samedi 27 avril 2019

Les paludiers


Version originale




Comme les orpailleurs des rivières
Ils puisent un trésor de la mer
De petits grains minuscules
Qu'ils élèvent en monticules

Paysans marins aux pieds nus
Ne maniant jamais la charrue
C'est l'Océan qu'ils canalisent
Des étiers loin des balises

Ils vont de délivres en œillets
Nos amis les paludiers
La lousse toujours à bout de bras
De l'argile faisant des tas

La vase est leur compagne
Et le marais leur campagne
Dans la tempête et le gros temps
Ils travaillent inlassablement

C'est dans la mer qu'ils recueillent
Ces petits cristaux de l'orgueil
Merveilleuses perles de soleil
Qui sont des délices sans pareil

Si leur fleurs sont de sel
Elles ne seront jamais de celles
Qui flétrissent à votre table
Dans un oubli lamentable

Elles parfument nos aliments
Donnent saveur et piquant
Le paludier peut être fier
De cette offrande de la mer

Comme les orpailleurs des rivières
Ils puisent un trésor de la mer
De petits grains minuscules
Qu'ils élèvent en monticules


Version des Fous de Bassan
Merci à eux



vendredi 26 avril 2019

Ce sera mon dernier mot

Le commissaire aux contes.



Il est né à Argent, entre Sologne et Berry, tout près de la cité des Stuarts, nos chers amis écossais. Fidèle à ses origines, il voulait entrer dans la légende, naviguer dans ses rêves et pourfendre les faiseurs d’histoires. Il a été exaucé : il est le premier commissaire aux contes de la brigade des légendes. C’est ainsi que je le vis débarquer un beau matin pour éplucher mes livres de contes. J’avais, paraît-il une dette avec la société : celle des décideurs locaux, gens importants et trop sérieux pour se satisfaire de mes balivernes, plus soucieux de favoriser les desseins des commerçants que des prosateurs de l’imaginaire. Je devais payer pour tous mes crimes d’irrespect et de fiction.

Je crus, sur le coup, à une farce, une belle blague comme aiment à les concevoir les espiègles de tous poils, les jaloux et les médiocres. Pour ces derniers, la liste est si longue, que je ne cherchai même pas à savoir d’où venait le trait. Hélas, il ne s’agissait pas d’une blague, l’homme était muni d’une commission rogatoire, un mandat d’apnée textuelle ; il ne riait pas à moins que ce ne fût sous cape. Il lui fallait examiner mes sources, vérifier mes personnages, contrôler mes dires et les écrits. Il m’interrogea, cherchant à savoir si je ne dissimulais rien, si je ne cherchais pas à blanchir des faits-divers sous le couvert de l’invention.

Il examinait mes réponses qui, par la magie de sa fonction, devenaient des assertions. J’étais suspecté de mensonges, de falsifications, de travestissement de l’Histoire, celle qui se pare d’un H majuscule. J’avais été dénoncé : cela ne faisait aucun doute. Mais par qui ? Un grand historien local, un homme important, un quidam respecté de tous, une icône des médias ou encore un des ces pantins adulés des uns, encensés par les autres ? le doute était permis. Mon compte était bon, j’allais tomber sous les fourches caudines de la loi pour le plus grand bonheur de l'establishment, comme disent ceux qui parlent si bien notre langue .

Comment vous défendre quand, petit pot de terre, vous vous trouvez sous les coups croisés de la Justice, de la coterie et d’une opinion publique, toujours prompte à croire le matraquage médiatique et la bonne mine des aigrefins ? Pour le Bonimenteur, l' affaire était réglée sans autre forme de procès. Le commissaire aux contes pouvait me sanctionner sans retenue. Il avait tant de griefs à mettre à mon débit.

Plus je cherchais à me défendre, plus je m’enfonçais dans les sables mouvants de notre Loire. Il y avait derrière mes écrits un sillage douteux, une trace honteuse. Je fraudais le passé, j’altérais la vérité officielle, je salissais les héros estampillés de la saga locale. Il n’y avait pas de doute : il me fallait payer pour les affirmations gratuites que j’avais étalées sur la place publique.

Mon crime devait être châtié de manière exemplaire. La place de grève m’était promise, à moins que ce ne fût le bûcher, à moi qui avais mis le feu aux poudres avec mon histoire de dragon. Le commissaire aux contes se frottait les mains : l’affaire était entendue ; je ne bénéficierais d’aucune circonstance atténuante, n’étant pas même natif de cette ville, si bienveillante avec les siens et impitoyable envers les autres.

Comment sortir de ce guêpier ? Comment faire valoir votre droit quand, justement, vous n’avez rien à vous reprocher ? Comment obtenir la possibilité de plaider ma propre défense quand, trop de fois, je m'étais fait avocat du diable ? J’étais au bord du précipice. Un mot de plus et j’étais perdu. Ne l’étais-je pas de toute manière, n’appartenant pas à la secte qui tient en coupe réglée notre cité ?

C’est alors que j’eus une intuition, une pensée soufflée par la Divine Providence. L’homme avait commis grave confusion, erreur impardonnable. Il avait dû se fourvoyer sur l’orthographe de sa lettre de mission. Les bons comptes font davantage les bons amis que les mauvais payeurs. Il avait perdu une lettre dans la bataille et confondu deux consonnes voisines. L’homme devait enquêter sur une affaire fiscale, un possible conflit d’intérêt, des avantages indus et des écritures suspectes. Il s’était trompé de Ligérien.

