Quand
cesse de jouer la harpe.
Il
était une fois, en une époque heureuse, un peuple qui vivait en
harmonie avec la nature. Chacun respectait la Terre, la mère de
toute chose. Puis vinrent les grandes civilisations, elles avaient
des cultes guerriers et l’envie d’installer la domination des
hommes sur tous les autres passagers de notre belle planète et le
désir de plier toutes les choses de la création à sa fantaisie.
Lug
avait eu son heure de gloire. Il avait été celui qui gouvernait la
grande harmonie entre toutes les composantes de l’humanité. Son
temps avait duré, puis d’autres croyances arrivèrent, portées
par le glaive et il avait dû se cacher dans nos forêts profondes.
Il continuait ainsi à enseigner les arts et la philosophie, à
commander les lumières et les moissons. Il était encore vénéré
par les druides, ces sages d’entre les sages qui avaient subi en
silence les persécutions des romains avant de voir arriver, une
nouvelle religion, dont ils ne perçurent pas le danger à temps.
Nous
sommes en 511, Clovis, le roi Franc a pris le contrôle du pays. Son
baptême lui a servi de prétexte ou d’occasion pour imposer son
pouvoir et une religion qui va se confondre à merveille avec le
pouvoir. Le Concile qui convoque à Aurélianis, l’ancienne Cenon
Celte, réunit 32 évêques qui sont décidés à jeter les bases
d’une nouvelle époque, d’une autre société après la
disparition de l’Empire romain. La fable du dragon, tué par le
brave Mesmin s’inscrit dans ce mouvement de fond pour impressionner
les naïfs et plier le peuple sous le joug d’une croix.
Le
10 juillet Clovis et les évêques sont particulièrement heureux du
travail théologique accompli. Le concile s’achève, ouvrant grand
la voix d’une religion d’état. Il convient de faire grande fête
et banquet idoine pour se séparer après dix jours d’un intense
labeur. On se distrait, on boit beaucoup, on mange plus encore. Les
vœux de sobriété et de chasteté ne sont que de lointaines
chimères. Les trognes sont rubicondes, le ton léger et les propos
graveleux quand surgit un vieil homme, usé par les années, marchant
fièrement vers la table circulaire des joyeux convives épiscopaux.
Il
s’appuie sur une grande lance en if, arme redoutable qui lui sert
désormais de canne, il dispose d’une fronde à sa ceinture,
souvenir d’un temps où il avait été invincible. L’homme est
suivi par son fidèle sanglier, emblème de sa puissance et de son
autorité passées, qui demeure pour lui son inséparable compagnon.
Le silence se fait alentour, les évêques en goguette et le chef de
guerre en décadence se taisent, frappés par l’autorité naturelle
de celui qui est pourtant en haillons. L’homme lève la main, une
main démesurément longue, un détail qui lui donne encore plus de
majesté pour obtenir dans l’instant le silence.
L’homme
veut parler. Il s’adresse d’instinct à Clovis, lui demandant
l’autorisation de lui raconter la grande histoire de ce pays afin
de l’édifier et de le préparer à la grande fonction qu’il
vient de s’accaparer. Le roi lui répond narquois que l’histoire
débute avec lui, qu’il vient d’écrire la première page mais
qu’il est disposé à l’écouter pour se distraire un peu des
balivernes d’autrefois, de ces temps anciens qu’il vient de
révoquer. On rit parmi ceux qui sont assis devant des mets tout
juste entamés et des coupes encore pleines.
Le
vieillard se redresse, son port de tête altier efface les sourires
et les derniers murmures. Il regarde fièrement les convives; il
attend que le silence se fasse totalement, que tous aient déposé
écuelles et coupes, victuailles et ripailles. Alors, sans qu’il ne
fit le moindre geste, sa harpe se mit à jouer seule, un air
envoûtant et mélodieux semblant sortir des nues. Il commença son
long monologue dans un silence de cathédrale.
