Choupette
Pour
tous ici, elle est Choupette, jeune fille de 92 ans qui fait encore
tourner les cœurs. Il faut avouer que la dame n’a pas sa langue
dans sa poche, que le poids des ans n’a pas entamé sa verve et sa
capacité à dire quelques mots grivois, glisser une allusion qui
mettrait mal à l’aise un perdreau de l’année. Elle n’en a
cure, elle se joue de cette réputation qu’elle entretient à
plaisir. Désormais dans un Ehpad, elle a consenti à me tracer un
rapide survol d’une existence riche en rebondissements.
Tout
a commencé en 1926 à Montech, née d’un père photographe
professionnel et d’une femme au foyer, la petite Marie-Germaine a
grandi avec sa grande sœur Giselle. Son aînée a fait des études,
obtenant son brevet supérieur pour devenir clerc de notaire tandis
que Choupette faisait les quatre cents coups chez les sœurs qui
étaient si méchantes. C’est ainsi qu’elle obtint son certificat
de fin d’études sur inscription de ses parents tandis que les
sœurs avaient refusé de présenter la diablesse.
À
l’annonce du résultat, la sœur supérieure vint à elle, rouge de
colère sous sa coiffe blanche pour lui déclarer fort chrétiennement
: « Vous ne le méritez pas ! Vous devriez le donner à Janine
Caillou ! » La pauvrette était toujours première à l’école
tandis Marie-Germaine passait son temps en punitions diverses. Les
voies du seigneur sont impénétrables, ce ne sera pas le cas de
celles de Choupette.
À
13 ans elle embrasse la carrière capillaire en devenant l’apprentie
coiffeuse d’Odette dont le mari était prisonnier en Allemagne.
Elle vivait en zone libre, l’arrivée des allemands transforma son
existence. Marie-Germaine parlait aisément l’Allemand. Elle se
souvient d’un dénommé Joseph Kessel, officier SS qui faisait des
photographies avec un Leica. Il avait voulu réquisitionner le
laboratoire d’Antonin, le père. C’est le premier souvenir de
cette période qu’elle a vécue dans l’insouciance de sa
jeunesse.
Elle
quitte Montech pour Bordeaux à la fin de la guerre. Elle suit son
parrain, officier de l’armée de l’air puis file à Paris
continuer la coiffure. Elle a retrouvé son amie Claude qui s’était
égarée à Montauban lors de l’exode, se fait héberger par Yvonne
la mère de son amie qui travaillait dans la lingerie de luxe.
Choupette doit arrêter la coiffure, elle garde un enfant pour gagner
quelques sous chez la sœur d’Yvonne.
C’est
par l’entremise de ces personnes, qu’on présente à
Marie-Germaine, André, qu’elle épouse en 1947. Elle attend
immédiatement un enfant, au grand désespoir de sa belle-mère qui
veut la faire avorter. Elle résiste et se retrouve mère de
Marie-Christine. Elle ouvre un salon de coiffure dans l’Oise. Six
mois plus tard, elle descend à Montech présenter sa fille à ses
parents et oublie de repartir rejoindre son mari. C’est sa première
grande rupture.
Le
divorce est prononcé en 49, elle travaille chez un photographe
durant 3 ans à La Française tandis que sa fille est gardée par ses
parents. Elle s’essaie au cinéma avec un Russe qui se met à la
céramique. Elle le suit à Ardus. L’homme la quitte mais elle
accompagne son ancien compagnon en Dordogne avec sa nouvelle amie.
(J’avoue avoir du mal à suivre ses frasques).
Après
une petite dépression, elle part en Amérique dans le Massachusetts.
Elle rejoint une fille d’Yvonne. Elle y reste un an à travailler
comme gouvernante, sans être déclarée, chez un vétérinaire. Elle
revient en catastrophe à Montech, son père venant d’être amputé
d’une jambe. Marie-Germaine trouve un emploi comme serveuse au
petit café de Montauban.
C’est
là qu’elle hérite de son surnom, refusant de se faire appeler par
son prénom. C’est le début d’une nouvelle aventure faite d’une
grande complicité avec son patron, Jean, homme apprécié de tous.
Elle devient la mascotte des lycéens et des normaliens qui viennent
boire des jus de fruit et des cafés. Elle fait le spectacle dans son
nouveau théâtre, amusant chacun par ses répliques inimitables.
La
vie pourtant la rattrape avec la mort en couche de sa fille en 1973.
C’est un drame pour elle d’autant plus qu’elle ne reverra
jamais sa petite fille Christine qui, à 12 ans, suit son père et
rompt les ponts définitivement. Elle vivra le reste de son existence
à ressasser cette perte irréparable pour elle. C’est son travail
au Petit Café qui va la maintenir en vie, trouvant chez le cafetier
un ami sincère et une seconde famille.
Le
départ à la retraite de Jean sonnera la fin de son existence de
serveuse. Adieu les plaisanteries derrière le bar, les remarques
assénées à la cantonade, elle se retrouve sans emploi jusqu’à
sa misérable retraite. Elle survit en faisant des ménages tant
qu’elle peut puis se retrouve au minimum vieillesse après une vie
à avoir travaillé sans être souvent déclarée sauf au Petit café
à partir de 1973.
Elle
a vécu dans son petit appartement HLM, appréciée là aussi de tous
ses voisins, rendant des menus services à chacun, gardant les
enfants, faisant des courses, le ménage jusqu’à ce qu’elle se
casse il y a moins d’un an le col du fémur. Incapable désormais
de vivre seule, elle se retrouve dans un Ehpad, sa dernière demeure,
dit-elle avec cette douce ironie qui la caractérise.
Je
lui ai rendu visite pour qu’elle me livre son histoire. Je l’ai
trouvée au salon, faisant du charme à une jeune homme de 90 ans qui
venait de lui offrir un appareil photographique. Car c’est là son
plaisir et son passe-temps, il ne l’a jamais quitté depuis son
premier Foca lorsqu’elle travaillait chez un photographe.
Elle
a toujours aimé photographier. Elle vit entourée d’albums. Sa vie
mériterait d’être illustrée dans un roman photo, le roman d’une
femme qui ne tenait pas en place, qui a croqué les hommes sans
vraiment me l’avouer ici. Je reviendrai la voir pour admirer ses
prochains clichés. Elle a la trempe d’une future centenaire.
Bien
sûr elle a laissé des zones d’ombre, elle ne m’a pas tout
dévoilé. Elle avait des choses à taire, des épisodes sur lesquels
elle ne souhaitait pas s’étendre. J’ai accepté le principe de
suivre son récit sans me soucier des interstices qui sautaient aux
yeux. Elle a voulu vivre en femme libre, en femme qui a assumé ses
choix, ses amours, ses désirs. Qui serions-nous pour la juger, elle
qui demeure encore si primesautière dans ses propos ? Laissons-là
avec ses fantômes et ne prenons que ce qu’elle veut bien nous
offrir avec le cœur.
Diablement
sien.
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