Les
commentaires de la toile.
Bien
que baignant depuis sept années dans la grande vague de la toile,
cet univers aux codes abscons m'échappe encore. On se perd dans un
vocabulaire secret, ésotérique, énigmatique, confus ou hermétique,
on y ajoute des règles non écrites qui fleurent bon l'implicite
pour joyeux experts. N'étant pas adepte des groupuscules
initiatiques, je poursuis ma route sans apprendre le code interne, ce
qui me permet d'observer à distance ce petit monde étrange et
écrivant.
La
première dérive de ces différentes castes consiste à créer des
univers clos alors que la fonction même du Net c'est d'accéder à
l'universel. Il semble que le quant à soi est souvent recherché par
des gens qui, paradoxalement, se sont trouvés grâce à cette
formidable loi de l'aléatoire et du hasard cumulés. Ils se plaisent
alors à se retrouver sur des valeurs tout en pourfendant sans nuance
celui qui vient leur apporter un peu de contradiction.
On
se reconnaît, on se coopte, on se fait la cour, on se protège des
importuns. Quand un groupe a pris une taille suffisante, il se ferme,
se coupe du monde extérieur pour tourner en rond sur des connivences
qui ne seront plus jamais menacées. Le confort du connu, la
certitude de l'accord. Nous retrouvons cette sensibilité frileuse
qui pousse certaines personnes à retourner toute leur vie sur le
même terrain de camping.
La
deuxième perversion est celle du langage codé. La langue est
devenue la plus belle manière de se couper des semblables. La chose
n'est pas nouvelle et des argots à l'imagination foisonnante sont
nés de cette volonté du repli. Ici, l'anglicisme et le langage
technique m'apparaissent être les points d'ancrage de cette langue
vernaculaire des autochtones du blog.
J'ai
choisi de riposter par un usage qui peut paraître pédant de cette
pauvre langue française, malmenée par les tenants d'une modernité
qui suppose l'usage d'un baragouin comprimé, langue fade et sans
nuance, syntaxe martyrisée et abandon des nuances d'une conjugaison
qui se décline maintenant sur un mode unique. Certains s'indignent
de devoir user du dictionnaire pour me lire, que devrais-je leur
répondre, moi qui n'ai d'autre recours que celui de m'arracher les
cheveux ?
La
troisième régression est celle du bastion idéologique. Les chevaux
de frise sont sortis pour établir des frontières infranchissables
entre les différentes sensibilités. Des miradors sont installés et
des francs-tireurs veillent et tirent à vue sur l'imprudent qui
s'aventure sur des terres vierges de tout désaccord. Les avatars
symbolisent l'appartenance à un camp ou à un autre, les territoires
sont hermétiques, le débat laisse place à l'invective, à
l'anathème, à l'insulte quand un malheureux se trompe de chapelle.
On
se répète les mêmes arguments : ceux qui ne posent aucun
problème de conscience. On tourne en boucle sur des convictions qui
se nourrissent d'elles-mêmes sans prendre le risque d'affronter
leurs contraires. On méprise le camp d'en face, on se gausse de ces
pauvres types qui ne comprennent rien à rien, on ne doute pas une
seconde de détenir toute la vérité. La tolérance n'a sans doute
pas trouvé, ici, l'espace à laquelle elle pouvait prétendre en
profitant de ce formidable vecteur de l'opinion.
Un
dernier volet complète le précédent. Les bastions idéologiques ne
suffisent plus. Il y a des tenants de l'épuration des consciences.
Il faut gagner la bataille des idées par des attaques , des raids
guerriers pour décourager l'adversaire : la bande d'en face.
Les trolls se font fort de décourager le brave blogueur, les bandes
se conduisent comme des charognards, fondant sans vergogne sur celui
qui pense si mal.
Deux
méthodes s'affrontent suivant la sensibilité du camp prédateur.
Les légalistes qui saisissent les organismes de modulation, de
modération, font appel à la loi, à la morale et à la courtoisie
qui m'est si chère. Les agressifs qui cherchent à vampiriser
l'ennemi, à le priver de son sang et de sa sève, à le harceler
sans trêve ni propos bienveillants.
Les
coups bas sont nombreux, les vilains plus nombreux encore. On
s'écharpe, on s'étripe, on se déchire avec une délectation qui ne
cesse de m'interroger. On se refuse au dialogue, au débat, à la
réflexion. C'est la foire du ton comminatoire, de l'agression
verbale, des borborygmes dégradants pour celui qui en use. La
distinction ne s'épanouit que trop rarement dans ce petit monde
nauséeux.
L'homme
est ainsi fait qu'il doit tirer le pire de ce qui est bien. Chercher
la querelle en maniant les mots, en acceptant la contradiction ne lui
suffit pas : il faut abattre, éliminer, écarter ou ignorer. La
paix universelle n'est pas pour demain. Fort heureusement, il
semble, malgré tout, que l'on puisse trouver un petit répit à
force de constance, à force de courtoisie. C'est ce à quoi je suis
parvenu depuis tout ce temps, en écartant progressivement tous ceux
dont j'ai évoqué les travers et qui ont fini par se casser les
dents sur ma volonté de toujours répondre convenablement à leurs
saillies verbales. Je croise les doigts pour que ce miracle perdure
encore longtemps.
Sémiologiquement
vôtre
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