Il
raconta la grande légende de ce pays quand les fées et les elfes,
les mages et les guerriers au grand cœur; les sorciers et les lutins
dirigeaient le grand bal du sabbat. Il se fit tout autant le chantre
de la nature, de tous les animaux qu’il convient de respecter et
d’honorer quand on fait sacrifice pour s’en nourrir. Le sanglier
dansait à ses pieds, donnant à ses propos encore plus de majesté.
Un frisson parcourut les auditeurs. Ils avaient entendu ce récit
qu’ils prenaient pour de vieilles fredaines. Il revenait à leurs
oreilles, eux qui ne voulaient rien en croire.
Seul
Clovis souriait. Il ignorait tout de ces fariboles et ne voulait
surtout pas leur donner crédit. Il était chef de guerre, de ce
métal qui ne ploie sur aucun conte de fées. Il n’accordait aucune
importance à ce discours qu’il tenait pour des sornettes de
vieilles femmes. Comme il était le roi, bientôt son comportement
irrespectueux fit boule de neige. Un à un les prélats se mirent à
rire, imitant en cela celui qu’il convenait de suivre. Le conteur
n’en continua pas moins son récit, il avait tant à dire. Plus il
avançait dans son récit, plus sa voix tonnait et plus le brouhaha
couvrait ses propos.
C’est
alors que Licinius, l’évêque de Tours se leva. Il était assis à
la droite de Clovis au grand dam de Eusebius, son collègue
d’Aurélianis. Déjà la rivalité entre les deux grandes cités
ligériennes pointait le bout de son nez hideux. On voit que cela
remonte à fort loin et qu’il n’est rien qui puisse changer le
cours des choses. L’homme voulait se faire bien voir de son mentor.
Il voulait faire un coup d’éclat. C’est ainsi qu’ont toujours
agi les valets quelles que soient les époques !
Licinius
s’approcha du vieillard et d’un geste démonstratif, brisa la
lance magique du conteur vénérable. La harpe sur le champ s’arrêta
de jouer, le sanglier dans l’instant de danser et de menacer de
charger l’indélicat. Son maître de le calmer avant que d’être
pris de tremblements. Il s’étranglait d'une indignation qu’il
parvint à contenir. Il savait son temps révolu. Il flageola sur ses
jambes. Il allait tomber quand un serviteur, un homme resté fidèle
aux anciens cultes celtes, se précipita pour glisser un tabouret
sous lui afin qu’il ne tombât pas. Lug, puisque c’était lui qui
était venu à la rencontre des nouveaux maîtres du pays, cessa de
parler. Il était blême, il se voûta plus encore.
Ce
fut un éclat de rire général parmi les convives. Le voilà bien
celui qui voulait se dresser contre la nouvelle foi. Il était
démasqué. Clovis appela un soldat et le pria de porter l’estocade
au vieillard. Le séide s’empara de la partie ferrée de
l’ancestrale lance brisée et frappa au cœur le pauvre homme. C’en
était fini des cultes Celtes, le dieu Lug se mourait sous les yeux
hilares des officiants du nouveau dieu.
C’est
Aventin, le premier Évêque de Chartres, la cité phare des cultes
anciens qui se dressa, porté sans doute par le remords et des restes
de dévotion. Il portait une humble coupe d’argile cuite pour
recueillir le sang qui coulait du flanc de celui qui se mourait,
trucidé par le bras séculier de la force injuste du pouvoir. La
légende du Graal pouvait naître, la grande table était ronde,
toute la littérature médiévale allait s’emparer des cultes
anciens pour en faire une formidable épopée.
Lug
cessa de vivre et c’est à cet instant qu’il rentra à jamais
dans le Panthéon des dieux des mythologies oubliées. Que sa gloire
soit à jamais célébrée. Les hommes ne peuvent rien contre ceux
qui racontent des histoires et honorent la mère Terre. Lug sera de
ceux-là pour l’éternité. Clovis et les évêques ne furent quant
à eux que de passage dans cette vallée de larmes.
Mythologiquement
sien
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