La laide au bois entrant
Il était une fois un souverain exécrable, détesté de tous ses sujets tant il était autoritaire, tyrannique, imprévisible, disgracieux et méchant. Le monarque avait, pour enfoncer le clou, uni sa destinée à une mégère acariâtre, sournoise et pingre. Un assemblage parfait en somme tant leurs défauts réunis en faisaient le plus insupportable couple que cette royauté n'avait jamais eu à souffrir.
Il n’en fallait pas plus pour que la vie de leurs sujets devint sous leur règne un calvaire épouvantable. Tout était prétexte à humiliation pourvu que ce soient les plus humbles qui servent d'exutoire à la cruauté de ces deux grands personnages. C’est en lisant la peur et la détresse dans les yeux de leurs futures victimes que ces deux-là jouissaient un tant soit peu de l’existence. Les ressorts de l’âme humaine sont ainsi faits, que bien des drames et des souffrances s’expliquent par le plus désolant esprit de vengeance ou de méchanceté gratuite.
Comment ces deux-là firent pour avoir des enfants ? La question n’aura jamais de réponse. L’amour n’eut sans doute jamais sa place dans ce qui leur tint lieu d’ébats. Ils enfantèrent, c’est bien là la seule certitude, des enfants qui ne devaient rien au hasard. La destinée ne leur offrit que des filles qui étaient toutes plus odieuses les unes que les autres, capricieuses et gâtées, cupides et tyranniques. Elles se façonnèrent à l'image de leurs géniteurs, des personnalités effroyables. Fort heureusement pour les aînées, leur position dans la société les avait mises à l’abri des remontrances et des coups du sort qui vous permettent d’infléchir ce que la mauvaise éducation a semé de travers.
Elles firent donc toutes des mariages arrangés, dictés par la diplomatie et la nécessité d’établir des pactes, des alliances, des accords fructueux. Les Princes qui en héritèrent, se contentèrent de les exhiber de temps à autres avant de les oublier dans leurs appartements. Les vilaines princesses n’étaient pas même capables d'assurer descendance acceptable et toutes furent répudiées et envoyées diriger un couvent quelconque d’une main de fer.
Hélas, pour Blandine, la plus jeune des filles de ces laideronnes, le pire était advenu. Non seulement elle avait hérité de toutes les tares de la fratrie mais en prime, sa laideur était si repoussante que pas même un roitelet ruiné ou un baron déchu, n’accepta de la marier. Le couple était au désespoir de garder auprès de lui cette fille revêche et hideuse. Elle les couvrait de propos injurieux, ayant qui plus est, un langage en relation avec son physique. Tout en elle était repoussant, y compris, je ne sais si j’ose l’écrire, une odeur corporelle parfaitement insupportable.
Même la promesse de la marier avec un manant fit long feu. Non seulement la dote accordée était naturellement ridicule mais la demoiselle si parfaitement exécrable qu’aucun soupirant ne se déclara y compris parmi les plus miséreux de ce territoire sans espoir. Le roi trop occupé à semer le mal autour de lui ne se souciait guère de voir ainsi sa dernière fille dans le désamour le plus total. Il n’avait que faire de cette donzelle, si laide que sa vue était à elle seule, un supplice.
Blandine un jour s’en alla dans la forêt, bien décidé à mettre fin à une existence qui ne méritait pas d’être poursuivie. Elle avait dans l’idée que sa vie, si misérable en dépit de sa naissance royale, devait s’achever dans des souffrances atroces. Elle ne désirait pas une mort rapide, elle appelait de ses vœux un long calvaire, une frayeur immense, une fin qui aurait au moins le mérite de lui ouvrir les portes d’un monde meilleur par le martyre qu'elle entendait s'infliger.
C’est sous les crocs d’un fauve qu’elle pensait achever son séjour dans cette vallée de larmes. Une horde de loups affamés la déchiquetant ou bien un ours lui octroyant les pires outrages avant que de la dévorer. De telles pensées peuvent naturellement vous surprendre vous qui n’avez pas été élevés dans le culte du martyre et les préceptes absurdes d’une religion quelconque. Il en allait différemment en ce temps lointain, acceptez sans vous indigner les pensées ténébreuses de la demoiselle.
