mercredi 1 mars 2023

La véritable histoire de la Pucelle.

 La dame Jeanne.

 

Moi aussi, je peux raconter n'importe quoi ...





L'histoire n'est jamais ce qu'on vient nous servir surtout lorsqu'il s'agit de chanter les louanges d'une héroïne nationale, d'une sainte et d'une martyre. Qu'importe le prix qu'il faudra payer au rétablissement de la vérité ; je vais de ce pas vous restituer l'histoire comme elle se raconte en pays de bonimenterie.

Il était une fois un petit groupe de mariniers de Loire désœuvrés depuis que de méchants Anglois étaient venus faire le siège de la bonne ville d'Orléans. Naviguer sous la menace du boulet n'était pas une perspective qui enchantait ces joyeux drilles plus facilement adeptes du canon que des projectiles …

Nos lascars avaient des envies d'ailleurs. Il est des fréquentations qui déplaisent et celle de ces buveurs de boissons frelatées leur était proprement insupportable. Ils décidèrent d'aller naviguer sous d'autres cieux. Ils jetèrent leur dévolu sur un petit coin de France entre Champagne et Lorraine pour changer d'air mais pas de manières.

Ils jetèrent l'ancre du côté de Domrémy. La Meuse n' y était pas très large mais ces nigauds pensaient avoir affaire à une rivière aux variations aussi grandes que celles de notre Loire. En cet été de l'an de grâce 1428, ils entreprirent de fabriquer un bateau afin d'établir leur commerce de ce côté.

Manier la scie, la varlope et le rabot donne vite soif. Nos ouvriers-charpentiers, le gosier sec après avoir épuisé leurs réserves, se mirent en quête d'un vigneron susceptible de remplir quelques dames-jeannes d'un bon petit vin du pays. Ils trouvèrent sur leur chemin une jeune bergère charmante quoiqu'un peu délurée. La demoiselle ne semblait pas effrayée par l'approche de ces grands gaillards.

Le plus hardi de nos mariniers se précipita vers la jeune fille pour lui demander où ses compagnons et lui pourraient redonner pleine et entière gloire à ces dames-jeannes, sauvées des perfides Anglois mais à cette heure désespérément vides. La bergère n'entendait pas grand-chose à ce langage fleuri d'autant que notre homme usait d'expressions que je m'interdis de vous répéter.


 

Elle comprit cependant l'essentiel de la requête et conduisit les lurons auprès de son géniteur qui fit bonne affaire en vendant fort cher un mauvais vin plus jaune que blanc. Le marinier, quand il se fait charpentier, est certes moins regardant sur la qualité du vin. Nos compères revinrent souvent remplir la dame-jeanne qui se vidait bien vite ...

Le plus fripon de la troupe prit l'habitude de se charger de la course. La bergère lui avait tapé dans l'œil. Il se plaisait à lui dire : «  C'est Dieu qui m'envoie. Je viens remplir ma Dame Jeanne et rêve de bouter les Anglois de ma bonne ville pour reboire au plus vite le bon vin de chez nous ... » Il se trouve que le garçon se prénommait Gabriel et que bien des inventions se sont appuyées sur ce fait incontestable.

Gabriel était de plus en plus pressant avec la bergère. On se sait plus quelle cruche il voulait remplir. Ses propos se faisaient égrillards, ses mains s'insinuaient souvent sous les jupons de la demoiselle, si bien que celle-ci se jura de porter, le plus vite possible,un pantalon masculin. Mais il lui fallait à tout prix renvoyer ce soudard aux manières un peu lourdes.

La bergère inventa alors une fable pour se sortir de ce guêpier. Elle prétendit qu'un certain Gabriel, archange de son état, était venu lui mander de bouter l'Anglois de la bonne ville d'Orléans . Il l'avait chargée d'une mission sacrée pour mener Charles VII à Reims afin qu'il devînt Roy véritable de la France.

Jeanne, puisqu'elle portait ce joli prénom que ces maudits ivrognes donnaient à une grosse bonbonne, n'était pas mécontente de la petite invention finale de son cru. Elle se disait qu'en libérant la ville d'Orléans elle se débarrasserait de ce Gabriel si insistant. Il irait à nouveau boire du vin de chez lui et elle pourrait revenir garder ses moutons.