N’étant pas de nature, contrairement à ce que vous insinuez souvent, à faire des histoires, je me contentai de ses excuses et le laissai partir, penaud et confus, sans même lui souffler la cible qui devait être sienne. Je ne mange pas de ce pain -là. J’ai ma conscience pour moi et même si mon courroux est grand, je n’irai pas dénoncer ceux qui réinventent l’histoire, qui la plient à leurs désirs, qui se dressent des lauriers pour leur seul bénéfice.

Le commissaire aux comptes quitta la place. Il avait pris pour argent comptant les mirages qui l'avaient conduit jusqu’à moi. Il n’aurait eu qu’à ouvrir les yeux pour enfin découvrir le pot aux roses, la planche vermoulue au milieu des flots. Je ne doute pas une seule seconde qu’on eût su le détourner de la vérité, l’induire une nouvelle fois en erreur, favoriser une cécité fort commode . Il ne fait pas bon écouter le chant des sirènes quand elles se prennent pour des bourses trop gourmandes …

Comptablement leur.


Une histoire de la Malnoue





Comment faire tomber un aquadiau ?





Dans ce village de Sologne, il y avait longtemps qu’il n’avait pas plu. L’eau venait à manquer dans les puits comme dans les fontaines. L’eau des étangs n’était pas consommable. Les gens du pays étaient fort ennuyés et se rendirent en délégation auprès de La Malnoue, une birette redoutée, perdue dans sa masure au fond des bois.

La vieille, heureuse qu’on vienne enfin quérir un service qui ne nuirait à personne, rit dans sa barbe avant de réclamer une grande bassine d’eau fraîche. Il fallut courir par monts et par vaux pour trouver ce qu’elle réclamait. La sorcière alors de retirer son inséparable blouse et de la laver dans le baquet sous le regard horrifié des villageois. « Nous manquons cruellement d’eau et la sorcière lave son linge au lieu de nous aider ! » hurlèrent les plus virulents.

La Malnoue sourit, demanda de l’aide pour essorer son vêtement puis l’accrocha à un fil à linge. Aussitôt le ciel s’obscurcit et une belle arnapée tomba du ciel. Les Solognots de se signer et d’évoquer un miracle du très haut quand La Malnoue leur demanda de se taire et proféra ses paroles blasphématoires.

« C’est toujours la même chose avec ce mécréant du ciel. Chaque fois que j’étends mon linge, il fait pleuvoir… »


mercredi 24 avril 2019

C'est un beau roman …



Tendresse et Désir, une histoire encore à construire.



C'est un beau roman auprès d'une rivière qui sent la rose et le printemps retrouvé. C'est du moins ce qu'écrivent nos raconteurs d'histoires. Tout n'est pas si simple au pays des amants. Laissons-nous porter par l'aventure de Tendresse et Désir, leurs atermoiements et leurs abandons. Il ne faut pas croire qu'il suffit de claquer des doigts ; l'amour demeure un mystère qu'il convient de préserver.

Elle, tendresse ; éternel féminin de l'humble bergère, lui, désir : paradigme incertain du prince pas si charmant que ça, avancent main dans la main sur les chemins tourmentés de l'existence. Nous sommes au pays des contes de fées, des songes et des rêves fous. Savent-ils que l'impossible s'offre à eux : accorder leur violon tout en faisant flèche de tout bois à la manière de Cupidon ?

Tendresse réclame douceur et caresses. Elle se laisse porter, l'épaule contre son compagnon à la simple exaltation des sentiments. Elle est ouverte, simple et tranquille, à ses fougueux baisers. Elle laisse s'aventurer ses mains insidieuses, sans leur permettre des contrées inaccessibles. Désir est un chasseur, un gourmand qui fond sur sa proie. Il veut investir sa belle, il l'enveloppe, la lutine afin que ses défenses cèdent.

Le jeu du chat et de la souris débute entre eux. Les conteurs d'autrefois s'en allaient sur la pointe des pieds à l'échange du premier baiser : celui qui a réveillé la belle après un sommeil sans fin. Ils se contentaient d'affirmer qu'ils vivraient heureux et auraient beaucoup d'enfants sans se soucier de savoir comment se réaliserait la chose. Si la conclusion s'imposait aux lecteurs de jadis, elle n'allait jamais de soi pour nos deux personnages. Aujourd'hui, il faut pousser plus avant le récit ; le lecteur réclame désormais quelques scènes plus osées.

Tendresse, dans la torpeur de son long sommeil, éprouve le besoin d'un retour en douceur au monde des vivants. Désir, dans sa longue quête de la dame de ses rêves, semble quelque peu empressé. Il veut bousculer la demoiselle, ne pas lui laisser le temps de se retourner. On devine déjà que le coquin a quelques idées derrière la tête : le prosaïque est en marche.

Les scénaristes ont beau jouer de l'archer pour illustrer l’instant avec de la musique sirupeuse, nous ne sommes pas dupes. Rien n'est acquis encore : l'émotion de tendresse ne la prépare pas pour l’heure à la confusion désirée par Désir. Elle a besoin de temps, lui, semble pressé. Elle souhaite mieux le connaître, lui assure que c'est ainsi qu'on ouvre son cœur et son âme.