Elle s’enfonçait vers ce qu’elle espérait être son chemin de croix. Plus elle marchait, plus la forêt devenait sombre, inhospitalière, mystérieuse et lugubre. Autour d’elle, ce n’était plus que cris et hurlements, murmures et appels glaçants. Elle pressentait que bientôt surgirait de l’obscurité, un animal qui se jetterait sur elle. Elle se sentait prête, sans crainte ni regrets, à tomber pour une fois en odeur de sainteté. Pourtant, ce qu’elle ne pouvait voir c’est qu’à chaque pas, elle se transformait en profondeur, effaçant tout ce que son éducation avait laissé de mauvais en elle.
Un ours surgit, un immense ours, dressé sur ses pattes arrières. Il écumait, il grognait. Il était si terrifiant qu’en dépit de son désir de mourir en héroïne à l’image de son modèle, la martyre lyonnaise, son homonyme et son modèle, elle acceptait sa fin prochaine quand la bête devint sucre et douceur à la vue de âme pure qui se présentait à lui. Il s’approcha d’elle avec une délicatesse incroyable qui dénotait avec sa fureur initiale. La jeune princesse, s’offrit alors au monstre, s’allongea, les bras en croix, pensant subir enfin ce qui lui avait été refusé depuis si longtemps.
Que se passa-t-il alors ? Nul ne le saura jamais. L’ours devait être un esprit envoûté ou bien un homme ayant subi une métamorphose. Blandine et lui s’unirent en un formidable accouplement emprunt d’une immense délicatesse. Les caresses de la bête eurent alors un effet miraculeux sur la malheureuse ; elle était véritablement transfigurée non pas en surface seulement mais en profondeur. Son visage prit alors apparence gracieuse mais plus encore, son âme se transforma, repoussant toutes les horreurs qui avaient constitué jusqu’alors son quotidien, héritage d’une éducation indigne.
Blandine resta alors dans la forêt, vivant le parfait amour avec son Ours, ce qu’aucun homme ne lui avait consenti. Elle enfanta quelques temps plus tard un fils, mi homme mi ours qu’elle nomma Jean. Les légendes et les raconteurs d’histoires le surnommèrent Jean de l’Ours. Pas n’est besoin de vous narrer son histoire, ils furent si nombreux à s’en charger, que je vous laisse le choix de votre version préférée. Toutes naturellement sont trompeuses et mensongères.
Mais pour tous, sa mère avait été la prisonnière d’un ours monstrueux qui sous la contrainte l’avait engrossée contre sa volonté. Que la femme puisse être le monstre et l’animal celui par qui la rédemption arrive, cela n’était pas envisageable. Pourtant, il se trouve bien des humains plus redoutables que la plus féroce de toutes les bêtes fauves, l’actualité ne cesse de nous le rappeler. Blandine avait compris que c’est parmi les animaux qu’elle allait trouver enfin le bonheur et la sérénité. Elle ne revint jamais vers la société et vécut le plus parfait amour avec l’ours, animal si proche de l’homme. Ils vécurent heureux et longtemps, ils n’eurent pas d’autre enfant. Celui-ci suffisait amplement à leur bonheur.
Quant à leur fils il resta auprès de ses parents. Jamais Jean de l’Ours ne se serait aventuré à retourner vivre dans un monde sans pitié. Fils de princesse, il trouva dans la forêt immense un domaine fastueux, bien plus qu’un royaume. Il avait pour compagnons tous les animaux qui n’étaient pas ses sujets mais ses frères. Il régna si ce terme a encore un sens dans ce contexte, avec la plus grande bienveillance, s’attachant sans cesse à rétablir l’équité et la justice, la paix et la tranquillité sur son territoire, toutes choses qui sont impossibles avec les humains.
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