vendredi 12 mars 2021

Hermine ...

 

Femme d’extérieur

 




Nous conserverons toujours en mémoire l’image de cette femme active, au sourire éclatant qui courait plus qu’elle ne se déplaçait dans son jardin pour satisfaire ses visiteurs afin de les laisser partir avec de quoi se nourrir durant plusieurs jours. Elle était avec sa blouse, son inséparable blouse, de celles que l’on trouvait sur les marchés, des carreaux qui se perdaient parfois dans quelques tâches éparses.



Elle parlait, avait toujours quelque chose à vous demander. Interrogeant avec une curiosité immense celui ou celle qui venait à sa rencontre. En cela, elle était le pendant opposé de son homme, Louis le taciturne, le béret vissé sur le crâne et qui de son regard de fouine se contentait de vous scruter en profondeur.


C’est ainsi que chez eux, vous aviez le droit à un double examen, un balayage superficiel fait de tout le quotidien que vous vouliez bien céder à la curiosité insatiable de Hermine tandis que Gaston vous passait au scanner de son regard inquisiteur. Mais nul malaise dans tout ça quand vous aviez perçu le double jeu de ce curieux couple qu’il m’est désormais impossible de dissocier.



Il est des gens qui se nourrissent de leurs différences. Ce devait être leur cas même si je n’ai jamais été assez intime pour vérifier ce qui n’est ici qu’une impression plus qu’une hypothèse. Hermine de toute manière n’aura pas dévoilé son univers, elle voletait, furetait dans sa cuisine, ne cessait de s’activer sans doute pour éviter de se poser et de se livrer plus en profondeur.


Elle devait le faire pour ses petits-enfants qui lui vouaient une affection sincère, profonde, empreinte au fil du temps d’une bienveillance affectueuse qui leur permettait de passer outre son incapacité chronique à tenir son intérieur. Entrer chez Hermine c’était se lancer dans une aventure, accepter son code si personnel de la tenue d’une maison ou bien de la confection d’un plat comme d’un gâteau.



L’approximatif y était la règle tandis que le nettoyage en profondeur semblait relayé aux calendes grecques. Vous acceptiez cela tant la gentillesse de la dame était éclatante, vous passiez outre vos réserves devant ce qu’on pourrait appeler un décor incertain. C’était ainsi, l’autre versant de la dame sans doute, sa face plus obscure pour justifier tant de bonté et de générosité en dehors.


Beaucoup en catimini lui reprochaient d’être négligée, souillon, de n’avoir qu’une conception élémentaire de l’hygiène, ceux-là même qui sans doute, faisaient briller un intérieur qu’ils gardaient soigneusement à l’écart des visites. Pour Hermine, c’était le contraire, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, que vous veniez tout crotté de la ferme ou bien des champs, sa porte était toujours ouverte.



Elle ne manquait jamais alors de vous servir à boire dans un verre qui manquait sans doute de clarté, tout en vous proposant une part de tarte sortie d’un moule au curieux papier sulfurisé. Parfois, elle vous proposait de manger et vous ne pouviez que vous étonner des curieux assemblages qu’elle composait, véritable plasticienne de l’improbable. Sa joie de vivre effaçait toute réserve, vous vous laissiez porter par son bonheur de vous recevoir, sans doute un peu agacé cependant qu’elle ne reste jamais plus d’une minute en place, allant et venant pour satisfaire aux exigences de Gaston tout en devançant celles de ses hôtes.


Puis son homme est parti. Curieusement, un temps elle est restée la même, ne s’écroulant pas, tenant le cap avec dignité et sa légendaire bonhomie. C’est alors qu’elle fut foudroyée par un mal sournois. Elle en perdit son dentier, disparu à jamais dans les méandres d’un système de santé bien hostile aux personnes âgées et bien vite une partie de la raison. Il fallut la placer. Elle qui n’avait de cesse d’aller et venir en tous sens passa de trop longues années, clouée sur un fauteuil, le regard de plus en plus vide au fil de ces longues années d’immobilisme forcé, les pensées enfermées dans une conscience qui s’étiolait au fil d’un temps devenu interminable.



Seuls ses trois enfants et ses très proches pouvaient encore accéder à son regard. Nous nous enfoncions dans un vide qui nous laissait mal à l’aise. Elle s’était perdue à elle-même, nous ne retrouvions plus cette flamme euphorisante d’un sourire éclatant qui jadis vous souhaitait toujours la bienvenue. La voilà partie retrouver son Gaston et son dynamisme d’antan et son autre fille prématurément, plaie à jamais ouverte. Les mauvaises herbes du paradis ont du souci à se faire pourvu que Saint Pierre ne lui confie pas l’entretien des locaux.


Affectueusement sien.


 

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