mercredi 5 août 2020

Le raffinage du sucre


Une histoire orléanaise


Les sociétés orléanaises sont les principales raffineries du royaume. On compte une vingtaine de manufactures à la fin du xviiie siècle dans la cité ; la plupart sont des raffineries familiales qui ont accumulé un capital conséquent. Elles sont spécialisées dans la fabrication de sucre raffiné et vendent leurs marchandises en gros.


Les qualités de sucre qui parviennent dans les raffineries métropolitaines sont variées. Les raffineurs utilisent surtout du sucre brut, mais, selon la conjoncture, ils peuvent acheter du terré, plus blanc, qui a été clarifié grossièrement une première fois aux Îles. Lors des transactions, négociants et raffineurs s’accordent donc sur une classification précise même si la définition de la qualité reste subjective.
Une fois l’achat conclu, le sucre est acheminé du port vers la raffinerie. La plupart des manufactures sont situées à proximité d’un fleuve pour limiter les coûts de transport. L’installation près d’un cours d’eau facilite le nettoyage fréquent des bâtiments et limite les risques d’incendie. La crainte du feu, ajoutée aux odeurs incommodantes causées par l’utilisation de charbon de terre et de sang, provoque l’exclusion progressive des nouvelles manufactures à l’extérieur des centres urbain . La peur du feu est présente dans l’esprit des orléanais et des raffineries prennent feu comme celle des Desfriges faubourg Madeleine.

À l’intérieur de la raffinerie, les ouvriers défoncent les barriques et trient le sucre en fonction de sa qualité dans différents bacs. Les sucres sont ensuite clarifiés et cuits. Les serviteurs commencent par jeter l’eau de chaux dans une chaudière, puis le sucre et le sang de bœuf. Les deux matières lient les écumes et les dépôts impurs ; elles facilitent la clarification et la cristallisation du sucre. La cuite achevée, les ouvriers remplissent de petites formes en terre qui permettent aux pains de sucre de s’égoutter et de perdre leur sirop.
Le lendemain, les formes sont montées dans les greniers où elles y restent entreposées huit jours. Enfin, les ouvriers doivent locher, c’est-à-dire sortir les pains de sucre de leur forme en terre, les gratter pour retirer les impuretés et combler les trous avec du sucre pilé. Les pains sont ensuite terrés avec de l’argile de Rouen ou de Saumur. Sur la base la plus large, l’ouvrier ajoute une couche d’argile qui, en s’infiltrant dans le reste de la forme, blanchit le sucre. L’opération est répétée à deux ou trois reprises pour blanchir les pains de sucre jusqu’à la tête, puis les ouvriers les portent à l’étuve pour durcir les pains.
Un pain de sucre réussi doit être d’un blanc immaculé, d’une forme régulière et bien sec. Afin d’assurer la qualité et la régularité de la production, les raffineurs surveillent précisément le travail des ouvriers. Sous le contrôle du contremaitre, les serviteurs sont astreints à un rythme de travail précis, marqué par la sonnerie des cloches de la manufacture. Leurs opérations sont vérifiées : chaque ouvrier qui opale un pain de sucre, pour homogénéiser la matière et la faire durcir dans la forme en terre, doit y apposer sa marque. Lorsque le pain de sucre n’est pas satisfaisant, il est facile de connaître le coupable qui se voit infliger une amende.




