samedi 20 mars 2021

Mettre les bouts.

 À voile et à valeurs !

 


 


    Le marinier condamné à traîner sa misère au bruit du moteur regarde le ciel et scrute la cime des arbres dans l'espoir de voir venir ce doux zéphyr qui fera taire sa prothèse mécanique. Il sait pourtant que dans son rafiot de bois, sortir la grand voile n'est pas chose aisée ni mince affaire. Le bateau est plat, il n'aime que les allures portantes. S'il y a souffle de vie, il faut qu'il soit dans son dos ; on ne tire pas de bord en marine de Loire.

    Le fleuve se tortille, prend des courbes et des cambrures. Il se permet ainsi quelques facéties pour contrarier encore les allures portantes. La voile carrée ne se gonfle qu'en de trop rares occasions, il lui faut vent et conjecture favorable, c'est dire si celui qui ne veut pas de moteur demeure le plus souvent marinier bougon.

    C'est entre Bou et Jargeau que tous les facteurs furent réunis pour réjouir l'esthète. Alors, sur les bateaux, c'est la grande et complexe effervescence des préparatifs. Hisser le mât, placer la voile, régler la piautre, penser au bastin, installer le collier, lui glisser une gorde, ranger le pont … Sur le bateau c'est une ruche laborieuse. Coups de gueule et jurons rappellent pourtant que nous sommes ici en territoire marinier …

    Je vous passe les détails, les énervements, les nœuds de vache qui fâchent le capitaine, les incompréhensions et les maladresses. Après bien des palabres, moultes tergiversations, grande agitation et force turbulences crâniennes, nous voilà parés pour aller sur le fleuve, portés par les vents favorables pourvu que ceux-ci ne se soient pas lassés de nous attendre.

    Le miracle eut lieu, la voile se gonfla et le vent nous poussa. Quel bonheur alors que se sentir vibrer le fûtreau. Le bois se réveille, il se souvient qu'il  fut arbre résistant vaillamment à la tempête. Le mat tangue, se cintre, grince de toutes ses fibres. La coque vibre, la voile murmure et sur le pont, les passagers ne sont qu'admiration et émerveillement.

    Notre embarcation se joue du courant et de ses vagues. Les risées font des creux sur l'onde agitée. Poussés par force plus puissante encore, nous avançons à contre-courant, les flots sont vaincus par le souffle du vent. Le lourd bateau de bois devient goélette gracile, il fend les flots, vole au dessus de la Loire.

    Les gars de Bou et leur belle voile rouge jouent les funambules. Emportés par l'ivresse de la vitesse, ils perdent la piautre, montent sur le quai histoire d'inventer une nouvelle figure marinière et repartent sur l'eau, dignes et fiers de leur prouesse acrobatique. Comme ils sont nos hôtes, qu'ils nous avaient concocté belle réception, nous feignons de croire en une figure volontaire, nous applaudissons à l'exploit magnifique.

    Nous avançons, favorisés par ce souffle divin, nous taillons la route sans autre bruit que les plaintes du bois et de la toile. Nous sommes à l'écoute de la nature, nous sommes partie intégrante du fleuve. Le héron ne s'envole pas à notre passage, la grèbe manque de se heurter à la voile, le ragondin plonge à notre approche. Seul le castor fait le mort.

    Puis tout, inexorablement à une fin, la Loire fait courbure discrète et la voile se désole, se dégonfle, devint chiffe molle. Nous reculons misérablement. Il faut affaler, remettre bien vite le moteur pour retrouver un peu de dignité. Le rêve dura une belle paire d'heures, un moment suspendu entre histoire et rêverie, contemplation et griserie.

 

    Mémorialistement leur.




Aquarelles de Jacques Duval

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