vendredi 10 décembre 2021

La résilience suprême.

Tout faire pour oublier






Voilà que se ferme le rideau d'une tragédie en plusieurs actes pour laquelle la mémoire fut au cœur de l'intrigue. JM n'est plus, il en a enfin cessé de sa lente et inexorable descente aux oubliettes d'un passé qui n'a eu de cesse de le tourmenter dès sa naissance. Une partie de l'histoire du siècle précédent avait semé sur son chemin les obstacles qui allaient façonner une personnalité complexe, difficile à cerner, impossible à comprendre véritablement.


Tout commença lors de la seconde guerre mondiale. Son père, prisonnier en Allemagne ne pouvait de toute évidence être son géniteur. Sa mère avait « fauté » comme disent les bonnes âmes, elle avait peut-être croisé un chemin auquel dans certaines situations, il est impossible de se soustraire. Le premier acte était posé, une entrée en matière qui n'est pas des plus faciles à porter.


Le retour du prisonnier fut marqué par un pardon de façade. Qu'en fut-il véritablement ? Le silence et la volonté de n'en rien dire creusèrent les premières failles. Elles furent largement élargies par l'odieuse méchanceté de ses camarades de classe. Pour tous, il était le bâtard, dans un petit village où rien ne se peut cacher très longtemps. Il serra les dents et les poings, se jura de réussir malgré des handicaps liés à l'inculture des siens, au secret qui ronge et à des conditions matérielles des plus rudimentaires.


Il ne put mener les études dont il rêvait. Sortir de sa condition, de l'injonction d'une société qui le plaçait au bas de l'échelle, à l'instar d'une fratrie en laquelle il ne se reconnut jamais, lui fut d'autant plus impossible qu'un nouveau soubresaut de l'histoire allait l'envoyer dans un nouvel enfer : « Les événements d'Algérie » comme on le disait à l'époque avec une remarquable hypocrisie.


Qu'a-t-il vécu là-bas ? Seules des photographies plaidaient pour un séjour tranquille, sous le soleil en compagnie d'autres appelés, qui comme lui, venaient brûler leur jeunesse loin de chez eux. Lui n'en dit jamais rien, éludant tout ce qui pouvait dévoiler un coin du voile, se grisant à son retour dans une futilité qui ne trompait personne. Il fallait oublier et n'en rien dire.


Puis il y a eu une grossesse qui n'alla pas à son terme. Le sentiment qu'il y avait sur lui une malédiction, un noir dessein de la destinée pour qu'il ne connaisse jamais les joies d'une véritable famille. Il en avait pourtant trouvé une par alliance qui l'avait totalement adopté. Il lui en sut gré un temps, puis petit à petit, en fit grief aux uns et aux autres sans véritablement en avoir conscience. La normalité lui devint progressivement intolérable.


Il trouva fort heureusement des exutoires dans les études qu'il reprit, dans le sport et un appétit de loisirs qui en fit un papillon de nuit. C'est surtout lors de ses cours du soir qu'il trouva sa seule véritable revanche avec le mauvais œil. Il parvint à force de courage, d'obstination, de travail acharné à s'élever dans la société, à devenir Inspecteur des Finances par la voie interne. Une formidable réussite qui fut, je le crois sa seule et véritable fierté.


Il joua alors un rôle en rapport avec le rang social qu'il avait atteint à force de détermination. Ses choix se fondèrent alors toujours en se déterminant sur une grille de lecture qu'il avait de la société. Cela devint une manière insidieuse de se couper des siens, de ses proches, de ses amis d'enfance pour peu qu'ils n'aient pas réussi dans la vie.


Seuls ses neveux et nièces furent un réconfort, une pause dans cette frénésie de reconnaissance qui ne cessa de le miner de l'intérieur. Il lui fallait rompre avec sa filiation, écarter l'hypothèse d'un père qu'il ne voulut jamais connaître mais dont il savait sans nul doute qui il était. Il lui fallait encore et toujours oublier cette guerre à laquelle il fut mêlé tout en livrant les siennes propres avec une famille qui lui fut fardeau et souffrance.


Seule sa mère resta en contact avec lui. Il s'en occupa matériellement, il assuma son rôle sans qu'il ne parvienne jamais, à mon sens, à lui pardonner la faute initiale. C'était trop lourd, d'autant plus lourd qu'il y avait le reste et cet acharnement à faire semblant d'oublier.


Sa mère fut prise par un mal sournois, une maladie qui fait tout oublier. Il l’accompagna jusqu'au bout tout en progressivement la rejoignant imperceptiblement, lentement, inexorablement dans ce monde de l'oubli qui l'enveloppa dans ses rets à un âge où d'habitude on profite de sa retraite. Ce combat avec sa mémoire qu'il avait mené toute son existence venait de prendre une toute autre dimension.


Il n'était plus maître de ses oublis. Il perdit bien vite son autonomie, dut être placé et débuta une longue et détestable perte de lui-même. La fin fut pathétique, son épouse fut de tous les instants à ses côtés, elle ne cessa de voir en lui ce jeune homme brillant qu'elle avait croisé très tôt dans sa jeunesse. Elle sut comprendre, accepter, pardonner ce qui n'était qu'un combat désespéré pour « Tout oublier de son passé ! »


Il y parvint malheureusement au-delà de ses espérances. Qu'il trouve enfin la paix avec son histoire et avec lui-même. Nous garderons en mémoire les bons côtés, les bons moments, le temps de l'insouciance et de la gaieté. Nous oublierons nous aussi la face sombre d'une maladie odieuse qui se fraya un chemin dans un contexte qu'il avait, bien malgré lui, largement facilité.


À contre-temps.


 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Le bon moine de Marcigny

  Une légende usurpée Il était une fois un gentil moine de l'ordre des Récollets. C'était un brave franciscain habillé de g...