samedi 25 mars 2023

Faire un tonneau !

 

Sens dessus-dessous …





Il était une fois un brave et ingénieux tonnelier, Édouard, capable de réaliser des prodiges avec ses mains. Il savait l’art délicat de cintrer les douelles en les chauffant délicatement avant de les fixer avec des cercles parfaitement ajustés. Il avait la réputation de faire les plus belles barriques, parfaitement étanches et qui plus est, capables de tromper bien des gabelous.


Pour ses amis mariniers, tous plus au moins faux-sauniers pour améliorer l’ordinaire, il avait pensé des muids qui contrairement à ceux de ses confrères de Loire ne contenaient pas 289 litres de vin mais seulement 250 litres pour la simple et malicieuse raison qu’ils avaient un double fond afin d’y dissimuler du sel de contre-bande. Édouard risquait tout autant que ses camarades si l’un d’eux était surpris. Ses tonneaux étaient marqués de son estampille, le poinçon réglementaire, il en assumait le risque comme les mangeux de Lune, ces gars intrépides qui naviguaient de nuit.


Édouard avait toujours désiré participer à pareille aventure. Il savait le risque qu’il encourait à se faire ainsi complice des contrebandiers, autant profiter de l’exaltation de la course. C’est ainsi que lors de la nouvelle Lune, il embarqua avec des marins audacieux, transportant de vieilles barriques vides prétendument pour la vinaigrerie de Meung-sur-Loire, la plus importante de la région.


Naturellement les doubles fonds étaient pleins de faux sel tandis que pour tromper la curiosité des gabelous, le bois utilisé : du pin, était plus léger que le chêne habituel (Le pin a une densité inférieure à 0,5 tandis que le chêne vert atteint 0,95). Édouard avait mis au point un savant vernis laissant croire à la supercherie afin de donner le change. Il se pensait ainsi à l’abri des mauvaises surprises.


Le « Vardiaux », ce beau fûtreau taillé pour cette course nocturne, long et léger, capable de transporter bien des barriques tout en allant parfaitement au vent ou à la bourde, était le voilier idéal pour pareille aventure d’autant que son équipage était passé maître de cette navigation nocturne qui en aurait découragé plus d’un. Cette nuit-là, le bateau allait bon train, l’équipage se taisait tandis que la voile noire, gonflée d’un vent de Galerne idéal, laissait entrevoir un voyage aisé.


Soudain, une voile blanche déchira l’obscurité. C’était la Patache. L’embarcation des soldats de la gabelle filait bien plus vite qu’eux. Les soldats avaient eu vent de leur passage – pour quelques deniers, la trahison a toujours été monnaie courante - ils savaient la marchandise du Vardiaux et avaient mis assez de toile pour contrer ces maudits gredins. La Patache gagnait du terrain d’autant plus aisément qu’elle n’était chargée que de quelques soldats et d’aucun fret.


Sur le Vardiaux dont l’avance fondait comme embâcle lors du dégel, il fallait agir au plus vite. La mort dans l’âme, les mariniers décidèrent de jeter par-dessus bord quelques muids qui les alourdissaient par trop dans cette poursuite. Mieux valait perdre le bénéfice de la course que de se retrouver pour certains aux galères ou pour les bizuts avec une vilaine flétrissure. Édouard était de ceux-là, jamais il n’avait eu maille à partie avec les gabelous, cette sale engeance ! Pour lui et son métier, il était préférable de ne pas commencer.


Le fûtreau quelque peu délesté perdait toujours sur la rapide Patache. Sur le Vardiaux l’inquiétude était grande. Il fallait prendre des mesures radicales. Tous les fûts allaient passer par-dessus bord, tant pis si la Loire était un peu salée. Il n’en restait plus qu’un lorsque le capitaine, un vieux marin expérimenté, regardant le tonnelier qui en la circonstance était devenu un voyageur inutile et encombrant, lui intima l’ordre d’enjamber la bordée afin de gagner la rive tout en allégeant un peu l’embarcation.


