vendredi 5 avril 2019

Vingt-quatre heures cuistot


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En direct des Terrasses.


Gourmand devant l'Éternel, j'ai toujours voulu voir de l'intérieur la vie d'une cuisine au sein d'un restaurant de tradition française. Patrice et Valérie m'ont permis de satisfaire ma curiosité maladive. C'est armé de mon tablier de cuisine et de mon inséparable ordinateur portable que je fis donc irruption dans ce temple de la gastronomie locale.

Il est 18 h 30, ce vendredi, Patrice est, depuis une demi-heure déjà, sur le pont à bricoler. L'homme sort juste d'une petite intervention chirurgicale le mercredi pour une petite hernie. Le chirurgien lui a demandé de rester tranquille durant trois semaines mais bien sûr, deux jours plus tard, il est déjà à ses fourneaux. Les deux premiers employés arrivent, Quentin apprenti cuisinier en deuxième année, Noémie en mention complémentaire «  dessert de restaurant » après deux années de pâtisserie classique.

Au service Jeferson assure l'accueil des client en compagnie de la maîtresse de maison avec Nadia, lycéenne en première, qui fait des extra comme serveuse. Le fils de la maison vient faire la plonge quand il y a le coup de feu. Belle-maman, ancienne plongeuse du restaurant précédent, vient rendre visite à l'équipe. Thierry, l'éminence grise de la cuisine, a croisé ma route quand il jouait au rugby sous mes directives ; il s'est mis au boulot sans que je le voie passer.

19 heures, tout le monde est sur le pied de guerre. J'ai écrit ces quelques lignes en écoutant le patron me vanter l'ambiance de sa jeune équipe, le plaisir qu'il avait d'avoir des employés capables de répondre toujours présents aux impératifs d'un métier complexe et exigeant. Pendant que le chef parlait avec le curieux du jour, sa brigade s'était mise en branle sans qu'il ne demande rien.

J'enfile mon tablier de cuisine pour aller observer de plus près l'animation qui règne dans le laboratoire. Thierry coupe des pommes de terre tout en surveillant deux ou trois cuissons, prépare une sauce au poivre et au Porto ainsi qu'une autre sauce au whisky et à l’échalote. Quentin se charge de la mise en bouche : une purée de pois cassés ; il n'a pas pris le récipient adéquat, d'une remarque moqueuse, le chef le lui fait remarquer.

De son côté, Noémie prépare sa sauce caramel et annonce sa proposition du soir. Patricia retient la longue description qu'elle proposera ensuite aux clients sous l'appellation prometteuse de « Dessert de l'artiste apprentie ». Pour vous mettre en appétit tandis que la brigade s'active dans une sérénité qui n'est pas l'agitation des émissions télé, je vous nomme cette merveille : « Tartelette au chocolat sauce caramel avec des brunoises de poire de Semoy déglacées à la poire d'Olivet, accompagnée d'un beurre de cacahuètes et de noisettes caramélisées … »

Le chef a profité de son après-midi pour ramasser quelques lactaires délicieux qui vont venir améliorer l'ordinaire déjà fort convenable. Quand on est maître-restaurateur on s'honore de tels petits détails qui apportent cette touche si particulière qui fait que les clients reviennent avec plaisir. Hélas, les champignons seront réservés au personnel : la législation interdisant une telle pratique. Si les Terrasses servent de la friture de Loire c'est que Robert, le pêcheur professionnel, leur fournit sa récolte du jour.

Le pain sort du four, il est préparé juste avant l'arrivée des clients. Ceux-ci tardent à franchir la porte ; il est déjà 19 H 45 quand un couple d'habitués fait son apparition. Ils sont comme chez eux ici. Il y a une surprise pour les amis : le patron leur offre au comptoir, une coupe et des œufs brouillés avec ses merveilleux champignons qu'il a magnifiés avec amour. Ce n'est pas vendu, c'est simplement le plaisir, la convivialité élevée en principe de vie.

Je repasse en cuisine et je comprends que ce principe s'applique à la lettre avec l'équipe. Il y a du bonheur devant le piano, c'est une évidence. Pas de cris, pas de coup de gueule : ce qui se trame en coulisse est en rapport avec la sérénité des lieux. Je suis surpris que tous parviennent ainsi à maintenir ce climat tandis qu'il faut envoyer les plats au rythme souhaité par les clients.

J'en ai assez vu ; je me fais client à mon tour, passant de l'autre côté du décor afin de profiter de cette belle ambiance. J'opte pour le menu du marché, un trait d'union avec le rendez-vous du lendemain matin. Il est minuit quand nous nous quittons ; les patrons ont laissé filer leur belle équipe, ils rangeront encore deux ou trois choses avant de regagner leurs pénates.