Elle se mit donc en chemin, se privant de l'autorisation d'un père plus occupé à tailler sa vigne qu'à surveiller sa fille. Elle rencontra Charles VII en personne et trouva les mots pour convaincre un Prince aux abois qui n'avait plus de carte dans sa main.


 

En moins de temps qu'il n'en fallait pour tondre un mouton, la demoiselle se trouva à la tête d'un convoi de ravitaillement de la ville d'Orléans. Charles VII, pour désespéré qu'il était, n'en était pas moins un homme avisé. Sans croire un seul mot de la mission guerrière de la jeune fille, il avait trouvé amusant de faire porter des vivres par une bergère déguisée en soldat.

La suite fut alors une incroyable série de malentendus. Dunois, le chef militaire avait pris lui aussi notre Jeanne pour une petite cruche et l'avait laissée en plan du mauvais côté de la rivière avec vaches, cochons et moutons ; ce que découvrant , la damoiselle ulcérée, se mit dans une telle fureur qu'elle fit changer manifestement le vent de sens et qu'à ce moment , d'autres mariniers vinrent à sa rencontre pour lui faire traverser la Loire.

On la maintint une journée durant à l'écart du bon peuple dans un château du côté de Chécy. Et ce n'est que la nuit venue qu'elle fit son entrée dans la ville assiégée. Le ravitaillement qu'elle portait provoqua l'enthousiasme d'une population qui avait l'estomac dans les talons. Elle fut accueillie comme une sauveuse. Le succès lui monta à la tête !

Pire que tout, le Gabriel, qui avait eu vent de son départ, l'avait suivie à la trace. Quand Jeanne revit ce gredin, elle eut un coup de folie. Enfourchant son grand cheval , telle une furie, elle se lança à l'assaut d'un fortin anglais du côté de Saint-Loup. Quand le brave Dunois parvint enfin à la ville, le succès miraculeux de la bergère était arrivé à lui comme une traînée de poudre.

Pour sauver la face, Dunois se joignit à elle afin de finir le travail. Jeanne, toujours pourchassée par le maudit Gabriel, risqua sa vie afin d'échapper aux avances de plus en plus précises de ce garçon. On prétend que la Pucelle aurait hurlé : « Je ne veux pas d'un tel mari niais ! » C'est de ce jour que ce nom fut donné à une corporation qui a toujours gardé secret le rôle de Gabriel dans la délivrance d'Orléans.


 

La suite vous croyez la connaître. Tout ou presque vous a été raconté. Il se trouve que Jeanne réalisa la fable qu'elle avait montée de toutes pièces pour se débarrasser d'un garçon dont elle ne voulait pas. Elle conduisit Charles VII vivre son triomphe ; qui sait si, à cette occasion, ne se présenterait pas un beau prince pour décourager ce Gabriel trop collant, toujours à ses basques .

Elle dut l'éconduire elle-même cependant , et c'est là qu'elle commit la faute la plus grave de son épopée. Gabriel avait pour oncle un certain Cauchon, évêque de son état qui n'eut de cesse de permettre à son cher neveu de parvenir à ses fins. Ce fut là le marché secret que ce terrible personnage tenta de négocier avec la jeune fille lorsqu'elle fut prise par les Bourguignons et livrée aux Anglais.

Jeanne préféra le bûcher plutôt que de se passer la corde au cou avec un marinier, ivrogne de son état. C'est ainsi qu'une légende fit d'elle une grande héroïne. Pour mettre à distance un garçon peu à son goût , cette jeune fille avait tout inventé. Elle avait sans doute raison : rien n'est plus redoutable à craindre que les débordements de la Loire et de ses mariniers.

Je vous laisse juge de la véritable histoire. Vous comprendrez mieux pourquoi on vous a servi des menteries moins incroyables que cette vérité lamentable. Il est préférable parfois de se bercer d'illusions plutôt que de découvrir le pot aux roses. Je me dois pourtant de vous livrer la plus effroyable révélation de ce récit : c'est Gabriel en personne qui mit le feu aux poudres, pardon aux fagots. C'est si mesquin que je vous prie de n'en jamais souffler mot, vous risqueriez d'attiser les braises …. Que ce garçon se fit ensuite marin sur la Seine ne fit qu'ajouter à sa félonie !


 


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