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aux sources.
Il
est un lieu paradisiaque sur la Loire, un endroit où soudain plus
rien n’existe que cette relation unique à la rivière, la nature
et les lumières d’un ciel enchanteur. C’est là, au hasard d’une
aventure fluviale, que j’ai croisé un homme heureux, un perroquet
gris du Gabon sur l’épaule, son chien à ses côtés, un gentil
molosse blanc.
J’ai
eu scrupule à l’aborder, l’homme était en grande conversation
avec son compagnon. Il sifflait, le perroquet lui répondait, il lui
parlait, l’animal bavard reprenait à son tour quelques mots que je
percevais alors difficilement. C’est je crois le perroquet qui
s’aperçut le premier de ma présence et prévint celui avec qui il
conversait. Le chien n’avait rien dit, trop occupé me sembla-t-il
alors, à chasser les mouches.
L’homme
vint à moi, flanqué de son interlocuteur. Ils me saluèrent tous
les deux, lui d’une poignée de main virile et franche, l’oiseau
de quelques notes aiguës et d’un « salut »
réjouissant. Je lui expliquai alors que j’avais abordé sur son
île, la pensant inhabitée. Il sourit, démontra ainsi qu’il ne
sentait aucune agression dans cette intrusion singulière. Il me
raconta alors son île.
Il
avait été enfant du continent, cet ailleurs lointain qui se situe
de chaque côté de son merveilleux refuge. Il avait fait de
l’endroit son terrain de jeu, sa cachette, son domaine secret. Il y
avait alors quelques habitants, deux ou trois fermes qui faisaient
l’élevage bovin et caprin. Les fermiers savaient qu’il y avait
toujours ce gamin qui traînait partout, sans jamais commettre de
bêtises, ils l’acceptaient de bon cœur puisque les autres enfants
des villages alentour ne venaient jamais avec lui.
Il
avait une plate, une barque en bois munie de rames pour venir jouir
pleinement de ce grand espace naturel. Il aimait par-dessus tout sa
mangrove, cet endroit marécageux, propice aux rêves les plus fous,
perdu dans les hautes herbes, les ronces, les roseaux et les bambous.
Il était un aventurier affrontant des monstres terrifiants, avançant
dans un territoire hostile à la recherche d’un trésor.
Son
trésor, il l’avait trouvé, c’était son île qui perdit un à
un tous ses habitants pour finir par n’être qu’à lui-même. Un
propriétaire fortuné possède les cent cinquante hectares de
l’endroit sans jamais vraiment y venir, faisant de notre homme le
dépositaire de son île. L’île était pour ainsi dire déserte,
les bâtisses prenaient doucement des allures de maisons hantées,
battues par le vent et les courants d’air. L’homme avait vieilli,
il y venait toujours aussi souvent, oubliant ses soucis, son travail
harassant pour se réjouir du spectacle au petit matin ou à la
tombée de la nuit.
C’est
un jour qu’il baguenaudait parmi les frênes centenaires qu’il
découvrit perché sur le vénérable et gigantesque noyer, un
perroquet gris qui semblait égaré dans ce coin perdu du monde. Il
ne chercha jamais à comprendre comment l’oiseau avait atterri là.
Sa seule préoccupation fut de l’aborder, de gagner sa confiance,
de le protéger, le nourrir et en faire son ami.
Au
bout du compte, ils s’apprivoisèrent mutuellement. Le perroquet
fut adopté tout autant par le maître que par son chien et un
curieux trio se constitua. Pourtant, l’homme rencontra un petit
souci, si son chien aimait à le suivre pour venir sur l’île, le
perroquet quant à lui refusait obstinément de gagner le continent.
Sur la barque désormais motorisée, il s’envolait pour regagner
son noyer.
C’est lui qui gagna la partie, l’homme et le chien décidèrent
d’investir une fermette qui tenait encore vaillamment debout. Il ne
l’avait pas choisie au hasard, de ce qui lui tient lieu de cuisine
sommaire, il aperçoit de chaque côté la Loire dans deux trouées
au milieu des arbres. C’est là qu’il me conduisit pour me narrer
son histoire avant que de me faire visiter son domaine.
Il
vit désormais là parmi les poules et les moutons, les biches et les
petits animaux sauvages. Le propriétaire a fini par lui confier la
lourde responsabilité d’entretenir son domaine. Il a de quoi
occuper toutes ses journées même s’il se réserve bien des pauses
pour admirer ce spectacle, jamais identique, toujours mouvant et
changeant. Il pêche, il travaille, il rêve, il garde les moutons,
il explore encore, découvrant toujours des trésors comme ces ruches
sauvages dans le tronc creux d’un frêne qu’il venait de mettre à
jour.
Il
voulut, la nuit tombée, m’inviter à le suivre sur sa barque afin
de profiter de la quiétude d’une Loire qui était à son étale.
La lune éclairait ce décor, l’île était devenue une masse
sombre. Le perroquet n’avait plus peur, il était perché sur
l’épaule de l’îlien et donnait à la scène une allure
surnaturelle. Je dus retourner à la civilisation, emportant à
jamais l’image de cet homme et de ces animaux dans un décor de
rêve.
Continentalement
sien.
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