lundi 1 mars 2021

L'Oxymoriste triste

 

Du mot à maux …




Nous vivons une époque formidable et l'inventivité des hommes n'a d'égale que leur monstruosité. Quand des êtres d'exceptions réunissent ces deux dispositions, ils sont remarqués, choyés et entraînés vers l'aventure politique. Ils deviennent ces hommes de l'ombre qui vont mettre en lumière la vacuité des hommes qui nous gouvernent.


Ils sont les ciseleurs des mots et des expressions qui vont anesthésier le bon peuple de France, si prompt à se nourrir de mots, à se gargariser d'une belle réplique, à se gausser d'une saillie verbale. Les mots pour oublier les maux, rien de bien nouveau je vous l'accorde et les beaux parleurs vivent toujours sur le dos de ceux qui les écoutent.


Chaque époque engendre des formes. Épique, romantique, allégorique, bucolique, pragmatique, …, ces genres eurent leurs orateurs. La petite lucarne d'abord et les micros capteurs universels ensuite changèrent la donne. L'homme politique se doit maintenant de maîtriser le moindre de ses mots, la plus innocente de ses phrases, la totalité de ses interventions.


Dans ce contexte, il a fallu créer des cabinets conseils, des bras droits de langue de bois, des directeurs de la communication de conscience, des lexicologues de la périphrase. Tous ces petits métiers à tisser la toile d'araignée du quotidien, vivent des temps de bombance. L'époque est propice à leur expansion, le budget de communication de l'Élysée croît de façon exponentielle.


Les plus grands manieurs de la langue deviennent « Oxymoriste politique ». Un joli métier d'orfèvre. Un diapason en main, ils font raisonner les mots, cherchant un accord mineur entre deux mots différents. Plus l'unisson sonne creux, plus l'assemblage sera goûteux. Les mots-valises sont depuis toujours ceux qui permettent de voyager loin.


Ils assemblent les contraires, les dissemblables, les improbables. Ils les griment sous une belle apparence trompeuse. Ils les détournent de leur contexte pour enrober la réalité d'une belle lumière illusoire. Magiciens, musiciens, coquins, les oxymoristes cherchent à bâtir un fossé autour du réel.

 


 


« Force-tranquille », leur maître à tous avait frappé fort, de quoi s'offrir toutes les Rolex qu'il désirait si fort. Une puissance potentielle qui restera en réserve d'une république qu'on ne violera pas, une quiétude pour les possédants qui se satisfera de l'immobilisme des structures. Tout était écrit, rien ne fut compris à temps !


« Fracture-sociale », le grand suiveur nous amusa d'une belle illusion. Une brèche qui s'ouvre, une société qui se délite et une expression placébo. Bravo l'artiste !


« Développement-durable », le Monde a pris le relais, le capitalisme s'insinue dans la pensée verte et nous vend un concept aussi creux que dangereux. Ce développement qui n'est que la forme aseptisée de la croissance, ce durable qui met le locuteur en avant : « Pourvu que ça dure aussi longtemps que moi ! ». Le durable donne une limite raisonnable au temps, celle de l'Homme.


« Identité-Nationale », notre César n'a pas usé de son « devoir-de-mémoire » : oxymore purulent sorti des ateliers secrets de l'État. Il a oublié les sinistres prédécesseurs ou l'adjectif National déclinait la terreur et la violence. L'identité, le pareil ou le spécifique, on ne peut jamais savoir, s'unit au global, au commun. Le mariage du particulier et du général. Creux et dangereux.


« Fonds-pourris », les banquiers ne sont pas en reste, ils se dédouanent ( paradis fiscal ?) magnifiquement. Le pourrissement n'est pas de la responsabilité du producteur. C'est le client qui a laissé pourrir. Négligence des autres, irresponsabilité des initiateurs. Quelle pirouette !


« Guerre de civilisation », le pompon, comme si la guerre visait à civiliser ou bien à porter la bonne parole sur ceux qui en sont les victimes. Atteindre à la dignité humaine au travers de l'usage des armes, il n'y a beaucoup mieux il me semble pour élever l'âme.


« État d'Urgence », le plus curieux mélange qui soit. L'état qui en censé tout prévoir, organisé, programmé et l'urgence qui ne se décrète pas mais s'impose à nous, malheureusement. Doit-on opposer à ce moment douloureux « La République sereine », une idée obsolète si tant est qu'elle n'est jamais existée.


« Réchauffement Climatique », le préfixe vient induire l'idée qu'il y a déjà eu sur-chauffe par le passé et que le climat suit ainsi des variations indépendantes de l'homme. On peut s'en amuser ou lui préférer « Dérèglement climatique » plus judicieux mais mais convenable.


« L'Arrêt Public en Marche » sommet de l'immobilisme social mis au service de la charge libéral, cette formule a su attirer les gogos et les félons qui se croyaient de gauche. La farce a tourné au cauchemar.


Ce mot à maux pervers et cruel n'est pas prêt de s'arrêter. On nous trompe avec notre approbation, on nous berne et on se précipite. Ces armes lexicales sont reprises, répétées et jamais réfutées. Les oxymoristes ont gagné la partie, le Monde court à sa perte.


 

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