Lovée amoureusement, Tendresse n'est pourtant pas encore disposée à l'abandon suprême. Elle a besoin de confiance, de certitudes. Elle perçoit dans le regard de Désir cette turpitude qui l'effraie. Son prince est un mâle en rut. Il en oublie la délicate parade amoureuse, celle qui donne le temps de se découvrir sans se dénuder.

Désir s'impatiente, il se lance dans la grande parade : celle qui devrait faire plier les réserves de Tendresse. Il fait la roue, monte sur ses ergots, sa crête devient rouge flamboyante. Tendresse sourit de ses mimiques, elle devine le manège. Se donner dans l'instant, c'est succomber à une pulsion qui n'est peut-être que fantaisie sans lendemain ; elle souhaite obtenir des garanties.

Le conte de fées n'est plus, les bons comptes feront les bons contrats matrimoniaux si tel est le vœu de Désir. C'est là que le bât blesse : Désir est un coureur, il ne s'arrêtera pas auprès de sa dernière conquête. L'épilogue annoncé n'est qu'un leurre, même dans les belles histoires l'infidélité fait rage. Tendresse perçoit déjà les prémices de la trahison, elle diffère l'offrande que réclame ce Prince, pas tout à fait aimant.

Ils se sépareront. Les anges sont passés et ne se sont penchés sur aucun nouveau-né. Les rois mages cherchent toujours leur bonne étoile ; la vie reprend son cours. La bergère n'a pas vu le loup, elle peut retourner à ses moutons sans faire de déclaration de perte. Le Prince a tourné les talons, piqué son cheval d'un solide coup d'éperon. Il repart au bout du monde, bredouille et chafouin, ça lui apprendra à venir réveiller une donzelle qui défend farouchement sa virginité.

Tendresse et Désir ne sont peut-être pas ainsi. Laissons leur le temps de mieux se connaître. Ce n'était qu'une fausse piste, explorée par un scénariste malicieux. À trop vouloir déjouer les codes, l'histoire perd parfois de sa magie. Tendresse souffle à l'oreille de Désir que son vœu sera exaucé quand tous les curieux qui suivent leur rencontre, seront partis pour une autre histoire. Désir, susurre à sa dame de cœur qu'il l'aime pour de bon, qu'il n'est pas un cavaleur impétueux mais un cavalier respectueux.

Nous nous retirons sur la pointe des pieds. Ce qui se passera entre eux n'appartient qu'à ces deux-là. Déjà nous entendons Tendresse soupirer. Désir, plein de délicatesse, attend que nous soyons bien plus loin pour pousser plus avant ses délicates approches. Soudain, les rôles se renversent, c'est Tendresse qui prend la main. Le tumulte est si grand, que frissons et confusion se dérobent à celui qui voulait vous décrire la farandole des corps.

Libertinement leur.


mardi 23 avril 2019

La gazette de l’aigrette

Confusion



Sur la Loire c’était calme plat
Les oiseaux n’en revenaient pas
Quand une adorable aigrette
Décida de tenir gazette


La chose émut fort un canard
Enchaîné dans une mare
Il se voyait dépossédé
D’un titre qu’il eut mérité


Une oie s’arracha une plume
Elle en attrapa un gros rhume
Elle voulait qu’ainsi on écrive
Sa gloire et toutes ses dérives



Un bateau passa sur les flots
Le marin bouta son chapeau
Avec cinq colombes sur sa hune
Il entrevoyait la fortune



Le balbuzard se prit de bec
Avec la rédactrice pète sec
Il voulait la première page
Pour la beauté du ramage


Le martin pêcheur sur la brèche
Demanda à la revêche
Qu’un modeste entre-filet
Évoque les horaires des marées



Quand soudain la rédaction
Tout à sa précipitation
Accepta de jeter l’ancre
De ce journal pour les cancres


L’aigrette tira sa révérence
À ceux de la conférence
Qui avaient dénigré celle
Qui s’envolait à tire d’ailes


Quand le journal tomba à l’eau
La garzette leur tourna le dos
Elle avait du plomb dans la tête
Pour avouer sa défaite




lundi 22 avril 2019

Mon étang du Puits.



Notre Côte d'Azur …





Je vous parle d'un temps où apprendre à nager n'était pas donné à tout le monde. La France ne disposait que de trop rares piscines et elle venait de tourner le dos aux rivières où traditionnellement les gens aimaient à se baigner. J'ai encore en mémoire cette plage surveillée devant le château dans mon petit village, cette longue plage et cette foule qui se prélassait au soleil ligérien.

J'étais trop jeune sans doute pour prendre des cours de natation. Je garde pourtant un souvenir précis de notre plage d'alors. L'eau était d'une saleté répugnante : la Loire était alors un égout à ciel ouvert. Je revois encore l'eau chargée de particules et de déchets humains, le courant qui imposait à la baignade un sens unique et l'odeur qui nous imprégnait à notre retour.

Puis les années suivantes, la plage fut fermée ; le maître nageur était parti vers des cieux plus cléments. Les enfants du coin n'apprenaient pas à nager si leurs parents ne les conduisaient pas dans une piscine ou bien à la mer. Ni à l'école primaire ni ensuite au collège, le savoir nager n'était à l'ordre du jour ; ce qui ne nous empêchait nullement de traverser fréquemment notre Loire.

