Sous
le galet, le large !
Je
me souviens de cet étrange engin, obsolète par nature, porteur rien
que par son nom de cet entre deux qui en faisait un objet hybride
tandis que les mobylettes italiennes détrônaient tranquillement
l'incontournable « Bleue » de chez Motobécane. Les
« cacous » faisaient grand bruit strident dans nos rues,
vrillaient nos oreilles et dépassaient allégrement les limitations
de vitesse consenties à cette catégorie de véhicules tandis que
les adeptes du vélo solex allait tranquillement, le buste droit et
l’envie chevillée au corps de ne pas porter le casque.
Il
y avait quelque chose de chevaleresque dans leur volonté de se poser
en pourfendeur de la modernité, de la vitesse et de la mode.
Indémodable engin paradoxal qui portait fièrement son moteur en
tête de fourche. Curieuse manette qui enclenchait le processus
mécanique qui le mettait en état de fonctionnement. Rien de
semblable chez ses consœurs pétrolettes.
Le
vélo solex symbolisait à lui seul la dignité d’une époque qui
refusait de se plier aux injonctions d’un monde en accélération.
Toute comme la 2 chevaux ou la 4 L chez les voitures, il y avait en
lui un manifeste annonciateur des futurs décroissants. Il trouva
naturellement refuge dans les bras des collectionneurs, des
bricoleurs attentifs, toujours prompts à redorer le blason des
créations humaines trop vite mises au rencart.
Bien
sûr, du côté de ses concepteurs, il y eu bien des tentatives de le
remettre au goût du jour. Il eut des petits frères de couleur,
abandonnant ce noir si sobre pour des teintes agressives accompagnées
de performances légèrement supérieures. Il y eut encore un
concurrent italien jouant le fac-similé approximatif sans en avoir
l’élégance. Tout cela fut vite oublié et le vélo solex resta le
seul dans sa catégorie
Je
me souviens que j’aimais à enfourcher celui d’une cousine
quelque part dans un coin perdu de la Beauce. Je n’avais
naturellement pas l’âge d’user de ce privilège et dans la
transgression il y avait autant de plaisir que dans cette vitesse
atteinte qui ne dépassait pas celle à laquelle j’allais alors à
bicyclette. L'essentiel était ailleurs, dans la griserie d’avancer
sans le moindre effort, dans la jubilation de me savoir hors des
règles.
C’est
ainsi que le solex demeurera toujours pour moi, ce coursier maladroit
et asthmatique traînant sa lenteur avec une douce ironie mécanique.
Point besoin de chercher la performance quand on s’enfonce sur sa
selle, bardée de ressorts épais, qui vous invite à supporter tous
les chaos de la route sans rien sentir. Tout en lui vous plaçait
d’ailleurs en marge des standards habituels. Ses poignées de frein
inversées lui donnaient plus encore cette indépendance conceptuelle
qui en faisait un engin totalement décalé.
Sa
béquille encore sortait du cadre. Elle le plaçait dans un équilibre
que l’on pensait instable tout en étant résolument dans la
continuité de sa robe noire. Son porte-bagages grossier et massif
signifiait clairement que chez lui, c’était la robustesse qui
était privilégiée en dehors de toute autre considération. Quant à
ses pédales, elles revendiquaient clairement son appartenance à la
grande et noble famille de la petite reine, renforcée par ses roues
à rayons qui ne cherchaient pas à tromper leur monde.
Vélo
il était à quelques nuances près. Une nuance de taille si
d’aventure - pas forcément extraordinaire car assez fréquente - ,
vous tombiez en panne (d’essence le plus souvent). Il vous fallait
alors débrayer le moteur et rentrer chez vous en pédalant. Qu’il
était pataud alors ce vélo lourdaud. Vous en aviez plein les pattes
une fois arrivé à bon port.
Son
pot d'échappement lui aussi sortait des canons habituels de la
chose. Petite boule étrange sur la roue avant, il interrogeait le
béotien qui se demandait à quoi pouvait bien servir cette curieuse
excroissance. Tout en lui échappait aux critères habituels à
commencer par son réservoir placé tout contre le moteur qui avait
besoin de mélange, cette subtile préparation dont vous choisissiez
le dosage et qui se réalisait sous vos yeux.
Il
méritait bien ce petit hommage moi qui lui ai fait faux bond au
profit d’un véhicule biplace au curieux réservoir hexagonal.
J’avais mis les doigts dans l’engrenage de la vitesse ce qui me
conduisit bien vite à enfourcher des motocyclettes toujours plus
puissantes. J’avais trahi, toute honte bue, l’esprit de ce
premier solex qui m’avait tant grisé.
Tranquillement
sien.
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