Tardivement leur


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Le lendemain au Cabinet Vert.



Leur sommeil a dû être court. À 7 h 30, ils sont tous deux sur le marché. Valérie ouvre sa buvette, Patrice se fournit en légumes chez un maraîcher spécialiste des légumes anciens et adepte d'une agriculture raisonnée de bon aloi. C'est d'ailleurs chez cet ancien joueur de rugby que je me fournis moi aussi depuis fort longtemps.

Valérie assurera sa mission sur le marché, offrant café et chocolatines aux clients comme aux vendeurs, accueillant les uns et permettant aux autres de faire un pause chaleureuse. De curieux lascars viennent perturber son estaminet en ouvrant des huîtres. C'est un petit plus qui va égayer la matinée et ravir quelques gourmets. La buvette fermera à 13 heures, Valérie se dépêchant de regagner son restaurant.

Il y a longtemps que Patrice s'est mis en action pour faire avancer le travail, préparer les légumes afin qu'ils puissent rapidement entrer dans une composition. Sa brigade le rejoint et chacun s'est affairé. C'est un temps calme, ô combien nécessaire, pour que, lors du coup de feu, tout se passe le mieux possible.

Le fameux coup de feu ne manquera pas de survenir. Le restaurant va recevoir près de 40 clients qui vont mettre la brigade en ébullition. J'ai peur de déranger ; chacun allant et venant à un rythme qui ne supporte pas un inactif prenant des notes. Là encore, le calme l'impressionne alors que chacun semble se multiplier, réalisant dans le même temps plusieurs tâches.

C'est un bonheur de les voir s'activer, de comprendre que chacun a son rôle dans cette chorégraphie mystérieuse, dans ce mouvement incessant qui aboutit à la création dans le même temps des plats pour une même table. Cela tient de l'alchimie et du miracle. Il y a là une science des cuissons, de la chronologie des tâches qui m'émerveille. C'est, à n'en point douter, un métier bien loin des agitations domestiques que je peux avoir dans ma cuisine.

Je suis ébloui de ce ballet qui ne prendra fin qu'à la sortie des derniers convives. Je suis encore admiratif devant le souci du cuisinier et de son inséparable second qu'il ne soit rien perdu, que les assiettes reviennent vides, que les poubelles ne regorgent pas de déchets. Il y a là plus qu'un souci louable, c'est une ligne de conduite, un impératif qui affirme les valeurs de la maison.

Quand le calme est revenu, l'équipe, après avoir nettoyé le laboratoire, se retrouve pour prendre tranquillement un repas. C'est le même menu que pour les clients ; Patrice tient à ce que son personnel soit traité de la même manière. Il met également un point d'honneur à ce que ce repas ne précède pas le service et ne soit avalé à coup de lance-pierre.

C'est le moment de décompresser, de plaisanter, de se chambrer un peu. C'est encore l'heure d'un bilan dans le calme, de quelques remarques qui passent mieux qu'à chaud. Il y a un esprit de famille ; les patrons sont heureux de me raconter qu'ils ont emmené leurs enfants et leur brigade au Puy du Fou pour une sortie de fin d'année. C'est l'esprit de la maison, ils y tiennent.

L'heure est largement dépassée. Dans ce métier, on ne regarde pas la pendule, ou bien cela n'a plus aucun sens. Il est 15 H 30 quand chacun va goûter un petit repos mérité. Patrice reste sur place ; il a un projet d'aménagement de son restaurant afin qu'il retrouve son nom historique : celui qui n'a jamais disparu dans le cœur des Orléanais. Ce sera chose faite l'année prochaine avec des travaux qu'il faut surveiller attentivement.

Il est 18 heures, la brigade reprend le collier. Je les laisse, ayant un autre rendez-vous à honorer. J'ai passé vingt-quatre heures cuistot avec eux et je suis admiratif et épuisé. Eux sont en pleine forme. Quel est donc ce miracle qui leur donne une telle énergie ? Je leur avoue une dernière fois mon admiration. Cette activité n'est pas qu'un simple métier : il y a quelque chose qui relève de la vocation, d'un art de vivre, d'une conception du partage qui me fascine.

Si vous passez en bord de Loire, prenez donc la peine de leur rendre une petite visite. Venez de ma part ; il n'est pas impossible que la patronne vous offre un petit verre de nos bons vins de Loire. Valérie a d'ailleurs une connaissance des vins qui vous enchantera. Ne tenez pas compte des affirmations vont au fil de l'eau ; c'est bien ici la plus belle Terrasse qui donne sur la Loire ! Et bientôt le restaurant redeviendra Le CABINET VERT

Admirativement leur.

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