C'est aux alentours de mes 12 ans que mon père prit le taureau par les cornes. Il me fallait apprendre à me débrouiller dans l'eau, à pouvoir me sortir d'une situation périlleuse. Il me conduisit, d'un coup d'Estafette, jusqu'à l'étang du Puits afin de m'inscrire auprès du maître-nageur, côté Cerdon. La nuance est d'importance : à l'époque il y avait ceux qui choisissaient Cerdon et d'autres qui allaient chez l'ennemi : du côté d'Argent, dans le Cher, un autre monde…


Ainsi donc, j'allais prendre des cours de natation et, pour ce faire, il me faudrait me rendre à l'étang du Puits à bicyclette. Un périple d'une vingtaine de kilomètres sur une route parfaitement rectiligne où les voitures et surtout les camions allaient grand train en un temps où les limitations de vitesse n'existaient pas. Je me souviens encore de ce courant d'air qui nous déstabilisait au passage d'un bolide ou d'un gros cul qui ne prenait pas la peine de s'écarter de nous.

Nous, car je n'étais pas seul. Un petit peloton s'organisait au départ de l'église Saint Germain. La joyeuse troupe partait matin, ravitaillement et boules de pétanque dans un sac, pour une longue journée à la plage. Il y avait l'arrêt à Cerdon, les premières rencontres avec des jeunes de là-bas. Puis les derniers kilomètres pour rejoindre notre lieu estival.

Au fil des années, le groupe s'étoffa, le parcours s'allongea afin de récupérer les camarades de Viglain et Villemurlin. J'avais appris à nager plus mal que bien, tout en intégrant cette destination dans mes habitudes estivales. La bande se fit groupe important, la motorisation vint, facilitant les détours et les préoccupations nouvelles. Les détours visaient désormais à rejoindre quelques demoiselles qui firent partie du groupe.

Cerdon devint notre point de ralliement. Nous nous donnions tous rendez-vous dans le bar de la place de l'église, pour y faire quelques parties de billard trois boules et boire- nos parents n'en savaient fort heureusement rien- des bières Picon-citron … À l'aller comme au retour, la pause s'imposait, histoire également de prolonger les conversations avec les filles de Cerdon ! Tout cela d'ailleurs se termina plus tard par un mariage : Jean Michel ayant trouvé une Cerdonaise à son goût.

C'est pourtant à l'étang du Puits que notre joyeuse troupe donnait sa pleine mesure. Nous prenions d'assaut les grosses chambres à air de tracteur qui nous servaient à toutes les pitreries possibles, sur et en-dehors de l'eau. Nous investissions la place avec l'assentiment du maître-nageur, toujours le même, qui se joignait à nous pour de terribles parties de pétanque. Le spectacle était tout autant dans nos forfanteries que dans nos exploits boulistes.


Nous faisions grand tapage ; nous étions les maîtres de ce lieu et je plains maintenant sincèrement les familles qui venaient en cette plage chercher le repos et la quiétude. Ce fut pire encore lorsque je reçus un lot de frisbees, produits publicitaires de la marque Shell. La fréquentation de la zone devenait particulièrement risquée. Les rares moments de répit pour le quidam estival survenaient quand nous prenions tous d'assaut le ponton installé à quelques brassées de la rive. Durant ces instants, les bords redevenaient paisibles …

Le pire, naturellement étaient les rares confrontations avec ceux d'Argent. Un concours de pétanque servait le plus souvent d'occasion pour franchir la digue : la ligne de démarcation entre ceux du Loiret et les autres. Nous n'étions guère malins dans cette séparation géographique qui semblait ne jamais supposer d'exception jusqu'au moment où filles de Brinon vinrent troubler nos certitudes.

Les années passèrent ; nous pensions notre amitié indissoluble, nos vacances à l'étang du Puits éternelles, nos plaisirs simples suffisants pour ne jamais nous en lasser. Hélas, les premières voitures vinrent bouleverser la donne. Certains pouvaient aller plus loin, aller vers de nouveaux horizons. Nous avions pour beaucoup des emplois d'été qui nous éloignaient de notre cher étang du Puits. Les uns étaient moniteurs en colonie de vacances, c'était mon cas, les autres avaient trouvé un petit emploi, c'était facile à l'époque.

Nous nous retrouvions en juin ou en septembre sur cette plage qui perdit tout son charme. Nous avions tous découvert la mer ; nous trouvions désormais l'eau un peu vaseuse et fort trouble. Puis chacun tailla son chemin, plus loin, ailleurs. Le groupe explosa par la cruelle dispersion géographique des études et des rencontres. Nous n'allions plus sur notre Côte d'Azur locale.

Plus tard encore, la planche à voile puis le voilier me permirent parfois de me rendre encore dans ce lieu de mon enfance. J'étais bien seul pour profiter pleinement des folies d'alors. Le lieu avait perdu son charme, ses couleurs, son goût de nostalgie. Il fut oublié, délaissé, boudé pendant de longues années jusqu'à ce que mes enfants, à leur tour, me réclament de reprendre la route pour les y déposer avec tentes, armes et bagages.

Pour eux, ce fut souvent un séjour unique de plusieurs jours avec leurs camarades de classe, une manière bien à eux de marquer la fin de l'année scolaire. Ils s'étaient approprié l'Étang du Puits d'une autre manière ; ils l'oublièrent eux aussi pour les même raisons que nous. J'attends maintenant d'y conduire mes petits-enfants. Comment réagiront-ils ? Trouveront-ils cet endroit désuet, sans saveur, sans intérêt, faute d'animations ronflantes et onéreuses ? Je redoute une fois encore ce retour au passé qui fait si mal quand il a perdu son charme d'alors …

Nostalgiquement vôtre.


dimanche 21 avril 2019

Les œufs en question


Ne jetez pas les œufs pourris, ça peut servir !





