jeudi 25 mars 2021

Laver son linge sale en famille.

 

Les mésaventures d’un marinier





Il était une fois un brave homme qui gagnait sa vie en faisant commerce sur le grand chemin de l’eau qui partait de chez lui, à Roanne, pour aller s’il le fallait jusqu’à Nantes. La Loire, puisque c’est d’elle qui s’agit, venait de plus loin encore, hélas, il n’était guère possible de l’emprunter sans risquer de se rompre le cou au pire et au mieux de perdre tout son chargement. Le redoutable saut du Perron, rebutait les plus vaillants et décourageait ceux qui se montraient avisés et prudents.

 

 

Edmond partait donc, deux sapines à couple, pour un long périple. Il achetait auprès des voituriers de terre qui arrivaient de Lyon, les chariots regorgeant de précieuses marchandises. Il s’était fait le spécialiste du savon de Marseille, un produit relativement simple à transporter, facile à vendre sur la route et d’un bon rapport. Il se préparait ainsi à effectuer un long périple, il attendait le mois d’octobre pour se lancer sur les eaux, sachant qu’il pouvait très bien rencontrer des conditions défavorables avec les mauvais jours à venir. Ainsi allait la vie du gentil voiturier !


Chaque fois qu’il partait, les adieux avec sa femme étaient déchirants. C’est du moins ainsi qu’il percevait les choses. La belle Fernande se lamentait, prétendait que l’attente serait trop longue, qu’elle s’ennuierait de lui et se ferait un sang d’encre, craignant toujours le pire pour son cher époux. Leur fils unique, Pierre, était désormais un grand jeune homme qui allait bientôt quitter le cocon familial. La femme se voyait déjà veuve et seule pour le reste de son existence, c’est du moins la belle sérénade qu’elle jouait à son niaiseux d' Edmond.


Sitôt l’homme parti, la drôlesse, se réjouissait alors de n’avoir plus sur le dos, cet être taciturne et bougon. C’est la dureté de son métier qui l’avait rendu ainsi, Edmond passait de longues heures, seul sur ses deux bateaux, avec la rivière pour unique compagne. Quant aux escales, il ne pouvait guère traîner dans les tavernes, il devait rester à proximité de son chargement, la rapine était toujours possible tandis que quelques ventes pouvaient se faire et qu’il importait de ne pas les manquer. L’homme avait donc un commerce peu amène, Fernande n’était sans doute pas une femme heureuse en ménage.


Cette fois-là le voyage se déroula sans difficultés notoires. La descente fut rapide, les ventes excellentes et la cargaison entièrement partie dès avant Tours. Edmond avait deux options, vendre ses sapines et rentrer de suite ou bien trouver un nouveau chargement pour aller jusqu’à Nantes. C’est ce qu’il fit, trouvant l’aubaine d’une livraison de vin d’Amboise, fort réputé en cette époque, pour un grossiste du quai de la Fosse. Il reprit la rivière avec des tonneaux cette fois, sans avoir à jouer les démarcheurs lors de ses escales. Trois jours lui suffirent pour arriver et décharger. Il mit une bonne journée à trouver preneur pour ses sapines qui devinrent des bachots pour un train de bateaux remontant jusqu’à Orléans, chargé de mélasse.


Il avait un long trajet à rebrousser chemin, c’est à pied qu’il le faisait. Edmond avait le mollet galbé, la marche sûre et résistante. Depuis des années qu’il pratiquait ainsi, depuis ses quinze ans, il ne rechignait pas à marcher des douze heures de rang, avalant les lieues tout autant que les chopines, car cette fois, il pouvait se permettre quelques arrêts gourmands. Qu’importe s’il buvait une partie de son gain, il fallait bien profiter de l’existence. Le retour lui demanda trois semaines, si bien que Noël allait cette année se passer en famille, c’est du moins ce qu’il pensait quand il arriva chez lui, à Roanne.


Quelle ne fut pas sa surprise de trouver maison close. Il s’enquit de la raison de ce curieux phénomène auprès de voisins qui expliquèrent que le gamin, le gars Pierre avait été embarqué de force pour la conscription navale. Il se disait dans le voisinage que c’était sa propre mère qui avait prévenu les marins que son rejeton avait l’âge de partir et aucune obligation à rester sur place. La gourgandine, une fois seule, avait été aperçue avec un tonnelier d' Iguerande. Il se murmurait qu’elle était allée mettre ses jupons en perce. Pour imagée qu’elle était, cette formule désespérait le pauvre Edmond qui venait de découvrir son infortune.


Le bonhomme, ne mettrait pas le petit Jésus dans la crèche comme il s’en était réjoui sur la route. Pire même, il allait tenir le rôle de l’âne et être la risée de toute le corporation, bien prompte à se gausser des malheurs conjugaux des autres en espérant ne jamais avoir à souffrir de la chose. C’est assez curieux de la part de lascars si prompts à trousser des femmes mariées sur leur trajet qu’ils devaient bien se douter que la réciprocité pouvait être de mise.


