Saumur
fête la Loire.
À
l'invitation du président des mariniers de Saumur, je me suis rendu
dans cette charmante sous-préfecture en compagnie de mon ami le
Pirate de Loire, photographe de passion. L'un avait ses livres et
l'autre ses magnifiques clichés pour tenir un stand lors de cette
fête en bord de Loire. Nous y retrouvions amis et connaissances,
tous des fondus de cette drôle de rivière qui n'en finit pas de
nous faire parler.
Parler,
c'est justement ce qu'Edmond, le président homme-orchestre de cette
belle manifestation attendait de votre serviteur. L'homme avait sorti
de son chapeau une bien curieuse idée : m'associer à une
chorale locale pour un spectacle permettant aux Saumurois d'attendre
les explosions multicolores du feu d'artifice.
Allumer
la mèche, en quelque sorte, était donc la mission de cet assemblage
hétéroclite entre des chanteurs distingués, tout de noir vêtus et
un pauvre berlaudiaud, perdu loin de ses terres habituelles. En
quelques messages, la mayonnaise était censée prendre par la bonne
volonté des uns et des autres et le miracle du bon vouloir de tous.
Bernard, le chef du chœur, n'était pas inquiet même si l'homme me
semblait plus soucieux qu'il ne voulait le laisser paraître.
Je
donnais le change, ne voulant pas montrer mon habituelle inquiétude,
feignant comme toujours la décontraction. Il me fallait trouver
place dans cet ensemble et son programme sans perturber les chanteurs
ni tomber à plat par des interventions mal à propos. La première
partie faisait place à un répertoire traditionnel de chants marins.
J'avais sans doute ma place à la condition de ne pas tirer la
couverture à moi, d'autant plus qu'il faisait fort chaud en cette
belle soirée de juillet.
La
seconde m'interrogeait davantage. Comment allais-je ne pas être un
cheveu sur la soupe dans ce joli répertoire de cabaret avec des
chansons passées dans la mémoire collective ? Il me fallait faire
dans la discrétion et entrer véritablement dans le conte qui fait
pleurer dans les chaumières. Pas vraiment l'idéal lors d'une fête
populaire où la foule se masse simplement pour admirer la belle
bleue !
Nous
nous lançâmes à l'eau même si celle-ci venait à manquer
cruellement dans notre Loire. L'étiage bat cette année des records
amplifiés par un ensablement qui ne cesse d'inquiéter ceux qui
aiment la rivière. La sécheresse alarmante et les erreurs des
décennies passées faisant le reste, la fille Liger se languit entre
bancs de sable et empierrements mis à nus.
Mais
revenons à nos chats noirs chantants. Ils étaient nombreux :
une bonne trentaine de chanteurs accompagnés de musiciens :
accordéoniste, guitariste, clarinettiste, violoniste, claviste. La
scène était bien petite pour ce bel ensemble et je passai le plus
clair de mon temps au pied de celle-ci. J'allais et venais, jouant le
monsieur à peine loyal pour des chats de gouttière que je taquinais
un peu.
Un
petit public s'installa devant notre prestation tandis que l'immense
foule, ne voulant sans doute pas manquer la première fusée, nous
tournait le dos pour attendre, à la bonne place, la nuit tombante.
Ingratitude ou indifférence, qu'importe, puisqu'une poignée de
curieux était à notre écoute. Prêcher dans le désert avec autant
de sable dans la Loire ne fait que préfigurer l'avenir probable de
la rivière.
La
représentation eût été agréable si la multitude n'avait décidé
de passer et de repasser inlassablement au pied de la scène. Je
remarquai bien vite une femme particulièrement remarquable, tant par
son accoutrement que par sa prestance. On ne pouvait la manquer,
d'autant qu'elle allait et venait de son allure pachydermique
pratiquement une fois par chanson ou conte.
Je
finis par en prendre ombrage tant ce manège illustrait à merveille
l'irrespect de tous les autres. Je fis alors quelques grimaces,
singeai les passants indifférents, me moquai, tançai, fis les
gros yeux mais ce fut en vain. La foule et particulièrement la dame
indigne se moquaient bien des pauvres saltimbanques qui s'agitaient
vainement pour faire passer le temps. Les spectateurs attentifs
s'amusèrent de mes vains efforts, ils rirent de mes rodomontades
sans effet, ;certains tentèrent même de faire barrage au flux
ininterrompu. Rien n'y faisait : devant la scène, passait sans
doute le GR du Mont-Blanc …
N'en
pouvant plus, j'interrompis une intervention. Si chanter est possible
dans pareil contexte, conter devant des ombres fugaces devenait
impossible, d'autant que la dame infernale n'en finissait pas de
vouloir jouer l'étoile filante. Cette fois les spectateurs prirent
totalement parti pour les pauvres marionnettes de la scène. Ils
firent un pas, deux pas, puis finirent par s'avancer jusqu'au podium
pour barrer le chemin des vagabonds de l'artifice.
Pour
les remercier, je leur offris alors un conte à vous tirer des
larmes. Ce qu'ils firent comme des grands enfants qui se prenaient au
jeu des peurs enfantines. Les vrais gamins ouvraient des yeux à
décrocher la lune, tremblaient et se figeaient dans la position de
ceux qui ne veulent pas en manquer une miette. La prestation pouvait
laisser place aux fusées éclairantes, aux pétarades et à
l'émerveillement de la foule enfin immobile. L'honneur était sauf.
Que
les organisateurs songent à l'avenir à ne pas mettre un podium en
travers du chemin de la masse mouvante. Celle-ci ignore tout des
règles qui autrefois prévalaient concernant le respect du travail
d'autrui. Désormais, le rouleau compresseur de l'irrespect
systématique balaie tout sur son passage. Parlant fort, téléphonant
ou écoutant leur propre musique, en bandes compactes, les hordes
mouvantes sont indifférentes aux autres.
Quant
à la dame imposante, j'allai courtoisement la remercier de m'avoir
ainsi déconcentré avec une remarquable constance durant toute la
prestation. Elle ne comprit rien à mes propos et je doute fort
qu'elle ne sache jamais se préoccuper des autres, ayant tellement à
faire avec son incontournable personne. C'est bien elle qui est la
plus à plaindre et il n'est pas impossible qu'elle devienne, à son
corps défendant, personnage d'un conte prochain. On s'offre les
petits plaisirs qu'on peut …
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