Un randonneur commence-t-il sa journée en mangeant des œufs mollets ?
Faut-il avoir un œil de perdrix à chaque pied pour marcher sur des œufs ?
Peut-on se réconcilier en mangeant des œufs brouillés ?
Peut-on chercher des poils aux œufs d'un chauve ?
Pour un canard vaut-il mieux couver un œuf que la grippe aviaire ?

L’œuf ne dure-t-il que trois minutes ?
Faut-il prendre la mouche pour gober un œuf ?
Un imprimeur conserve-t-il les coquilles pour les emporter au travail ?
Faut-il monter les blancs en neige pour adopter la position de l’œuf ?
Un œuf battu donne-t-il naissance à des poussins traumatisés ?

Faut-il mettre une serviette pour manger une omelette baveuse ?
Les œufs au plat manquent-ils de relief ?
Peut-on mettre sous son aile une poule qui couve ?
Peut-on mettre tous ses œufs en chocolat dans le même panier ?
Existe-t-il un rapport entre la cloche et l’œuf de Pâques ?

Est-ce les poules de Mésopotamie qui virent le Tigre et l’œuf rate ?
La poule aux œufs d’or a-t-elle mauvaise mine ?
Existe-t-il des routes avec nids de poule et dos d’âne ?
Le jaune d’œuf justifie-t-il la couleur du poussin ?
Les marins ne mangent-ils que des œufs à la coque ?

Une poule peut-elle faire l’œuf ?
Peut-on étouffer les velléités d’un jeune coq dans l’œuf ?
L’œuf de Christophe Colomb avait-il le mal de mer ?
Peut-on avoir à l’œil des œufs pochés ?
Un ivrogne plein comme un œuf risque-t-il une crise d’albumine ?

Pourquoi les Anglais ont-ils envoyé Jehanne se faire cuire un œuf ?
Le taureau ailé a-t-il été complice du vol d’un œuf ?
Les aveugles mangent-ils uniquement le blanc des œufs de canes ?
L’autruche pond-elle ses œufs directement dans le sablier ?
Est-ce avec les cailles que l’on fait les œufs en gelée ?

Doit-on conserver ses œufs pourris uniquement pour les meetings politiques ?
Pondre un œuf est-il à portée de tous les trous du c... ?
Faut-il être rasoir pour tondre un œuf ?
Le coq du clocher a t-il une quelconque responsabilité dans les œufs de Pâques ?
Pourquoi appelle-t-on panier à salade, le véhicule qui transporte des poulets en cage ?

Comment faire sortir de sa coquille un poussin timide ?
L’œuf d’oie prend-il de haut son compère de la poule ?
Un œuf de pigeon peut-il surgir sur un crâne chauve ?
Un boxeur mange-t-il des œufs au beurre noir pour conjurer le sort ?
Doit-on ranger les œufs en chocolat dans une cloche à fromages ?

Le réchauffement climatique aura-t-il une incidence sur les œufs frais ?
Si on brise les œufs d’une poule que casse-t-on au coq ?
Qui veut nous mettre des œufs fêlés en travers des pâtes ?
Un œuf qui passe en couveuse peut-il être considéré comme prématuré ?
Les poules pondeuses en batterie doivent-elles finir dans des cocottes en cuivre ?

Poulement vôtre.


samedi 20 avril 2019

La mirifique histoire de l'œuf de Pâques.



La coquille vide ….



 
Il est ici bien inutile de savoir qui de l'œuf ou de la poule en chocolat a entamé cette mirifique histoire qui engraisse autant les chocolatiers de notre pays de bombance que les gourmands de tous poils et de tous âges, ravis de se moquer ce jour-là de la volaille et du fruit de ses entrailles. Il suffit de comprendre que nul coq n'a baigné dans l'aventure pour réaliser en fait que la chose a été créée de toute pièce et je me fais fort de vous la servir sans coquille.

Depuis l'antiquité, l'œuf décoré avec amour et fantaisie célèbre le retour du Printemps. Les poules furent en cette occasion les dindons de la célébration. Elles livrèrent bataille mémorable à ces pauvres moutons qui jouèrent eux aussi bien souvent le rôle de la victime si commode. Pour la fable que je vais vous conter, tout se passa il y a bien longtemps, bien loin d'ici … J'espère que vous goberez mon histoire sans vous étouffer .…

Or donc, en ce temps et en ce pays là, de braves moutons en avaient assez d'être les seules victimes expiatoires de ces fêtes calotines ! Il est d'ailleurs étrange que l'on célèbre la vie par la mort de quelques milliers de pauvres ovins de substitution. La supercherie, pour eux, n'avait que trop duré puisque ce sont les agneaux qui devaient remplacer au pied levé, le bouc, trop occupé à reconstituer des stocks si mis à mal par toutes les hécatombes promulguées au nom des obédiences monothéistes.

