dimanche 9 septembre 2018

La soupe du tireux d’jard



Les quatre galets.





Il était une fois un « tireux de jard » un homme simple et pauvre qui vivait péniblement d’un travail harassant. Il ramassait du matin au soir des cailloux dans le lit de la Loire pour ceux qui voulaient bâtir maison, décorer leurs jardins ou bien constituer de délicats sols avec des galets polis par l’usure du temps et des flots.

Nous sommes au début de l’année 1789, une année de grande disette qui suivit un terrible hiver comme on n’en vit guère en bord de Loire. Cette curieuse histoire mérite qu’on s’y attarde pour tenter de comprendre les humains si c’est encore possible. Gustave n’avait plus de quoi manger, les gens gardaient précieusement leurs maigres réserves et ne dépensaient leur argent que pour tenter de se nourrir.

Gustave tout dépourvu qu’il était se résolut à aller toquer aux portes de ses voisins, quémandant de quoi subsister encore un peu. Dans chaque maison, il recevait mauvais accueil et propos glacés ; on le priait d’aller mourir un peu plus loin et de laisser tranquilles ceux qui avaient encore de quoi tenir le coup. C’est ainsi, la fraternité a ses limites, celles de la grande détresse par exemple.

De rebuffades en contrariétés, notre homme puisait dans sa détermination une énergie folle et un désir de survie de nature à soulever des montagnes. Ce qu’il ne pouvait obtenir par la pitié il pouvait se l’approprier par la violence ou bien la ruse. C’est de ce second expédient qu’il usa, il ne se nommait pas Renard pour rien.

C’est vers la grande et belle demeure du châtelain qu’il guida ses pas. Il demanda à voir ce personnage important, ayant à lui proposer une solution pour nourrir à peu de frais sa nombreuse domesticité. L’homme était pingre, Gustave se faisait fort de le gruger aisément. La suite prouva qu’il ne se trompait guère.

Le nobliaux le reçut, poussé à la fois par la curiosité tout comme la perspective d’épargner plus encore ses deniers. Gustave lui affirma qu’en tant que tireux d’jard , il venait de percer le secret de la fameuse soupe de cailloux, celle-là même qui nourrit son homme quand il n’a plus rien dans ses réserves. L’avare se frottait les mains, voilà bien une formidable opportunité qui s’offrait à lui d’autant plus miraculeusement que l’homme ne lui demandait rien en échange que la possibilité de préparer sa mixture sans ses cuisines.

Le châtelain que nous nommerons Harpagon pour ne pas ternir la réputation de ses descendants, fit passer la consigne auprès de ses domestiques. Chacun devait faire en sorte de laisser le brave Gustave préparer sa soupe des quatre galets car tel était le nom de ce miracle de la nature. Devant tous les gens d’Harpagon, notre tireux d’jard expliqua qu’il avait découvert la composition de la plus économique des soupes.

Il partit dans une longue explication, détaillant par moult détails, les propriétés respectives des minéraux qui entraient dans la composition de la mystérieuse recette. Plus il parlait, plus il donnait d’informations, plus sa crédibilité grandissait parmi ses hôtes. Il savait que les crédules aiment à se nourrir de belles paroles et en la matière, il était homme à avoir la langue bien pendue.



Son long exposé tenu avec brio, il sortit de sa besace quatre galets de belle taille. L’un en silex, l’autre en quartz, un de granit et le dernier en basalte. Il affirma, catégorique et péremptoire, que nul autre assemblage n’était possible et que seul un fin connaisseur de la chose minérale comme lui pouvait identifier sans risque d’erreurs les bons cailloux à jeter le moment opportun dans la marmite à la condition exclusive qu’ils vinssent de la Loire et de nul autre endroit.

Pour l’heure, son auditoire buvait ses paroles à défaut de pouvoir s’en nourrir, ce qui ne devrait plus tarder à l’en croire. Il fit quérir une énorme marmite en fonte, demanda qu’on allume le feu dans la cheminée et pendit la marmite pleine d’eau sur sa crémaillère. Quand l’eau commença à frémir, il y jeta le Quartz, assura qu’il convenait de commencer par lui au risque de tout faire échouer.

Puis aux premières bulles qui éclatèrent à la surface, ce fut au tour du silex et du granit de rejoindre le premier galet. Cette fois, précisa-t-il, il n’y avait pas de préférence pour l’un ou pour l’autre mais que le mieux était de les jeter dans le même mouvement pour réaliser une osmose parfaite. Plus il expliquait, plus son public donnait de l’importance à sa parole.

Il ajouta que pour le dernier caillou, il convenait que l’eau dans la marmite bouillonne à gros bouillons et que c’était précisément à cet instant qu’il fallait y plonger le Basalte et une poignée de gros sel, pourvu qu’il provienne du faux saunage. Harpagon jura ses grands dieux qu’il n’avait chez lui que du sel dûment taxé. On se gaussa dans la cuisine et le cuisinier en personne apporta ce que Gustave exigeait.

La marmite faisait grand bruit, les galets roulaient sous l’effet de l’eau en ébullition sans qu’aucun parfum ne vienne enchanter les narines des spectateurs. Notre tireux d’jard demanda à chacun d’aller vaquer à ses affaires, la cuisson demandait une paire d’heures désormais pour que l’alchimie puisse s’opérer tranquillement. Gustave exigea simplement la présence de Toinette, une servante simplette qui aurait selon lui à touiller régulièrement le contenu de la préparation.

Harpagon avait à faire et souhaitait aussi que son personnel ne reste pas inactif aussi longtemps. Il pria chacun de vaquer à sa tâche et confia La Toinette au service de Gustave. Quand tous furent partis, le gredin glissa quelques gentillesses à la petite avant de lui demander d’ajouter sans rien dire à personne, un poireau dans l’eau.

Elle fit ce qu’il lui demandait puis alla chercher des pommes de terre, une citrouille, un gros navet, quelques carottes, du persil, des épices et aussi un bon morceau de lard. Les galets malaxèrent le tout avec application et efficacité. Quand tous revinrent au bout de deux heures, la cuisine sentait fort bon mais plus rien n’était identifiable dans la marmite si ce n’est un bouillon parfumé et fort coloré.

Harpagon se réjouit de ce miracle et demanda s’il était possible de refaire une soupe avec les quatre cailloux ? Gustave de déplorer qu’ils étaient à usage unique mais qu’il pouvait lui vendre pour un bon prix un sac contenant des galets n’ayant jamais servi. Il acceptait de faire commerce avec lui pour peu qu’il lui fit cadeau d’un bon peu de la présente soupe. L’affaire fut conclue et notre tireux d’jard repartit avec de quoi manger et une bourse bien pleine. Quant à Toinette elle eut droit à un gros bécot dans le cou, ce qui enchanta la petiote et acquit à jamais son silence.

Gastronomiquement sien.

 Peintures
Eugène Prévost
Messemin 1880-1944

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