lundi 19 septembre 2022

Une idée à creuser

 

Le canal d'Orléans.


 

 


 

Il était une fois une cité qui s’était vue détrônée par la faute d’un canal. Désormais sur le grand et beau fleuve royal, les vannes du commerce destiné à la Capitale ne s’ouvraient pas toutes désormais sur Orléans. Des écluses s’étaient mises en travers d’un destin jusqu’alors glorieux.


En Orléans, il fallait creuser une idée afin de domestiquer les flots le long d'un autre chemin de halage. Des hommes prirent alors des pioches et leur courage à deux mains pour percer un large sillon d'Orléans jusqu'à sa forêt éponyme. Les travaux étaient de taille, ils regardaient au loin pour rejoindre ce Loing qui conduisait depuis quelques temps bateaux et péniches jusqu'à la Seine.


La paix niche dans ceux qui eurent l'ambition de relier les fleuves : Loire et Seine. Hélas, le temps parfois se joua d’eux. Une autre invention détrôna le bel ouvrage que des hommes inconstants laissèrent à l’abandon. Le chemin de fer d’abord, puis l’autoroute ensuite eurent raison de la voie d’eau qui en dépit des conventions et des promesses se trouve toujours le bec dans les flots comme ses amis les canards. Des travaux titanesques s’imposeraient aujourd’hui afin que le tourisme fluvial puisse à nouveau rappeler le temps béni du canal d’Orléans.


Tout commença pourtant de fort belle manière. Nous sommes en 1676 et le sieur Robert Mahieu, grand bourgeois qui a fait fortune dans le commerce du bois, homme aux dents longues et affûtées, installé dans notre belle forêt d'Orléans, demande à son bon Duc, l'autorisation de construire une voie d'eau à partir de Lorris pour rejoindre le Loing et ainsi faire commerce avec Paris. L'idée est bonne, elle est rondement menée et deux ans plus tard, le tronçon de Vieilles-Maisons à Buges est ouvert. En 1679, notre négociant voit plus grand et se met à lorgner vers la Loire et la ville d'Orléans.


Hélas, le projet est trop ambitieux pour sa bourse, les fonds sont à sec et l'homme cède le canal au duc d'Orléans. Celui-ci, n'est pas plus que le roturier, capable de mener à bien la belle idée. Le projet aiguise de plus grands appétits et un architecte flanqué d'un financier se jettent à l'eau. En 1692, la grande liaison devient possible, de la Loire à la Seine en passant par chez nous !


C'est alors un siècle d'or pour le commerce local. Le canal fonctionne à plein régime. Les bateaux sillonnent la région, il y a grande presse dans nos petits ports et grosses animations en fin de soirée. Les mariniers ont le vent en poupe et le halage humain. C’est à Combleux qu’ils quittent la Loire pour emprunter le canal. Mais les mariniers sont ainsi faits qu'il s'établit alors une distinction entre ceux du fleuve qui se croyaient les seigneurs de l'eau et ceux du canal qui héritèrent du triste surnom de « Gueule noire ! ». Cette bataille ne nous concerne pas, laissons-là ces manants à leurs vaines querelles !


Il n'est pas certain que cette triste discorde redora la réputation bien chargée par ailleurs de ces mauvais gars, plus habitués à lever le coude et le jupon que le niveau de l'eau. Le canal fut l'occasion de querelles et de jurons, de propos de charretiers et de gestes déplacés. Les habitants des villages traversés tremblaient pour l'honneur des dames et les oreilles des enfants. Cependant, tout semblait baigner pour notre long ruban d'eau au cœur de la forêt. Pourtant, l'histoire vient mettre son grain de sable dans les rouages. En 1793, le propriétaire du canal perd la tête, Philippe Égalité est raccourci par les révolutionnaires et le canal tombe dans l'escarcelle de l'état naissant. Les années suivantes ne sont pas un long fleuve tranquille. Le canal change souvent de propriétaire au gré des différents régimes politiques. Il y a du mou dans la corde à nœuds !