L'agneau, quoique de lait, aimait à se nourrir d'un bon chocolat éponyme (Imputons à son jeune son jeune âge ce manque évident de goût). Pour incroyable que cela paraisse, il se trouve que dans ces élevages coupés du monde, la pratique était avérée. Les historiens se perdent en conjectures mais ne remettent pas en cause la fable. Il est vrai que sous d'autres cieux, des écureuils se targuèrent de semer des noisettes dans leurs tablettes surnuméraires et qu'il existe encore une contrée où des vaches mauves baignent dans une étrange affaire chocolatée ! Tout est donc possible au pays des songes….

C'est dans un élevage de l'île de Pâques (puisqu'il faut situer l'anecdote, n'ayons crainte de fouler les territoires les plus improbables) qu'une fermière avait l'habitude de mouler à la louche son fromage frais d'agnelle. Un agneau facétieux et amateur de calembours et autres calembredaines de mots distordus modifia l'ordre des consonnes initiales et loucha sur un moule. On peut prétendre que l'approximation soit tirée par les cheveux, mais rassurez-vous, l'agneau venait d'être tondu pour avoir folâtré avec un berger Germain !

Le moule en question avait une forme oblongue rappelant étrangement un petit ballon de Rugby. Comme ce sport était alors parfaitement inconnu en cette île Pacifique, leurs lointains voisins Fidjiens prétendirent y voir la forme d'un œuf. Constatez que l'histoire tient à peu de chose et que le destin se joue de bien des ironies. À Noël les marrons, à Pâques les ballons de Rugby ! Le Pacifique se fit ainsi Ovale et les gars de là-bas devinrent des sportifs redoutables. Mais ceci est une toute autre histoire ...

C'est naturellement dans l'unique jardin d'un couple de grands-parents aimants que furent dispersés les petits œufs de chocolat pour que des bambins se prennent pour des explorateurs aventureux … Semé dans cette minuscule enclos, l'œuf ainsi moulé de bon lait d'agnelle et de chocolat à l'origine inconnue, attendit longtemps l'arrivée d'un ecclésiastique en mission sacrée pour se répandre à travers le monde.

Il se trouve qu'un jour, de manière fortuite, un bon père blanc, voyant les marmots à quatre pattes fut bien vite attiré par la scène. Ne cherchons pas à épiloguer sur ses motivations réelles, il est plus conforme à la morale chrétienne d'espérer que ce saint homme aimât lui aussi le chocolat. Ne sachant où donner de la tête, il fut transporté d'aise et se promit de revenir en France avec cette belle tradition sous sa soutane.

C'est naturellement par la Loire que la nouvelle se répandit dans notre pays. Depuis quelques années déjà, les chalands transportaient la canne à sucre et le cacao vers Blois et Orléans. Ces deux villes devinrent des plaques tournantes du chocolat gourmand. Les commerçants avisés, ne voulant mettre tous les œufs dans le même panier, créèrent bien vite la poule en chocolat pour accréditer l'idée que l'œuf vient toujours de celle-ci.

Les années passèrent, le petit commerce Pascal fit des émules à travers tous le pays. Mais toujours à la pointe de l'innovation, un chocolatier Abraysien, en visite à la fonderie Bollée eut l'idée merveilleuse de fondre le chocolat dans un moule à cloche. Ne cherchons pas à comprendre les arcanes de ce raisonnement spécieux, la cloche resta silencieuse mais fit grand bruit dans le monde des gourmands.

Ainsi est né l'œuf de Pâques et le Christ ressuscita nous dit-on, pour profiter de cette belle gourmandise. (Nous ne sommes pas à un anachronisme ni une fantaisie près) Il me plaît à croire que cette histoire est vraie, quoique de chocolat, je ne mange guère ! Quand aux marrons de Noël, ils furent bien vite remplacés par des crottes, vous comprenez aisément pourquoi. Le filon était bon, il fallait pousser la bonne affaire plus loin et profiter du moule tant qu'il est encore chaud… Le mouton pensait s'en tirer à bon compte, la gourmandise, hélas, le rattrapa encore. Voyez-vous, en cette belle période gourmande, c'est : « viande et dessert » !

Anachroniquement leur


vendredi 19 avril 2019

Des poires au chocolat



Le dessert disparate


J’ai repris avec plaisir mes activités caritatives et prétendument gastronomiques. La grande distribution est toujours aussi généreuse : elle nous inonde de produits qu’il convient de sauver pour proposer des repas à des gens qui sont en situation de détresse sociale. Ce n’est pas parce qu’ils sont miséreux que nous devrions considérer que la qualité des produits n’a aucune importance ; c’est pourtant ce que sous-entend le mode d’approvisionnement qui est le nôtre.

Nous jouons avec les dates de péremption ; nous jonglons avec la fraîcheur supposée de ce qui nous est offert généreusement contre une défiscalisation de bon aloi. C’est donc à nous de prendre le risque de l’intoxication alimentaire : risque sans filet d’ailleurs car je doute que nous disposions d’une couverture en cas de problème.

Nous sommes bénévoles : cette merveilleuse catégorie de bonnes poires susceptibles de faire des miracles avec rien, ou presque, et de prendre tous les coups en cas de problème. C’est encore nous que les braves gens, voisins outrés et dérangés, pointent du doigt quand nos poubelles débordent des rogatons de la générosité douteuse. C’est toujours nous les mauvais objets qui faisons venir dans un quartier paisible cette foule hétéroclite, patibulaire et si souvent exotique.