Les principales étapes du raffinage décrites ne subissent pas de modification majeure au cours du siècle. À Bordeaux, Orléans, Nantes, les mêmes ustensiles sont souvent prisés dans les inventaires : les « pucheux » (grandes cuillers pour éteindre les feux), les « bacs » et les « chaudières », les « poêles », les « blanchets » (draps blancs pour passer les écumes). Pourtant, l’étude minutieuse des listes d’outils et de l’agencement des bâtiments permet de repérer au cours du siècle quelques nouveautés. Les progrès dépendent avant tout de la taille de la raffinerie. À côté de grandes manufactures concentrées, riches en capitaux, de petites unités artisanales fonctionnent. Un échantillon d’une vingtaine d’inventaires et de bilans de raffineries qui détaillent les ustensiles et les marchandises met en lumière la diversité des unités de production. Ainsi, à Nantes, plusieurs raffineurs sont aussi confiseurs et épiciers. Ces artisans tiennent boutique et fabriquent à la fois dragées et pains de sucre en petite quantité, d’où leur faible investissement dans les ustensiles de production, de l’ordre de quelques centaines de livres.
Les espaces productifs diffèrent fortement entre les deux catégories de raffineurs. Les petits ateliers de raffineurs-confiseurs sont de trois à cinq pièces, assez mal identifiées – « chambre servant de travail », « laboratoire ». Les formes à pain de sucre s’entassent dans les couloirs, les appentis, les chambres et les greniers.
Dans les grandes manufactures, l’effort porte sur une plus grande rationalisation des bâtiments. L’inventaire réalisé à la mort de Jean-Pierre Ravot, un des plus grands raffineurs orléanais, met en évidence la spécialisation de l’espace industriel. Les bâtiments de la manufacture sont estimés à 165 000 livres et l’actif total mentionné dans l’acte de la société à plus d’un million de livres en 1778. La manufacture se compose de cinq corps de logis : une « halle aux chaudières » carrelée où sont cuits les sucres, un « empli » destiné à remplir les formes de sirop de sucre, « trois étuves » pour sécher les pains, une « chambre à ployer » où sont emballés les pains de sucre et une multitude d’entrepôts, « magasin des bacs à sucre », « magasin servant à raccommoder les formes », « magasin des poids et des tonneaux », « magasin des bacs à sucre ».


Le deuxième progrès perceptible dans les manufactures concerne l’outillage. Les industriels investissent dans un jeu de plusieurs chaudières de cuivre, encastrées dans les murs et chauffées par des foyers souterrains. En 1784, la raffinerie Vandebergue possède ainsi « 4 chaudières de dessus les fourneaux » en cuivre, estimées à 3 920 livres et pesant chacune 700 livres. Son confrère Ravot a installé le même nombre de chaudières « montées dans la halle », estimées avec leurs soudures en plomb et leur maçonnerie à 9 715 livres, et trois étuves prisées près de 3 000 livres.
Dès 1725, la raffinerie de la veuve Vanbredenbec, à Angers, possède un système de pompes et de tuyaux qui conduit l’eau de la Maine dans « plusieurs endroits de la raffinerie ». Dans la raffinerie orléanaise Vandebergue, pour laquelle les inventaires ont été conservés régulièrement de 1719 à 1793, un nouvel ustensile fait son apparition en 1779 : les chaudières roulantes. Chez Ravot, de nombreux « tuyaux de communication » sont prisés en 1778 ; l’outil permet de relier les chaudières les unes aux autres pour éviter aux ouvriers d’avoir à porter les sirops brûlants.
Ces aménagements évitent en partie les accidents du travail, très courants. La manutention du sucre bouillant est délicate : les corps ploient sous le poids des lourdes bassines de cuivre et le sol est rendu glissant par les projections de sucre fondu. En se penchant pour verser le sucre ou l’eau de chaux, certains ouvriers tombent dans les chaudières et se brûlent grièvement. Des cas d’accidents mortels sont relatés par les propriétaires de raffinerie ou dans les journaux d’annonces. Ainsi, lors de sa faillite, le raffineur Martial Gauthier rappelle la mort de l’un de ses ouvriers : « j’ai essuyé différentes pertes tant par la cessation des travaux durant 3 mois […] qu’autres accidents notamment celuy arrivé pour un de mes hommes tombé dans la chaudière à la connaissance de bien du monde à Nantes ».


Une autre manière de raconter

http://chroniques-ovales.over-blog.com/2020/08/le-cheval-rouge.html

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