vendredi 7 septembre 2018

Message comme une image …



Se souvenir du temps jadis.



Il était une fois un Etre Suprême, satisfait de sa dernière tentative pour peupler sa demeure. Après des essais et des erreurs, des imperfections notables quant à la taille des occupants, il se trouva bien aise d’avoir songé à mettre des locataires à son image. Le Créateur, en sa naïveté, pensait sans doute que ces êtres debout allaient se montrer dignes de leur immense modèle.

Dans les premiers temps, Celui qu’on ne nomme pas, ne fut pas mécontent de son œuvre. Après des débuts hésitants, les humains investirent en totalité leur terrain de jeu. Ils crûrent et se multiplièrent, respectant ainsi à la lettre les conseils du patron. Il y eut bien quelques soubresauts, conflits intestins, querelles de famille mais dans l’ensemble, le Très Grand était content !

Il leur insuffla dans le creux de l’oreille un souffle divin, leur recommanda instamment de respecter, préserver et aimer la nature et ses hôtes qu’Il avait tout spécialement conçus pour eux. Au début, le conseil avisé fut pieusement suivi d’effet. Les humains vécurent en totale harmonie avec les autres locataires de la planète. Il se murmura même, dans certaine obédience un peu naïve, que c’était alors le paradis sur Terre !

Mais comme le nombre de ceux qui regardaient l’horizon, dressés sur des jambes, ne cessait d’augmenter, il y eut bien des soucis. Leur posture, d’abord, les incitant à regarder toujours plus loin, les fit mépriser ce qui était tout proche. L’Etre suprême en fut affecté : il n’avait pas songé qu’un simple détail technique eût pu avoir autant de répercussions. Leur nombre les poussa ensuite à considérer qu' animaux et plantes ne devaient être qu’à leur service ; ce fut vraiment le début de la fin. Le Tout Puissant vécut là un véritable enfer !

Il chercha bien des solutions pour ramener sa créature à de plus sages comportements. Il inventa le langage afin que chaque plante, chaque animal, chaque minéral puisse être désigné et ainsi considéré. Durant une longue période de l’Histoire, l’astuce sembla relativement efficace. Si les abus ne cessèrent pas, il se trouvait cependant bien des humains capables de regarder autour d’eux et de connaître tout ce qui les entourait.

Il se créa même des spécialistes en bien des domaines. Les uns nommaient, classaient, observaient les oiseaux quand d’autres inventoriaient les moustiques, certains les mammifères et d’autres encore les plantes. Le Créateur eut l’idée de permettre à sa créature de mettre par écrit cet immense savoir. Il se fit des encyclopédies, des classifications savantes et des théories de l'évolution qui amusèrent beaucoup le Très Grand.

Bien que la connaissance intime du vivant eût considérablement régressé au fil des temps chez le commun des péquins, il demeurait un respect qui satisfaisait le créateur. Il aurait bien dû se méfier un peu plus de la propension désastreuse des humains à souiller tout ce qu’ils entreprennent. Mais Dieu, puisqu'il faut enfin le nommer ainsi , en sa grande clémence, pardonnait et espérait que ces petits êtres allaient se reprendre.

La suite lui prouva qu’il faisait fausse route. Quelques anges ironiques avaient mis en garde le Saint Patron, lui faisant bien remarquer que les voies qu’il empruntait était non seulement impénétrables mais souvent inextricables ; le Créateur balaya d’un revers de la main ces avertissements. Sur Terre, la grande spoliation de l’héritage naturel était en marche.


Les humains brûlaient, tuaient, exploitaient, détruisaient, construisaient sans modération, sans mesure, sans considération pour les générations à venir. L’appétit des créatures était sans égal, leur cupidité sans limite, leur sottise sans fin. Les espèces, les unes après les autres, tiraient leur révérence, succombaient à tous les dégâts provoqués par les plus stupides et égoïstes membres de la communauté terrestre.

Le Moins Puissant qu’il ne voulait bien l’admettre, ne renonça pourtant pas à trouver des parades. Il avait mis à la disposition des maudits bien des solutions pour qu’enfin ils ouvrent les yeux. Sculpture, peinture, poésie, gravure et bien d’autres arts leur avaient été offerts afin de leur faire prendre conscience de la beauté des choses. Si beaucoup étaient touchés par les Muses, ceux qui commandaient aux destinées du monde ne se prosternaient que devant le dieu argent.

L’anthropocène était en marche. La Terre, elle-même, était menacée par la folie de ces petits êtres misérables. Le Créateur tenta une ultime manœuvre pour sauver ce qui pouvait l’être. Il inventa la photographie afin que ceux qui en avaient encore le goût enseignent à tous les autres la beauté de la nature. Les progrès de la technique aidant, bientôt chacun pouvait capter la magnificence de l’infiniment petit, la majesté du très grand, la délicatesse d’une fleur, la tendresse d’une naissance, toutes les splendeurs de ce monde.

Une fois encore, beaucoup furent touchés, émus, convaincus de la nécessité de préserver ce trésor qui avait été confié aux humains. Les photographes animaliers et naturalistes les avaient touchés au cœur, cet organe dont sont naturellement dépourvus ceux qui dirigent la marche folle de cette société qui va à la perte de la planète.

L’état d’urgence devait être déclaré. Les maîtres du monde firent semblant de s’apitoyer sur la pauvre planète, ils firent grimaces et menteries pour rassurer les gogos mais se refusèrent à changer quoi que ce soit. La COP 21 ne fut qu’un papier tue-mouches, accroché au plafond de nos crédulités ; les ogres du libéralisme triomphant se refusant à réduire leur appétit mortifère.

Le Créateur songea alors qu’il n’était plus temps de changer la marche inexorable vers la grande destruction finale. Il fallait se contenter de laisser trace de sa création, de permettre aux derniers humains responsables de constituer une mémoire des espèces naturelles. La photographie numérique fut la dernière création du Très Grand afin de permettre aux amoureux de cette Terre qui se meurt, de saisir, une dernière fois, les espèces et les décors menacés de disparition imminente .

Le Tout Puissant fut écouté. Il remarqua des pionniers qui, armés d’appareils de plus en plus sophistiqués, battaient la campagne, les rivières et les montagnes pour immortaliser ce qui bientôt ne serait plus jamais. Il y aurait au moins belle trace de cette merveille, par Lui confiée aux humains et que leur incurie avait détruite.

Hélas, mille fois hélas, le Créateur s’aperçut, à son plus grand désappointement, que la très grande majorité de ses créatures cessèrent de regarder autour d’elles. L’appareil photographique était devenu le miroir de la vanité des humains. Ils se photographiaient eux-mêmes, en un geste d’une totale absurdité. Dieu n’en pouvait plus de ces maudits, de ces imbéciles, de ces gens qui n’ont ni cœur ni regard.

Dieu, en désespoir de cause, sacrifia tous les humains ne conservant que les rares espèces survivantes de la catastrophe provoquée par ceux qui allaient debout. Il détruisit également toutes les images représentant ces pauvres créatures qui étaient si orgueilleuses. Seuls les clichés des photographes animaliers et naturalistes furent épargnés, pour le seul plaisir du Très Grand.

Photographiquement vôtre.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...