Pourtant, ce sont ces maudits bénévoles qui pincent le nez et se coltinent le sauvetage des produits qui n’ont pas trouvé preneurs dans nos merveilleuses enseignes de l’abondance alimentaire. Quand ils arrivent chez nous, les légumes font grise mine, les fruits sont cotis, les poires blettes, les bananes noires, les champignons gluants, les haricots filandreux et marrons. Nous trions, coupons, éliminons les plus abîmés, en conservant ce que nous ne garderions pas si c’était pour nous. Mais que faire d’autre ?

Les deux dernières séances de peluche, le champignon était en abondance. Des cagettes entières ; à croire que les champignonnières ne travaillaient que pour fournir des surplus à la banque alimentaire. Nous devions alors éliminer le pied, éplucher le chapeau en retirant une membrane qui prenait des teintes incertaines. Un bénévole ne compte pas son temps : nous avons réussi ce tour de force de rendre présentable ce qui ne l’était plus depuis longtemps.

Cette fois, ce sont des haricots verts qui ne tenaient plus qu’à un fil. Marrons plus que verts, mous et cassants, il y en avait vingt kilogrammes, libéralement octroyés par un généreux donateur. Dans ce véritable jeu de Mikado, nous avons écarté plus de s deux tiers de ces malheureux légumes : un travail de Romain pour des légumes qui avaient dû être récoltés il y a plus d’une semaine, au moins. La fraîcheur, ce n’est pas pour les nécessiteux !

Je vous dispense de la description des trois cagettes de poivrons. Nos mains avaient changé de couleur. Les déchets étaient, une fois encore, équivalent à ce qui était préservé. Pour cacher la misère, nous les coupons en carrés minuscules, ce qui prend encore beaucoup de temps qui ne se calcule pas puisqu’il est celui des bénévoles …

Alors, quand je découvris un carton de poires miraculeusement en parfait état de conservation, des William rouges, un véritable délice de douceur et d’onctuosité, je n’en crus pas mes yeux. Hélas, je sais que les fruits, mis à part la banane ou le raisin, ont mauvaise presse chez nos bénéficiaires. Les proposer ainsi, c’était prendre le risque de ne pas les voir partir. Je décidai de les éplucher et de les mettre à tremper dans un sirop vanillé.

Pour donner une touche esthétique, je conservai la queue de la poire. Puis je dressai les fruits dans un ramequin pour les napper de crème au chocolat. Le tout arrosé de sirop de trempage. Le dessert était prêt. Il y avait une cinquantaine de coupelles ; il ne restait plus qu’à en faire la promotion pour parvenir à tenter le chaland, à le convaincre d’oser le fait maison, loin des illusions de l’emballage.

Car voyez vous, tout ce qui sort de l’ordinaire, du produit directement issu de l’industrie agroalimentaire interroge au mieux nos « clients », les repousse la plupart du temps. Comme des enfants qui prétendent ne pas aimer ce qu'ils ne connaissent pas, ils s'orientent systématiquement vers ce qui est en pot, en emballage attirant, sous plastique avec moult conservateurs. Mes poires heureusement partirent car j'avais réussi à briser cette représentation et que désormais, bon nombre des bénéficiaires savent que le mardi, il y a mes desserts. Cette victoire sur la norme et la médiocrité est fragile ; elle est pourtant un petit coin enfoncé dans cette société de la gabegie. Et rien que pour ça, je voulais vous en faire part.

Dessertement vôtre.

jeudi 18 avril 2019

Saül et le Fleuve



Les esprits de notre pays.


Il était, en un temps de légendes et de magies, une jeune fille, Ondine, et un garçon, Saül, qui aimaient à se retrouver au bord de notre fleuve. Chaque jour à la même heure, le garçon abandonnait les durs travaux que son père lui imposait. Il s'offrait de doux instants à bavarder avec cette princesse, fille sauvage qui semblait venir de nulle part.

Par tous les temps, en toute saison, la belle était toujours les pieds dans l'eau. Elle glissait ses mains sous les souches, derrière les cailloux, au creux d'un remous pour y trouver l'écrevisse, le brochet ou bien le barbeau. Elle ne pêchait pas ; elle aimait sentir cette vie secrète, partager de brefs instants avec les hôtes des flots. Quand son compagnon surgissait, elle abandonnait sa quête pour venir s'asseoir près de lui, contre un magnifique arbre qui se penchait au-dessus de l'eau …

Là, ils n'avaient de cesse de se raconter des histoires. D'évoquer à tour de rôle les hôtes des eaux et ceux des cieux. Le garçon était, bien contre sa volonté, un bûcheron qui coupait les arbres de la forêt voisine. Chaque fois, son cœur saignait d'abattre ces colonnes végétales. Il savait qu'il dérangeait une nichée, des insectes et les habitants multiples des branches et des feuilles. L'un et l'autre ne se lassaient jamais d'évoquer les merveilles de la nature ; ils n'avaient pas assez de mots pour expliquer leur amour pour toutes les formes de vie.

Le bûcheron de père était un homme violent et redoutable. Il n'acceptait pas que son fils pût se montrer si sensible. La pitance, en ces temps lointains, était bien difficile : ce n'est pas en bayant aux corneilles que l'on remplissait sa panse. Il se méfiait de l'influence de cette fille, herbe sauvage, qui tournait la tête et l'entendement de son pauvre gamin. De la donzelle, on ignorait tout, personne ne savait d'où elle venait et qui elle était. Mais on ne se souciait guère de vraiment le savoir : les gens d'alors ne se formalisaient pas tant que ceux d'aujourd'hui.

