répliques inimitables.

La vie pourtant la rattrape avec la mort en couche de sa fille en 1973. C’est un drame pour elle d’autant plus qu’elle ne reverra jamais sa petite fille Christine qui, à 12 ans, suit son père et rompt les ponts définitivement. Elle vivra le reste de son existence à ressasser cette perte irréparable pour elle. C’est son travail au Petit Café qui va la maintenir en vie, trouvant chez le cafetier un ami sincère et une seconde famille.

Le départ à la retraite de Jean sonnera la fin de son existence de serveuse. Adieu les plaisanteries derrière le bar, les remarques assénées à la cantonade, elle se retrouve sans emploi jusqu’à sa misérable retraite. Elle survit en faisant des ménages tant qu’elle peut puis se retrouve au minimum vieillesse après une vie à avoir travaillé sans être souvent déclarée sauf au Petit café à partir de 1973.

Elle a vécu dans son petit appartement HLM, appréciée là aussi de tous ses voisins, rendant des menus services à chacun, gardant les enfants, faisant des courses, le ménage jusqu’à ce qu’elle se casse il y a moins d’un an le col du fémur. Incapable désormais de vivre seule, elle se retrouve dans un Ehpad, sa dernière demeure, dit-elle avec cette douce ironie qui la caractérise.

Je lui ai rendu visite pour qu’elle me livre son histoire. Je l’ai trouvée au salon, faisant du charme à une jeune homme de 90 ans qui venait de lui offrir un appareil photographique. Car c’est là son plaisir et son passe-temps, il ne l’a jamais quitté depuis son premier Foca lorsqu’elle travaillait chez un photographe.

Elle a toujours aimé photographier. Elle vit entourée d’albums. Sa vie mériterait d’être illustrée dans un roman photo, le roman d’une femme qui ne tenait pas en place, qui a croqué les hommes sans vraiment me l’avouer ici. Je reviendrai la voir pour admirer ses prochains clichés. Elle a la trempe d’une future centenaire.

Bien sûr elle a laissé des zones d’ombre, elle ne m’a pas tout dévoilé. Elle avait des choses à taire, des épisodes sur lesquels elle ne souhaitait pas s’étendre. J’ai accepté le principe de suivre son récit sans me soucier des interstices qui sautaient aux yeux. Elle a voulu vivre en femme libre, en femme qui a assumé ses choix, ses amours, ses désirs. Qui serions-nous pour la juger, elle qui demeure encore si primesautière dans ses propos ? Laissons-là avec ses fantômes et ne prenons que ce qu’elle veut bien nous offrir avec le cœur.

Diablement sien.


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