Les
esprits de notre pays.
Il
était, en un temps de légendes et de magies, une jeune fille,
Ondine, et un garçon, Saül, qui aimaient à se retrouver au bord de
notre fleuve. Chaque jour à la même heure, le garçon abandonnait
les durs travaux que son père lui imposait. Il s'offrait de doux
instants à bavarder avec cette princesse, fille sauvage qui semblait
venir de nulle part.
Par
tous les temps, en toute saison, la belle était toujours les pieds
dans l'eau. Elle glissait ses mains sous les souches, derrière les
cailloux, au creux d'un remous pour y trouver l'écrevisse, le
brochet ou bien le barbeau. Elle ne pêchait pas ; elle aimait
sentir cette vie secrète, partager de brefs instants avec les hôtes
des flots. Quand son compagnon surgissait, elle abandonnait sa quête
pour venir s'asseoir près de lui, contre un magnifique arbre qui se
penchait au-dessus de l'eau …
Là,
ils n'avaient de cesse de se raconter des histoires. D'évoquer à
tour de rôle les hôtes des eaux et ceux des cieux. Le garçon
était, bien contre sa volonté, un bûcheron qui coupait les arbres
de la forêt voisine. Chaque fois, son cœur saignait d'abattre ces
colonnes végétales. Il savait qu'il dérangeait une nichée, des
insectes et les habitants multiples des branches et des feuilles.
L'un et l'autre ne se lassaient jamais d'évoquer les merveilles de
la nature ; ils n'avaient pas assez de mots pour expliquer leur
amour pour toutes les formes de vie.
Le
bûcheron de père était un homme violent et redoutable. Il
n'acceptait pas que son fils pût se montrer si sensible. La pitance,
en ces temps lointains, était bien difficile : ce n'est pas en
bayant aux corneilles que l'on remplissait sa panse. Il se méfiait
de l'influence de cette fille, herbe sauvage, qui tournait la tête
et l'entendement de son pauvre gamin. De la donzelle, on ignorait
tout, personne ne savait d'où elle venait et qui elle était. Mais
on ne se souciait guère de vraiment le savoir : les gens
d'alors ne se formalisaient pas tant que ceux d'aujourd'hui.
De
jour en jour, leur amicale union se fit plus forte, leur complicité
plus certaine. Les brefs moments passés au pied de l'arbre étaient
pour le garçon un rayon de soleil qui lui permettait d'oublier
toutes les contrariétés, les coups, les brimades qui étaient son
lot quotidien. Il lui suffisait de la voir sa belle pour effacer les
lourdes menaces qui pesaient sur sa tête ! C'était devenu sa raison
de continuer, son espoir et la force de supporter une vie bien trop
misérable.
Pour
eux, la Loire se faisait spectacle superbe. Chaque fois qu'ils
étaient adossés là, tous les animaux se montraient à eux. C'était
comme si un charme opérait en ces instants bénis, comme si les
craintes de nos amies les bêtes envers les hommes disparaissaient
par magie. Elles venaient à leurs pieds, juste au-dessus de leur
tête, et même les poissons faisaient de joyeux bonds en guise de
signes à leur façon.
Mais,
pendant ce temps, le labeur n'avançait pas. Le père entrait dans
des colères fortes ; il maudissait la fille de nulle part qui
détournait son fils du travail. Sa rage enflait tant et tant que
bientôt le vilain personnage eut de très méchantes pensées. Il
n'était pas d'humeur à se laisser moquer ainsi par une fille de
rien. De noirs desseins se mirent à grandir dans sa caboche de
rustaud chagrin.
Un
matin, peu avant l'heure où disparaissait habituellement son fils
pour retrouver celle qui lui tournait les sangs et la raison, le
furieux partit les poings serrés et l'âme noire. Il allait
supprimer, une bonne fois pour toute, celle qui détournait son fils
du droit chemin. Arrivé en bord de Loire, il vit Ondine barboter
comme à son habitude. Il voulut la saisir pour lui tordre le cou.
Elle plongea alors pour disparaître dans les flots.
L'homme
pour excédé qu'il fût, n'avait pas perdu esprit d'à propos. Il
s'était muni d'un grand filet de pêche : il avait prévu que
la belle s'ensauverait dans l'eau. Il jeta son épervier, là où
elle avait plongé. Il remonta bien vite son piège ! Il y avait
belle et grosse prise dans les mailles traîtresses de son grand
filet.
Mais
quelle ne fut pas sa surprise : ce n'était pas Ondine qui se
débattait dans le piège. Il y avait là un étrange et magnifique
poisson doré comme jamais pécheur n'avait pu en voir dans tout le
pays. L'homme des forêts comprit bien vite qu'il y avait diablerie
ou maléfice. Ondine n'était pas une fille sauvage : elle avait
des pouvoirs magiques. Son fils était bel et bien ensorcelé !
Il
se saisit du poisson mystérieux et le jeta très loin dans les
fourrés. Il avait beau rouler des bras et des yeux, il y avait en
lui un fond de crainte sacrée qui l'empêchait de porter le coup
fatal à cette bête du diable. Derrière lui, Saül avait tout vu.
Il se doutait depuis le matin que son géniteur tramait une mauvaise
aventure. Il se précipita sur celle qui était Ondine quelques
instants plus tôt pour lui poser doux baiser sur la bouche avant que
de la remettre à l'eau.
La
fureur du père fut terrible. Il voulait s'en prendre à son rejeton.
Il empoigna une hache pour lui passer définitivement l'envie de
rêver aux chimères. Il avait déjà dressé l'arme terrible au
dessus de sa tête, il allait faire sacrifice comme jadis, Abraham
avant lui. Mais ce qui se passa alors le figea pour de très longs
instants …
Saül,
qui s'était approché de la Loire pour délivrer Ondine, prit
racine sur la berge. De sa tête, des branches s'élevèrent vers le
ciel et, chose plus étrange encore, d'autres, plus souples, se
courbaient au-dessus du fleuve jusqu'à caresser les flots. Saül
n'était plus ; à sa place un arbre nouveau et magnifique se
jouait à la fois du ciel, de la terre et des eaux.
Le
père ne put donner de la cognée sur celui qui était, il y a peu
encore, son fils, et qui maintenant était un arbre comme jamais on
ne vit alors. Il partit loin d'ici et jamais nul n'entendit jamais
parler en bord de Loire de celui qui n'acceptait pas les amours
enfantines. On ne revit plus Ondine ; elle reste désormais au
secret des profondeurs de la Loire. Elle est sa Princesse majestueuse
; notre belle fille Liger.
Depuis
ce jour, un nouvel arbre aime les rivières, ses branches caressent
les flots et parfois un étrange poisson vient se frotter à elles.
Beaucoup ont cru que Saül regrettait sa belle à jamais perdue et
ont appelé ce nouvel arbre le Saule pleureur. Ils se sont lourdement
trompés, c'est un Saül caresseur et tendre que vous voyez parfois
au bord de l'eau. Les saules ne pleurent pas, ils se rient des hommes
qui se mettent en travers des amours qui s'abritent en nos bords de
Loire !
Maintenant,
s'il vous arrive de passer une nuit sans Lune sur nos rivages, vous
pourriez bien assister à un étrange spectacle féerique. Ondine,
la superbe fille Liger, surgit de l'eau et s'unit à Saül en une
danse envoûtante. De leurs ébats, naissent tous les animaux du
fleuve. Ne faites jamais de mal à l'un d'eux ; ils sont sous
une magnifique et puissante protection ...
Arboricolement
vôtre.