dimanche 27 décembre 2020

Les cannes à pêche bleues

 

La fabrique de monsieur Raoul




Il est huit heures sur les quais du Thoureil en ce dimanche matin, les brocanteurs s’installent et mon ami Georges, toujours à l’affût de quelques jolis clichés à moins que ce ne fut d’une bonne affaire, tombe en arrêt devant une gaffe de pêcheur (lui qui est un spécialiste de la chose), du modèle justement de celle qu’il avait perdue sur la Loire. Rien ne s’égare vraiment sur notre rivière et tout finit par revenir en ordre.


C’est ainsi qu’il fit affaire et connaissance avec Franck, brocanteur de son état, qui nous narra l’aventure artisanale de son grand-père Raoul. C’est à Angers, derrière la gare que l’homme avait autrefois, une petite fabrique tandis qu’il tenait boutique rue Toussaint dans cette belle ville des bords de Maine. Il était spécialisé dans les cannes à pêche, uniquement celles en bambou. La fibre de verre puis le carbone n’étaient pas encore venus concurrencer la belle et noble matière végétale tout autant que naturelle.


Le bambou provenait des bords de Loire où il était exploité, se plaisant fort bien dans notre climat. Il était alors coupé feuillus, c’est à dire avec branches et feuilles. Le premier acte artisanal consistait à l’effeuillage. Le bambou était enfilé dans une machine qui ébranchait la longue canne. Une sorte de dégauchisseuse en somme. Puis le bois subissait un brûlage avec des tréteaux à gaz afin de lui donner la couleur brune, caractéristique de nos vieilles gaules d’antan.

La découpe suivait. Celle-ci se faisait en fonction de la dimension souhaitée en débitant plusieurs tronçons de tailles voisines (la précision n’étant pas possible puisque ce sont les nœuds qui commandaient la découpe), la dimension des cannes allant de 2 mètres jusqu’à 6 mètres. Chaque tronçon faisant environ 1 mètre. Puis arrivait la mise en place des bagues en laiton qui se déroulait dans un autre atelier. Il y avait là, une sertisseuse qui enserrait des bagues afin d’assurer le montage de la canne, l’emboîtement de la partie creuse dans la partie pleine en bambou.



Le bambou était coupé au niveau des nœuds, c’est là, la partie la plus solide, afin d’éviter l’éclatement du bois. La partie en laiton permettait l’emboîtement de la partie bois qui était elle-même sertie pour la rendre plus solide encore. La canne ne restait pas ainsi, il y avait un souci d’esthétique assuré par une décoratrice qui se consacrait exclusivement à cette activité, tout le montage des cannes se faisant à la chaîne. La femme enroulait finement une ficelle colorée à différents endroits. Le modèle que j’ai sous les yeux, ce matin, dispose d’un joli parement vert, d’autres étaient rouges, bleus ou jaunes.


Les cannes partaient ensuite à la boutique grand-paternelle pour la vente. La pêche à la ligne constituant en ce temps-là un loisir très prisé et pas seulement en bord de Loire. Les Cannes Bleues du patronyme de Raoul ne fournissaient pas la demande. Le grand-père dut confier sa production à la firme Fabri, un grossiste qui vendait dans tout le pays les fameuses cannes en bambou provenant d’ateliers comme celui de Raoul.


Le grand-père abandonna son entreprise pour achever sa carrière professionnelle comme gardien de nuit, le fusil de chasse à la main : autre-temps autre mœurs. Son fils remonta une boîte de cannes en bambou du côté de Perpignan. C’est dans celle-ci que Franck observa le processus de fabrication. Si l’entreprise d’Angers avait disparu, la tradition demeurait dans la famille mais hélas, la fabrique paternelle périclita tout naturellement avec l’arrivée de cannes bien plus légères et plus faciles d’entretien.


D’ailleurs, notre ami Georges n’acheta pas la canne en bambou mais s’équipa d’une canne à Silure en Carbone, bien plus résistante. Même lui tourna le dos à celle qui venait justement de la fabrique du grand-père de notre vendeur. Si ça se trouve, elle est toujours en vente au prix de 20 euros sur les brocantes professionnelles que fréquente Franck : Angers, Montsereau, Saumur et Le Thoureil.


Vous reconnaîtrez le brocanteur à sa barbe blanche, ses lunettes et sa disponibilité. Il vous racontera peut-être l’histoire de son grand-père si vous le questionnez à ce propos. Vous trouverez également, sur son étal, une ancre qui n’est pas de Loire, un héron en plastique, quelques bourriches, une très jolie collection de cannes et des nains de jardin qui ne sortent que lorsque les beaux jours reviennent (je n’ai pas vu de raton laveur) . Naturellement tout un bric-à-brac joyeusement hétéroclite qui fait le charme de la profession.


Chinement vôtre.


 

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