De jour en jour, leur amicale union se fit plus forte, leur complicité plus certaine. Les brefs moments passés au pied de l'arbre étaient pour le garçon un rayon de soleil qui lui permettait d'oublier toutes les contrariétés, les coups, les brimades qui étaient son lot quotidien. Il lui suffisait de la voir sa belle pour effacer les lourdes menaces qui pesaient sur sa tête ! C'était devenu sa raison de continuer, son espoir et la force de supporter une vie bien trop misérable.

Pour eux, la Loire se faisait spectacle superbe. Chaque fois qu'ils étaient adossés là, tous les animaux se montraient à eux. C'était comme si un charme opérait en ces instants bénis, comme si les craintes de nos amies les bêtes envers les hommes disparaissaient par magie. Elles venaient à leurs pieds, juste au-dessus de leur tête, et même les poissons faisaient de joyeux bonds en guise de signes à leur façon.

Mais, pendant ce temps, le labeur n'avançait pas. Le père entrait dans des colères fortes ; il maudissait la fille de nulle part qui détournait son fils du travail. Sa rage enflait tant et tant que bientôt le vilain personnage eut de très méchantes pensées. Il n'était pas d'humeur à se laisser moquer ainsi par une fille de rien. De noirs desseins se mirent à grandir dans sa caboche de rustaud chagrin.


Un matin, peu avant l'heure où disparaissait habituellement son fils pour retrouver celle qui lui tournait les sangs et la raison, le furieux partit les poings serrés et l'âme noire. Il allait supprimer, une bonne fois pour toute, celle qui détournait son fils du droit chemin. Arrivé en bord de Loire, il vit Ondine barboter comme à son habitude. Il voulut la saisir pour lui tordre le cou. Elle plongea alors pour disparaître dans les flots.

L'homme pour excédé qu'il fût, n'avait pas perdu esprit d'à propos. Il s'était muni d'un grand filet de pêche : il avait prévu que la belle s'ensauverait dans l'eau. Il jeta son épervier, là où elle avait plongé. Il remonta bien vite son piège ! Il y avait belle et grosse prise dans les mailles traîtresses de son grand filet.

Mais quelle ne fut pas sa surprise : ce n'était pas Ondine qui se débattait dans le piège. Il y avait là un étrange et magnifique poisson doré comme jamais pécheur n'avait pu en voir dans tout le pays. L'homme des forêts comprit bien vite qu'il y avait diablerie ou maléfice. Ondine n'était pas une fille sauvage : elle avait des pouvoirs magiques. Son fils était bel et bien ensorcelé !

Il se saisit du poisson mystérieux et le jeta très loin dans les fourrés. Il avait beau rouler des bras et des yeux, il y avait en lui un fond de crainte sacrée qui l'empêchait de porter le coup fatal à cette bête du diable. Derrière lui, Saül avait tout vu. Il se doutait depuis le matin que son géniteur tramait une mauvaise aventure. Il se précipita sur celle qui était Ondine quelques instants plus tôt pour lui poser doux baiser sur la bouche avant que de la remettre à l'eau.

La fureur du père fut terrible. Il voulait s'en prendre à son rejeton. Il empoigna une hache pour lui passer définitivement l'envie de rêver aux chimères. Il avait déjà dressé l'arme terrible au dessus de sa tête, il allait faire sacrifice comme jadis, Abraham avant lui. Mais ce qui se passa alors le figea pour de très longs instants …

Saül, qui s'était approché de la Loire pour délivrer Ondine, prit racine sur la berge. De sa tête, des branches s'élevèrent vers le ciel et, chose plus étrange encore, d'autres, plus souples, se courbaient au-dessus du fleuve jusqu'à caresser les flots. Saül n'était plus ; à sa place un arbre nouveau et magnifique se jouait à la fois du ciel, de la terre et des eaux.

Le père ne put donner de la cognée sur celui qui était, il y a peu encore, son fils, et qui maintenant était un arbre comme jamais on ne vit alors. Il partit loin d'ici et jamais nul n'entendit jamais parler en bord de Loire de celui qui n'acceptait pas les amours enfantines. On ne revit plus Ondine ; elle reste désormais au secret des profondeurs de la Loire. Elle est sa Princesse majestueuse ; notre belle fille Liger.

Depuis ce jour, un nouvel arbre aime les rivières, ses branches caressent les flots et parfois un étrange poisson vient se frotter à elles. Beaucoup ont cru que Saül regrettait sa belle à jamais perdue et ont appelé ce nouvel arbre le Saule pleureur. Ils se sont lourdement trompés, c'est un Saül caresseur et tendre que vous voyez parfois au bord de l'eau. Les saules ne pleurent pas, ils se rient des hommes qui se mettent en travers des amours qui s'abritent en nos bords de Loire !

Maintenant, s'il vous arrive de passer une nuit sans Lune sur nos rivages, vous pourriez bien assister à un étrange spectacle féerique. Ondine, la superbe fille Liger, surgit de l'eau et s'unit à Saül en une danse envoûtante. De leurs ébats, naissent tous les animaux du fleuve. Ne faites jamais de mal à l'un d'eux ; ils sont sous une magnifique et puissante protection ...

Arboricolement vôtre.


À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...