Édouard à sa grande honte dut avouer qu’il ne savait pas nager. La Loire était grosse, il n’allait pas survivre à pareille aventure d’autant plus qu’avec cette nuit noire, il ne risquait pas de s’accrocher à une quelconque épave. Il savait la réputation de ses barriques, avant qu’on jette la dernière dans la rivière, il demanda à s’y enfermer. Le temps de soulever l’Esselière, le tonnelier se glissa dans sa barrique que l’équipage jeta à l’eau.


Ainsi allégé, le Vardiaux ne perdit plus de terrain sur la Patache. L’équipage était sauf. Ce n’était plus qu’une question de patience et de savoir-faire pour semer définitivement les gabelous. Ces derniers, tout obnubilés par leur course poursuite ne songèrent pas à attraper les pièces à conviction qui flottaient à leur rencontre. La dernière tout comme toutes les autres leur passa devant le nez sans la moindre réaction.


Édouard, dans sa cachette flottante n’avait qu’à se féliciter de la qualité de son travail. Il flottait sans encombre bien qu’il fut quelque peu chahuté par les flots. Il se dit qu’il devrait prendre son mal en patience jusqu’à ce que son nouvel esquif vienne à se poser quelque part. D’une irréductible confiance en ses fûts, il s’endormit se laissant bercer par le tangage, une très ancienne réminiscence de son enfance.


Il se réveilla, conscient que son aventure n’avait pas encore trouvé son terme. Il devina plus qu’il ne le vit que le jour s’était levé. Il sentait également que le tumulte des eaux ne présageait rien de bon. La Loire avait dû grossir, la barrique filait grand train et gîtait en tous sens. Il en eut le mal de mer et finit, immanquablement par vomir tripes et boyaux.


Plus le temps passait plus sa posture devenait inconfortable tout autant que l’atmosphère dans son tombeau flottant se faisait lourde et nauséeuse. Le tonnelier s’inquiétait de plus en plus, se demandant combien de temps durerait l’aventure. Il savait que l’on peut guère survivre plus de trois jours sans boire. Quelques gouttes d’eau perlaient de ci de là des douelles si parfaitement jointes qu’il regrettait désormais d’y avoir mis tant de soin !


Il s’endormit, se réveilla, perdit la notion du temps. Il sentait sa fin proche, il était à bout de force quand il sentit qu’il se passait quelque chose. Sa prison venait de quitter l'élément liquide, il en était certain. Elle fut hissée à bord d’une frégate traversant l’Atlantique. C’est du moins ce qu’il apprit vite après avoir repris ses esprits. L’équipage avait été grandement déçu de trouver un fût vide mais apprécia bien vite la présence d’un charpentier de bord.


Il y eut en effet quelques grains à essuyer durant la traversée que Édouard paya amplement par un travail d’une rare qualité. Tout l’équipage se loua de ses services et se réjouit de ne l’avoir pas rejeté à la mer. L’homme se dit alors que son destin avait choisi pour lui, il se laissa porter là où le vent mena le navire. C’est ainsi qu’il débarqua à la Guadeloupe.


Rapidement il trouva usage de son métier. Si le vin n’était pas cultivé sous ces latitudes, la canne à sucre commençait à faire son apparition. Un premier raffinage grossier produisait un sirop fort épais et sucré du nom de mélasse. Édouard retrouva son métier de tonnelier afin de pouvoir transporter en Europe ce liquide visqueux pour un raffinage plus élaboré afin de produire du sucre. Il prit femme dans ce nouveau monde qu’il ne quitta plus jamais.


L’ironie de son histoire, je ne sais si le tonnelier n’en sut jamais rien ? Le sel que ses amis faux-sauniers dissimulaient alors avant qu’il ne le jette dans la Loire dans sa barrique était destiné à la région orléanaise. La Mélasse y arrivait en masse puisque dans cette ville on compta jusqu’à 42 raffineries à la glorieuse époque. Il était passé du sel au sucre, d’une vie austère à une existence acidulée. Il n’avait pas eu à se plaindre d’avoir fait ce joli tonneau qui lui avait mis l’existence sens dessus-dessous.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un écureuil s'éprit d'une taupe

  Amours énantiotropes Un écureuil s'éprit d'une taupe Comble d'un amour énantiotrope Lui perché sur son gra...