samedi 22 septembre 2018

L’île du perroquet



Retour aux sources.



Il est un lieu paradisiaque sur la Loire, un endroit où soudain plus rien n’existe que cette relation unique à la rivière, la nature et les lumières d’un ciel enchanteur. C’est là, au hasard d’une aventure fluviale, que j’ai croisé un homme heureux, un perroquet gris du Gabon sur l’épaule, son chien à ses côtés, un gentil molosse blanc.

J’ai eu scrupule à l’aborder, l’homme était en grande conversation avec son compagnon. Il sifflait, le perroquet lui répondait, il lui parlait, l’animal bavard reprenait à son tour quelques mots que je percevais alors difficilement. C’est je crois le perroquet qui s’aperçut le premier de ma présence et prévint celui avec qui il conversait. Le chien n’avait rien dit, trop occupé me sembla-t-il alors, à chasser les mouches.

L’homme vint à moi, flanqué de son interlocuteur. Ils me saluèrent tous les deux, lui d’une poignée de main virile et franche, l’oiseau de quelques notes aiguës et d’un « salut » réjouissant. Je lui expliquai alors que j’avais abordé sur son île, la pensant inhabitée. Il sourit, démontra ainsi qu’il ne sentait aucune agression dans cette intrusion singulière. Il me raconta alors son île.

Il avait été enfant du continent, cet ailleurs lointain qui se situe de chaque côté de son merveilleux refuge. Il avait fait de l’endroit son terrain de jeu, sa cachette, son domaine secret. Il y avait alors quelques habitants, deux ou trois fermes qui faisaient l’élevage bovin et caprin. Les fermiers savaient qu’il y avait toujours ce gamin qui traînait partout, sans jamais commettre de bêtises, ils l’acceptaient de bon cœur puisque les autres enfants des villages alentour ne venaient jamais avec lui.

Il avait une plate, une barque en bois munie de rames pour venir jouir pleinement de ce grand espace naturel. Il aimait par-dessus tout sa mangrove, cet endroit marécageux, propice aux rêves les plus fous, perdu dans les hautes herbes, les ronces, les roseaux et les bambous. Il était un aventurier affrontant des monstres terrifiants, avançant dans un territoire hostile à la recherche d’un trésor.

Son trésor, il l’avait trouvé, c’était son île qui perdit un à un tous ses habitants pour finir par n’être qu’à lui-même. Un propriétaire fortuné possède les cent cinquante hectares de l’endroit sans jamais vraiment y venir, faisant de notre homme le dépositaire de son île. L’île était pour ainsi dire déserte, les bâtisses prenaient doucement des allures de maisons hantées, battues par le vent et les courants d’air. L’homme avait vieilli, il y venait toujours aussi souvent, oubliant ses soucis, son travail harassant pour se réjouir du spectacle au petit matin ou à la tombée de la nuit.

C’est un jour qu’il baguenaudait parmi les frênes centenaires qu’il découvrit perché sur le vénérable et gigantesque noyer, un perroquet gris qui semblait égaré dans ce coin perdu du monde. Il ne chercha jamais à comprendre comment l’oiseau avait atterri là. Sa seule préoccupation fut de l’aborder, de gagner sa confiance, de le protéger, le nourrir et en faire son ami.

Au bout du compte, ils s’apprivoisèrent mutuellement. Le perroquet fut adopté tout autant par le maître que par son chien et un curieux trio se constitua. Pourtant, l’homme rencontra un petit souci, si son chien aimait à le suivre pour venir sur l’île, le perroquet quant à lui refusait obstinément de gagner le continent. Sur la barque désormais motorisée, il s’envolait pour regagner son noyer.

C’est lui qui gagna la partie, l’homme et le chien décidèrent d’investir une fermette qui tenait encore vaillamment debout. Il ne l’avait pas choisie au hasard, de ce qui lui tient lieu de cuisine sommaire, il aperçoit de chaque côté la Loire dans deux trouées au milieu des arbres. C’est là qu’il me conduisit pour me narrer son histoire avant que de me faire visiter son domaine.
Il vit désormais là parmi les poules et les moutons, les biches et les petits animaux sauvages. Le propriétaire a fini par lui confier la lourde responsabilité d’entretenir son domaine. Il a de quoi occuper toutes ses journées même s’il se réserve bien des pauses pour admirer ce spectacle, jamais identique, toujours mouvant et changeant. Il pêche, il travaille, il rêve, il garde les moutons, il explore encore, découvrant toujours des trésors comme ces ruches sauvages dans le tronc creux d’un frêne qu’il venait de mettre à jour.

Il voulut, la nuit tombée, m’inviter à le suivre sur sa barque afin de profiter de la quiétude d’une Loire qui était à son étale. La lune éclairait ce décor, l’île était devenue une masse sombre. Le perroquet n’avait plus peur, il était perché sur l’épaule de l’îlien et donnait à la scène une allure surnaturelle. Je dus retourner à la civilisation, emportant à jamais l’image de cet homme et de ces animaux dans un décor de rêve.

Continentalement sien.


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