En 1863, après bien des tourments, la gestion du canal est confiée aux ponts et chaussées. Hélas, si le bail est fixé à 91 ans, l'espérance de vie de la navigation fluviale sur la Loire a pris un sérieux coup dans l'aile. Le transport fluvial est un ami de la planète, il avait de louables intentions ; peu gourmand en énergie, il exigeait simplement la force de quelques hommes ou bien de solides chevaux pour aller porter de lourds chargements au port.


Alors quand le chemin de fer triomphant fit taire les derniers jurons, chacun pensa que la paix était revenue au doux pays des loges. Grave erreur, si les mariniers ne vinrent plus troubler la quiétude des lieux, on se rendit compte bien vite que la vie, le long du canal avait perdu tout son charme. Les écluses restèrent muettes et immobiles; seuls les pêcheurs trouvèrent un intérêt à ce silence des eaux.


On fit bien une tentative aussi dispendieuse qu'illusoire en construisant un prolongement du canal de Combleux à Orléans. De 1908 à 1921, des hommes reprirent la pioche pour creuser une nouvelle tranchée. Beaucoup même passèrent maîtres dans cet art terrassier et allèrent quelques années durant exercer leur compétence en contrée belliqueuse. Cet intermède sinistre qu'on nomma La grande Guerre retarda la fin des travaux. Celle-ci arriva bien tard pour avoir une quelconque utilité.


Le 3 juillet 1921, l'inauguration en grande pompe du tronçon Orléans-Combleux ne changera rien au déclin de notre marine. Le progrès était passé par là, il était alors sur de bons rails. Le chemin de fer puis la route raflèrent tout le fret de marchandises. Le Canal fut une fois encore un gouffre financier qui venait souvent à manquer d’eau.


D'autres poursuivront la tradition locale en bouchant puis en débouchant cette portion qu'on dirait maudite. Le canal se meurt, il a rêvé d'un renouveau qui se heurte aux écluses qui ne fonctionnent plus. Quelques-unes sont en état mais il faudrait tant et tant de travaux et d'argent pour les voir revivre que c'est à désespérer que cela se fasse un jour.


Il ne reste que des rêveurs pour emprunter la voie d'eau, vous mener en bateau sur la belle de Grignon. Ceux-là montent sur leurs grands chenaux et ont construit une flûte berrichonne avec amour et patience. Cette belle histoire verra son aboutissement le 8 septembre quand la belle sera mise à l’eau lors d’une grande et belle cérémonie. Ne manquez pas cette fête qui fera résonner le passé glorieux de notre marine du canal. Profitez-en car ce n'est pas demain que vous irez de la Loire à la Seine en passant par la forêt d’Orléans.

 

Une bien curieuse affaire …

 



Le canal d'Orléans porta le nom d'une ville dans laquelle il ne passait pas. Ce fut la première incongruité d'un ouvrage marqué souvent par le mauvais œil, la malchance ou les affaires louches. Son histoire n'est qu'une suite de mystères et de coups tordus pour redonner à la ville d'Orléans une grande partie du commerce que le canal de Briare lui avait ôtés.


Le canal de Briare fut le premier ouvrage fluvial de partage des eaux. Commencé en 1604 par l'ingénieur Cosnier, à l'initiative d'Henry IV et de Sully, il fut achevé en 1642 et permit alors l'approvisionnement de Paris par voie d'eau pour les marchandises venant du Sud. Il s'imposa alors et attisa les jalousies d'Orléans qui perdait ainsi son rôle de plaque tournante du fret vers la Capitale.


La riposte ne tarda pas du côté de la cité johannique avec des procédures un peu obscures. C'est un grand bourgeois parisien : Robert Mahieu, qui servit de prête-nom, d'homme providentiel ou bien de généreux mécène. Le mystère reste entier sur les conditions de son engagement dans une aventure qui allait le mettre sur la paille et provoquer sa mort.


Robert était sans doute de mèche avec le duc d'Orléans. Il obtint du frère du roi, le 25 avril 1676 l'autorisation de percer un canal en forêt de Chaumont pour faire flotter et voiturer le bois vers Paris. Un accord qui tient plus de la combine que du contrat honnête, lui attribua un droit d'exploitation pendant 40 ans et l'usage de 300 arpents de bois contre la construction à ses frais dudit canal.


