mercredi 9 décembre 2020

L’angoisse du marcheur

 Perdre pied





    Qui ne s’est jamais lancé sur la route, le sac au dos et les pieds solidement ancrés sur le sol grâce à de solides godasses, ignore tout de l’angoisse lancinante qui prend le marcheur dans la tourmente quand lui vient la crainte de perdre pied. Tout est prétexte alors à la mauvaise glissade, au pas de travers, au croc en jambe traître d’une racine ou d’un rocher. Le pire à redouter est ce caillou qui roule sous les pas…

    Le marcheur dans pareil cas est exposé à bien des avanies. La liste est longue de tout ce qui peut lui advenir quand il perd pied. Il semble de plus en plus évident qu’en dresser un tableau complet et le plus exhaustif possible sera fort utile à tous ces empressés qui ont voulu suivre un homme pressé qui a depuis le début confondu sagesse et précipitation.

    Il convient cependant de tout reprendre au début. Le choix de la chaussure est primordial, vouloir se munir de vulgaires godillots, improvisés chaussures de marche par la seule opportunité n’est certes pas la meilleure manière de mettre un pied devant l’autre sans soucis. L’ampoule, l’œil de perdrix, l’échauffement, la talonnette attendent sournoisement leur heure, tapis dans un corps qui n’a pas, en l’état, trouvé chaussure à son pied.

    La chaussette a elle aussi son importance. Il convient de ne pas l’enfiler n’importe comment et de s’y trouver bien à l’intérieur comme sur la semelle. L’absence de couture, de rafistolage et de patate permet de voyager loin sans éprouver le moindre désagrément. Mais là encore, le choix de la matière est prépondérant et vouloir associer des fibres de différentes natures et origines n’est pas très sérieux.

    Le pas n’est pas anodin non plus. Le marcheur qui se lance dans l’aventure à grandes enjambées finira tôt au tard par lever le pied, s'essouffler et risquer l’accident. La précipitation a toujours été l’ennemi de ceux qui ont de grandes espérances. Le marcheur est un flâneur, il prend le temps de partager son voyage, de discuter avec ceux qu’il rencontre. Quand il agit à l’inverse, qu’il ignore ou méprise les contrées traversées, il finit toujours par se mettre à dos ceux qui n’attendent alors que le bon moment pour le pousser dans les orties…

    Puis il y a la route empruntée. Se lancer à l’aveugle sans avoir pris le temps de regarder une carte est la pire des solutions. La moindre des choses est de connaître la destination et de s’y tenir. Nous avons sous les yeux le spectacle ahurissant d’une randonnée qui tourne à la farce, les uns voulant tirer sur la droite quand quelques autres encore prétendent pencher vers la gauche et que beaucoup désirent faire demi-tour. La marche exige constance et rigueur dans sa progression, elle ne peut et ne doit se terminer par rapport au sens du vent.

    Maintenant, il y a les fameux impondérables, ces nids de poule qui se transforment en ornières, ces dos d’âne qui ne cessent de prendre de la hauteur, ces rampes dont la pente s’accroît de manière imprévue, ces sentes qui deviennent si étroites qu’il faut forcer le passage parmi les ronces et les épines. Les mauvaises surprises sont si nombreuses que le marcheur en perd l’envie de continuer, qu’il traîne la patte tandis que d’autres lèvent le pied.

    Seul le premier de cordée tient le cap, une girouette à la main en guise de boussole. Le choix peut surprendre mais quand on connaît le personnage, il n’y a pas lieu d’être étonné. Il n’en fait qu’à sa tête, n’écoute personne et surtout a la ferme intention de mettre tout le monde au pas. Son seul problème est de ne  pas savoir de quel pas il veut accommoder sa terrible randonnée ; pas de côté ou pas de l’oie, pas martial ou pas de course, pas de pitié ou pas de géant, pas de danse ou de contredanse, petit pas ou mauvais pas, pas de porte ou pas perdu, un pas en avant ou trois pas en arrière, pas de tir ou pas de côté… S’il n’y a que le premier pas qui coûte, les cent faux pas qui suivirent mirent le pays en déroute. Il est temps de passer la main du reste pour ce marcheur qui, la chose ne surprendra personne, s’y prend comme un pied !

    Pédestrement sien.




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