Edmond n’avait qu’une hâte, reprendre la rivière, organiser un nouveau voyage pour quitter au plus vite une ville où on lui montrait les cornes quand il était dans la rue. Il se demandait quel chargement il pouvait bien embarquer quand une curieuse occasion en fit un larron en foire. Une cargaison d’armes de Saint-Étienne était destinée à l’Arsenal d’Orléans. La caserne des Arquebusiers, située dans le quartier Madeleine attendait avec impatience cette livraison, la Loire serait un moyen plus rapide et plus sûr de mener l’opération.


Edmond accepta l’offre, trouva au plus vite une sapine en bon état et chargea les armes. Il allait, chose inhabituelle pour lui, être en duo avec un compagnon d’armes, un gardien du précieux chargement. L’homme allait découvrir les affres du voyage hivernal, des nuits glaciales passées sous un pauvre abri sur le pont. Le marinier avait prévenu le soldat que les conditions seraient rudes, plus délicates encore que sur un champ de bataille. L’autre s’en amusa, il avait connu des conditions plus épouvantables encore, lui qui avait survécu en 1812, à la terrible retraite de Russie.


C’est ainsi que les deux hommes embarquèrent au premier jour de janvier, pour filer sur Orléans. L’affaire devait, si le temps restait au froid mais sans aller à l'embâcle, se passer l’espace d’un bon mois pour l’aller et le retour. La chance n’accompagna pas celui qui malheureux en amour était en droit d’attendre plus de bienveillance de la destinée. Le trajet cumula les retards, la glace d’abord, la débâche ensuite, une crue et une grosse avarie les mirent considérablement en retard. Le soldat, tout habitué qu’il se prétendait aux rudes conditions, ne cessait de geindre. Edmond quant à lui n’était guère pressé de revenir dans sa maison, désertée par sa luronne.


Finalement c’est à la fin du mois de février qu’ils purent enfin livrer les armes à Orléans. L’énervement fut sans doute la cause d’une circonstance qui s’avéra dramatique pour le voiturier. Dans l’empressement, le soldat lors de la livraison, laissa un fusil et de quoi le charger dans une caisse. Edmond, toujours en proie à l’envie de se venger du tonnelier et de sa femme, saisit l’occasion pour dissimuler l’arme. Elle tenait parfaitement dans son coffre de marine, celui qu’il portait sur le dos quand il rentrait à pied.


La disparition ne fut pas signalée. C’est ainsi que le Cocu revint, avec de quoi laver l’affront et son honneur. Iguerande étant sur le chemin, il fit halte dans une taverne, mena son enquête, et s’occupa à trouver alibi pour se couvrir. Renseigné sur le nid d’amour, il s’embarqua sur un bateau, un coche d’eau qui se rendait à Nevers. C’est du moins ce que chacun sur le port avait remarqué. Il profita de la nuit pour revenir sur ses pas, entra dans la demeure du voleur de femme et accomplit sa vengeance de deux coups de feu.


Dans la nuit, il refit le trajet inverse, reprit sa place sur le coche d’eau où les voyageurs dormaient profondément. Lui qui n’avait pas fermé l’œil de cette longue nuit, ne fut pas très gaillard durant la journée sans que personne ne le remarquât. Arrivé à Nevers, Edmond trouva embarquement sur un bateau qui transportait de la faïence jusqu’à Paris en empruntant le canal de Briare. Sur la route, l’homme se débarrassa de l’arme, en la glissant une nuit au pied d’un ivrogne aviné du côté de Digoin.


Plusieurs mois plus tard, Edmond était de retour chez lui. Il reçut la visite de la maréchaussée qui lui confia son malheur, le décès de sa femme tuée par un rôdeur alors qu’elle était en galante compagnie. Le policier lui expliqua encore qu’un homme avait été trouvé, ivre mort, sur les quais de Digoin avec à ses côtés l’arme du crime, un fusil de l’armée qu’il avait sans doute volé en traînant dans un port.


Edmond se trouvait ainsi veuf et blanchi. Il recommença son négoce du savon de Marseille, il avait lavé son linge sale en famille, il ne voyait pas meilleur activité pour lui. Si la morale n’est pas sauve dans cette histoire, le mari trompé avait néanmoins recouvré en son for intérieur son honneur. On peut s’en satisfaire et fermer les yeux sur cette sombre histoire de vengeance. La vie d’Edmond reprit son cours, son fils ne revint jamais de ses expéditions lointaines.


Il acheva son existence seul et sans doute porteur d’un secret qui devait lui peser sur la conscience. Ironie de l’histoire, c’est en ouvrant un bateau lavoir à Roanne quelques années plus tard, que l’homme cessa sa vie nomade. Les laveuses n’eurent jamais à se plaindre de lui, il avait depuis belle lurette cessé de jeter des yeux doux aux femmes. Chat échaudé craint l’eau froide, Edmond avait retenu la leçon.


Savoneusement sien.

 


 

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