Le brave Robert ne traîne pas en chemin ; en moins de deux ans, il perce son canal, de Grignon jusqu'au Loing, sur le seul bassin versant de la Seine. Il construit tous les ouvrages d'art en bois car les carrières font défaut dans cette région forestière. Il se sert des très nombreux ruisseaux et étangs de la forêt pour alimenter en eau son canal. La première livraison de bois par voie d'eau a lieu le 4 mars 1678.


La suite est beaucoup moins heureuse pour le gars Robert. On le prétend ruiné alors que très vite son canal tourne à bon régime et a considérablement réduit les bénéfices pour les seigneurs du canal de Briare, le rival voisin. Le Canal tombe immédiatement dans l'escarcelle du bon Duc qui ne devait pas être fâché de la chose, d'autant qu'il avait dans ses cartons le projet de rallier la Loire du côté d'Orléans.


En mars 1679, moins d'un an après la faillite supposée de Robert Mahieu, un édit royal autorise la suite de l'aventure. Le contrat prévoit pour le susdit Robert le remboursement des dépenses engagées dans la première partie de l' ouvrage. Lequel ouvrage devra être totalement achevé dans un délai de 6 ans à partir du début des travaux qui seront entièrement aux frais de monsieur Frère en personne.


 


Le 25 avril 1681 la nouvelle aventure commence sous la direction technique de Simon Lambert, architecte des bâtiments du roi, et la gestion financière de Dominique De Richemond, greffier des commissions du Conseil du Roi. Tout ça sent le délit d'initié ; rien n'a changé sous le soleil … L'équipe n'a donc plus que quatre années pour boucler le dossier et récupérer ses billes grâce au péage et à la taxe d'un écu prélevée par muid de vin. L'affaire devait être juteuse d'autant qu'on estimait le besoin à 17 563 muids de vin par an pour une capitale où la culture de la vigne était désormais interdite.


Les pots de vin ne furent-ils pas suffisants, les pressions du lobby des seigneurs du Canal de Briare furent-elles efficaces ? toujours est-il que la belle équipe resta le bec dans l'eau faute de liquidités. En 1684 l'entreprise battait de l'aile et manquait d'oseille. Il fallut, l'année suivante, monter une nouvelle structure qui bénéficia d'un délai supplémentaire et d'avantages nouveaux. Là encore, l'opacité régnait en maître sur les partenaires financiers de cette prometteuse mais si complexe affaire.


L'argent manquait toujours et Louis XIV mit la main à sa cassette personnelle pour octroyer une aide de 75 000 livres à cette opération qui commençait à traîner en longueur. Malgré cet apport royal, les travaux connurent un arrêt, une nouvelle fois, et le Duc d'Orléans qui avait abandonné le bébé, dut reprendre l'affaire en main en puisant dans sa poche. Est-ce ce contretemps qui l'empêcha de rembourser le pauvre Mahieu ? Nous le saurons jamais mais ce qui est certain c'est que sa petite-fille mena l'affaire devant les tribunaux pour obtenir enfin réparation du préjudice. Son grand- père était malheureusement passé de vie à trépas sans voir l'achèvement de ce grand ouvrage qui avait causé sa ruine complète : il avait, dans cette aventure en effet, perdu à la fois ses biens et sa santé…


Finalement après bien des déboires et des difficultés techniques, dont la réfection des ouvrages en bois du canal Mahieu, le 31 décembre 1691 les travaux sont enfin terminés. Ce sont des problèmes d'approvisionnement d'eau sur la ligne de partage des eaux qui furent à l'origine des difficultés les plus importantes. Que l'eau vienne à manquer pour un canal, surtout destiné à transporter du vin, il y avait là une belle ironie du destin.


Le premier bateau qui passa de la Loire au Loing par le canal d'Orléans, franchit l'écluse de Combleux le 5 mars 1692. La route du vin enfin ouverte, Paris allait pouvoir boire tout son saoul et le Duc d'Orléans retrouver ses billes au centuple ! L'aventure pouvait commencer, non exempte toutefois de surprises et de nouveaux coups tordus. Nous y reviendrons certainement une autre fois ! Quant à la famille Mahieu, elle attendait toujours …


Tirer des plans sur la Co'met






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