lundi 22 avril 2019

Mon étang du Puits.



Notre Côte d'Azur …





Je vous parle d'un temps où apprendre à nager n'était pas donné à tout le monde. La France ne disposait que de trop rares piscines et elle venait de tourner le dos aux rivières où traditionnellement les gens aimaient à se baigner. J'ai encore en mémoire cette plage surveillée devant le château dans mon petit village, cette longue plage et cette foule qui se prélassait au soleil ligérien.

J'étais trop jeune sans doute pour prendre des cours de natation. Je garde pourtant un souvenir précis de notre plage d'alors. L'eau était d'une saleté répugnante : la Loire était alors un égout à ciel ouvert. Je revois encore l'eau chargée de particules et de déchets humains, le courant qui imposait à la baignade un sens unique et l'odeur qui nous imprégnait à notre retour.

Puis les années suivantes, la plage fut fermée ; le maître nageur était parti vers des cieux plus cléments. Les enfants du coin n'apprenaient pas à nager si leurs parents ne les conduisaient pas dans une piscine ou bien à la mer. Ni à l'école primaire ni ensuite au collège, le savoir nager n'était à l'ordre du jour ; ce qui ne nous empêchait nullement de traverser fréquemment notre Loire.

C'est aux alentours de mes 12 ans que mon père prit le taureau par les cornes. Il me fallait apprendre à me débrouiller dans l'eau, à pouvoir me sortir d'une situation périlleuse. Il me conduisit, d'un coup d'Estafette, jusqu'à l'étang du Puits afin de m'inscrire auprès du maître-nageur, côté Cerdon. La nuance est d'importance : à l'époque il y avait ceux qui choisissaient Cerdon et d'autres qui allaient chez l'ennemi : du côté d'Argent, dans le Cher, un autre monde…


Ainsi donc, j'allais prendre des cours de natation et, pour ce faire, il me faudrait me rendre à l'étang du Puits à bicyclette. Un périple d'une vingtaine de kilomètres sur une route parfaitement rectiligne où les voitures et surtout les camions allaient grand train en un temps où les limitations de vitesse n'existaient pas. Je me souviens encore de ce courant d'air qui nous déstabilisait au passage d'un bolide ou d'un gros cul qui ne prenait pas la peine de s'écarter de nous.

Nous, car je n'étais pas seul. Un petit peloton s'organisait au départ de l'église Saint Germain. La joyeuse troupe partait matin, ravitaillement et boules de pétanque dans un sac, pour une longue journée à la plage. Il y avait l'arrêt à Cerdon, les premières rencontres avec des jeunes de là-bas. Puis les derniers kilomètres pour rejoindre notre lieu estival.

Au fil des années, le groupe s'étoffa, le parcours s'allongea afin de récupérer les camarades de Viglain et Villemurlin. J'avais appris à nager plus mal que bien, tout en intégrant cette destination dans mes habitudes estivales. La bande se fit groupe important, la motorisation vint, facilitant les détours et les préoccupations nouvelles. Les détours visaient désormais à rejoindre quelques demoiselles qui firent partie du groupe.

Cerdon devint notre point de ralliement. Nous nous donnions tous rendez-vous dans le bar de la place de l'église, pour y faire quelques parties de billard trois boules et boire- nos parents n'en savaient fort heureusement rien- des bières Picon-citron … À l'aller comme au retour, la pause s'imposait, histoire également de prolonger les conversations avec les filles de Cerdon ! Tout cela d'ailleurs se termina plus tard par un mariage : Jean Michel ayant trouvé une Cerdonaise à son goût.

C'est pourtant à l'étang du Puits que notre joyeuse troupe donnait sa pleine mesure. Nous prenions d'assaut les grosses chambres à air de tracteur qui nous servaient à toutes les pitreries possibles, sur et en-dehors de l'eau. Nous investissions la place avec l'assentiment du maître-nageur, toujours le même, qui se joignait à nous pour de terribles parties de pétanque. Le spectacle était tout autant dans nos forfanteries que dans nos exploits boulistes.


Nous faisions grand tapage ; nous étions les maîtres de ce lieu et je plains maintenant sincèrement les familles qui venaient en cette plage chercher le repos et la quiétude. Ce fut pire encore lorsque je reçus un lot de frisbees, produits publicitaires de la marque Shell. La fréquentation de la zone devenait particulièrement risquée. Les rares moments de répit pour le quidam estival survenaient quand nous prenions tous d'assaut le ponton installé à quelques brassées de la rive. Durant ces instants, les bords redevenaient paisibles …

Le pire, naturellement étaient les rares confrontations avec ceux d'Argent. Un concours de pétanque servait le plus souvent d'occasion pour franchir la digue : la ligne de démarcation entre ceux du Loiret et les autres. Nous n'étions guère malins dans cette séparation géographique qui semblait ne jamais supposer d'exception jusqu'au moment où filles de Brinon vinrent troubler nos certitudes.

Les années passèrent ; nous pensions notre amitié indissoluble, nos vacances à l'étang du Puits éternelles, nos plaisirs simples suffisants pour ne jamais nous en lasser. Hélas, les premières voitures vinrent bouleverser la donne. Certains pouvaient aller plus loin, aller vers de nouveaux horizons. Nous avions pour beaucoup des emplois d'été qui nous éloignaient de notre cher étang du Puits. Les uns étaient moniteurs en colonie de vacances, c'était mon cas, les autres avaient trouvé un petit emploi, c'était facile à l'époque.

Nous nous retrouvions en juin ou en septembre sur cette plage qui perdit tout son charme. Nous avions tous découvert la mer ; nous trouvions désormais l'eau un peu vaseuse et fort trouble. Puis chacun tailla son chemin, plus loin, ailleurs. Le groupe explosa par la cruelle dispersion géographique des études et des rencontres. Nous n'allions plus sur notre Côte d'Azur locale.

Plus tard encore, la planche à voile puis le voilier me permirent parfois de me rendre encore dans ce lieu de mon enfance. J'étais bien seul pour profiter pleinement des folies d'alors. Le lieu avait perdu son charme, ses couleurs, son goût de nostalgie. Il fut oublié, délaissé, boudé pendant de longues années jusqu'à ce que mes enfants, à leur tour, me réclament de reprendre la route pour les y déposer avec tentes, armes et bagages.

Pour eux, ce fut souvent un séjour unique de plusieurs jours avec leurs camarades de classe, une manière bien à eux de marquer la fin de l'année scolaire. Ils s'étaient approprié l'Étang du Puits d'une autre manière ; ils l'oublièrent eux aussi pour les même raisons que nous. J'attends maintenant d'y conduire mes petits-enfants. Comment réagiront-ils ? Trouveront-ils cet endroit désuet, sans saveur, sans intérêt, faute d'animations ronflantes et onéreuses ? Je redoute une fois encore ce retour au passé qui fait si mal quand il a perdu son charme d'alors …

Nostalgiquement vôtre.


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