Un
secret bien gardé.
Il
était un temps si lointain que la mémoire s’en perd dans le
souffle du vent. La nature dispensait des présents inestimables,
accordait aux humains au cœur pur des pouvoirs supérieurs qu'il
suffisait de savoir découvrir. Point n’était besoin alors de
lever les yeux au ciel pour espérer un miracle ou une intercession
illusoire.
Le
brave Merlin allait encore de par les chemins évitant le plus
possible le commerce de ses semblables qui sillonnaient le vaste
monde pour des raisons mercantiles. Pèlerin des bords de l'eau, il
arpentait rivières et ruisseaux, marchant toujours le cœur en joie,
du pas certain de celui qui n'a d'autre but que d'aller à la
rencontre d'un destin bienveillant.
Merlin
était connu des cœurs purs comme le marcheur au bâton magique.
Bien des légendes et des récits circulaient à propos de cet objet
mystérieux qui ne le quittait jamais. Bâton à paroles lors des
veillées quand il obtenait l'hospitalité contre de belles
histoires, c'était aussi un sceptre sacré aux pouvoirs étonnants.
Laissons
le vieux mage achever son chemin, le poids des ans ayant fini par
peser lourdement sur son pas et plus encore sur sa volonté de
poursuivre sa route. Ce sont deux chemineux qui attirent notre
attention : un homme François et son épouse vont au hasard du
destin. Flora est une belle sauvageonne, au visage d'ange, aux yeux
de braise qui attirent tous les regards. C’est sans doute pourquoi
son époux emprunte toujours les chemins de traverse.
Un
jour, leur longue existence d’errance se fracassa lors d’une
mauvaise rencontre vie ? tourner au drame. Flora, toujours à
quérir dans les bois les baies et les racines, les champignons et
les herbes délicates fut attaquée par un vieux sanglier, surpris
dans sa bauge et qui la chargea impitoyablement. La belle Flora
percutée par le solitaire fut projetée contre la pierre tournante
de Tavers. Le choc fut si violent qu’elle en perdit la vie.
François
fou de douleur et de désespoir, portait sa chère épouse dans les
bras. Il marchait droit devant lui comme un dément voulant achever
son existence en se jetant dans la Loire avec le corps de son
amoureuse. C’est alors que Merlin surgit comme par miracle à
l’instant où le malheureux allait mettre son noir dessein à
exécution.
Le
sage comprit immédiatement le désarroi du pauvre homme ; il
lui posa la main sur l'épaule et lui parla d'une voie douce. « Mon
ami, j'ai le pouvoir de vous venir en aide. Mon bâton est magique.
Il suffit que je pose sa pointe effilée sur le cœur d'un agresseur
pour qu'il soit foudroyé dans l'instant. Par contre, à celui qui
est parti dans le royaume des défunts, il peut redonner vie par
l'imposition de sa partie la plus épaisse sur le front. Il a aussi
d'autres vertus que je préfère ne pas divulger ! »
François,
que sa douleur avait privé de raison, s'empara du bâton et, d'un
coup d'estoc aussi soudain que traître, tua le marcheur vénérable
avec son propre secret. Sans perdre une minute, il appliqua l'autre
extrémité sur le front de la belle qui ne tarda pas à rouvrir les
yeux. Flora était revenue à la vie. Retrouvant ses esprits elle
interrogea son compagnon pour comprendre pourquoi un vieillard gisait
à ses pieds.
François,
prit soudainement conscience de son infamie. Il confessa son forfait
et rapporta les propos du vieil homme qu'il avait honteusement
trompé. Flora, humiliée par cet aveu prit le bâton des mains de
son époux. Elle le posa délicatement sur le front du Merlin qui
revint du monde des gisants. Quand le mage revint à lui il confia à
la jeune femme que ce n'était pas la première fois qu'il lui
advenait pareille mésaventure. L'envie de posséder un talisman est
souvent trop forte pour que les hommes soient en mesure de se
contenter de bénéficier de ses bienfaits. Le désir de faire le mal
est souvent plus grand que celui de faire le bien. Mais toujours, les
rescapés le ramenaient à la vie, ayant appris, durant leur voyage,
la vanité de nos désirs terrestres.
Flora
buvait les paroles du vénérable vieillard tandis que François, le
rouge au front, ne savait ni où se mettre ni que dire pour
justifier son indigne comportement. Il se força cependant à
balbutier quelques mots de contrition, embrassa une dernière fois sa
femme bien-aimée, et s'en alla sans demander son reste. Jamais on ne
le revit et il est fort probable qu'il se fit ermite pour expier sa
folie.
Merlin
était au bout de sa vie, las de tant de méchanceté parmi les
hommes, il déclara vouloir confier ses secrets à la belle Flora car
le bâton en possédait encore d'autres. Celui qui glisserait sa main
dans le cordon disposerait alors de toutes les richesses spirituelles
qu'il pourrait désirer. Quant à celui chargé d'un trop lourd
fardeau dans l'existence, il lui suffirait de porter le bâton sur
ses épaules pour soulager ses peines et ses difficultés.
Merlin
lui précisa que ces pouvoirs merveilleux ne valaient que si le
bénéficiaire potentiel de ces bienfaits avait le cœur pur et ne
cherchait pas les richesses illusoires de ce monde. Sinon, le retour
de bâton serait foudroyant.
« C'est
à ton tour, ma belle, de prendre le relais. Je suis trop las de
cette responsabilité. Je te devine assez forte pour ne pas te
laisser corrompre par les sourires enjôleurs, les grimaces
trompeuses et les courbettes fallacieuses. Tu sauras du premier
regard discerner la sincérité de la fourberie. Éloigne-toi des
grandes cités, des belles demeures et des riches contrées : les
humains n'y sont pas tous aussi convenables qu'ils veulent bien le
laisser croire … »
Merlin
confia son bâton et s'en alla sans se retourner. Son pas se fit
alors plus lourd. Son dos se voûtait à vue d'œil. Flora comprit
qui lui convenait de s’éloigner par pudeur. Elle choisit les
chemins écartés de notre Val et de nos forêts afin de dispenser
parcimonieusement les bienfaits du bâton magique.
Le
bâton magique fut alors transmis de génération en génération par
ceux qui dans la lignée de Flora avaient les mots pour toute
richesse. J’ai eu la chance d’en hériter d’une vieille
grand-mère qui me fit promettre de n’en jamais abuser.
L’essentiel, me dit-elle avant d’aller sur l’autre rive, c’est
de raconter son histoire bien plus que d’en user immodérément. Je
compte bien m’en tenir à cette promesse.
Magiquement
votre.
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