mercredi 23 décembre 2020

Une histoire à danser debout.

 

Rue de la chèvre qui danse …





Il était une fois, à deux pas de l'église de Recouvrance, une rue au nom si joli que j'espère que personne n'aura jamais l'idée saugrenue de la débaptiser au profit du patronyme d'un orgueilleux ou d'un important. Nul ne sait pourquoi elle porte ce nom qui pousse à la rêverie et chacun se prend de l'envie d'inventer une fable pour expliquer son histoire.


La rue de la chèvre qui danse viendrait, si l'on en croit les gens savants et un peu trop sérieux, d'une enseigne d'autrefois, choisie par un habitant pour se démarquer de ses voisins. L'invention et l'originalité étaient alors les meilleures manières de se distinguer en une époque où les adresses demeuraient incertaines.


D'autres aiment à penser que, dans ce quartier marinier, il ait pu y avoir un cabaret pour que guinchent les hommes, partis loin de chez eux, avec des dames qui n'étaient pas toutes farouches. Comme à deux pas de là, il y avait une maison à la lanterne rouge des dames de Bon Secours, nous pouvons imager bien des choses … Pourtant, la dame qui vend ses charmes n'est pas habituellement affublée de la métaphore caprine. L'explication tourne à la queue de poisson.


N'ayant pas d'histoire officielle, je ne vois aucune raison de ne pas en inventer une, à ma manière. Il se peut qu'elle soit un peu tirée par la barbichette ; c'est là le risque avec notre belle anglo-nubienne, d'autant qu'à deux coups de cornes, se trouve la rue des Anglaises … Ne voulant pas en faire tout un fromage, je me lance sans plus attendre dans une aventure pour laquelle, jusque-là, je n'ai absolument aucune idée précise ….


Il était une fois une chèvre qui broutait sur les terrains au-delà des remparts. La demoiselle avait l'humeur chagrine et aimait à donner de la corne à qui venait l'importuner quand elle broutait. Personne pourtant ne lui faisait grief de ce petit défaut car la belle avait une autre qualité qui avait fait d'elle, la mascotte du port de Recouvrance.


C'était une époque durant laquelle arrivaient en ce port bien des bateaux de transport qu'on nommait alors des chalands. Parmi les marchandises qui transitaient à Orléans avant de partir à Paris, il y avait le précieux blé. La ville avait été, dès l'époque gauloise, une plaque tournante de ce commerce et, c'est parce que des négociants romains avaient été trucidés par des rebelles, que Jules, en personne, était venu brûler la ville en 56 avant JC.


De tout cela, notre chèvre ne savait rien. On ne peut le lui reprocher : elle avait fort à faire à brouter chaque jour ses dix kilos d'herbes quand la saison était favorable. Ensuite, il lui fallait ruminer et user de ses quatre estomacs. Il y avait de quoi passer honorablement ses journées. Pourtant, elle ne supportait guère la monotonie de sa vie de chèvre …


Elle n'était pas comme la Blanquette de la fable : elle ne s'imaginait pas qu'ailleurs l'herbe est plus verte. Là n'était pas sa fantaisie de demoiselle. Ce qui la rendait chèvre plus encore qu'elle ne l'était déjà, c'était l'arrivée sur le quai de chalands. Si ces derniers étaient chargés de blé, la belle gambadait sur le pierré pour recevoir de ses amis mariniers quelques poignées de céréales : une gourmandise pour elle. Elle béguetait alors d'une voix chevrotante, si particulière, qu'il y avait toujours une main compatissante pour la satisfaire.


C'est à l'époque des pommes qu'elle acquit la réputation qui la fit entrer dans l'Histoire. Les premières arrivaient de Montjean, puis passaient par notre val de Loire pour s'en aller par le canal jusqu'à la capitale. Notre chèvre était folle de ce fruit ; elle ne pouvait résister à l'appel d'une gourmandise qui lui faisait perdre la tête.


Comment faisait-elle pour reconnaître le chargement ou bien les chalands spécialisés dans ce fret ? On se perd en conjectures et là n'est pas l'essentiel. C'est ce qu'elle faisait alors qu'il faut vous raconter et qui justifie la gloire posthume qui est sienne. Les chalands vous dis-je, ne s'arrêtaient pas quai de Recouvrance, c'est jusqu'à Combleux qu'ils allaient afin d'emprunter le canal d'Orléans.


La chèvre le savait et prenait son élan en une course folle pour, d'un bond magnifique, passer du quai au pont. Les mariniers n'ignoraient rien de la folie de l'animal et prenaient un malin plaisir à passer le plus près possible du bord afin qu'elle arrive à ses fins. C'était ainsi : chacun en aval d'Orléans connaissait la demoiselle et son étrange fantaisie.


Elles mangeait quelques pommes, se rassasiait bien vite car elle avait la prescience du risque d'acidose qui menaçait. Ce n'est pas en agissant de la sorte qu'elle entra dans la légende et rien ne serait arrivé sans un comportement douteux des bateliers. Le bruit avait circulé que la chèvre aimait à se piquer le nez. Il y avait toujours un lascar pour lui offrir un seau d'eau largement mouillé de vin.


Au passage de l'écluse à Combleux, les mariniers remettaient notre chèvre sur le chemin de halage. Le vin avait alors fait son effet et la belle rentrait jusqu'à chez elle en allant de manière inconsidérée, à hue et à dia. Elle tanguait, elle hésitait, comme une fermière qui s'en revient du marché.


Le spectacle était connu de tous. Chacun l'avait repérée sur le chaland de pommes et la nouvelle circulait pour prévenir les curieux du retour prochain de la chèvre qui danse. C'était, avouons-le, divertissement bien innocent. Et comme il y a un bon dieu pour les ivrognes, qu'ils soient humains ou bien caprins, jamais la petite chèvre ne tomba dans la Loire durant ces longs et si chaloupés retours chez elle.


Elle vécut jusqu'à l'âge canonique, pour ceux de sa race, de 33 ans ; preuve s'il était encore besoin de la fournir, que le vin de Loire est excellent pour la santé. Sur ses vieux jours, les mariniers compatissants, tendaient une passerelle pour la prendre à bord. Il se dit aussi qu'ils mettaient de moins en moins de vin dans son eau ; chacun craignant d'accélérer son trépas.


Il n'empêche ; elle rentrait toujours aussi pompette : l'effet placebo sans doute. Quand elle quitta cette vallée de larmes, elle fut regrettée et bien vite, la rue où vivait sa propriétaire, fut baptisée en souvenir de la chèvre qui danse. Voilà l'histoire véridique de cette rue d'Orléans ; à ceux qui s'aventureraient à ne pas croire mon histoire, je n'aurais qu' à répondre seulement : « in vino veritas ! »


Caprinement sien


 

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