dimanche 17 juillet 2022

Conte à rebours

 

Sous les sabots d'un cheval …






Il était une fois Irène, une très vieille femme, ni reine, ni riche, connue de tous comme la sorcière à cause de quelques dons secrets dont elle faisait profiter ceux qui se cachaient pour les lui réclamer. Elle allait de par les chemins confectionner des brassées de luzerne pour ses chèvres, des fagots pour le feu, des bouquets de fleurs sauvages qu’elle accrochait aux poutres de sa modeste masure. Elle était courbée par l'effort, tremblante et fragile. Elle n'avait ni amis ni famille et la vie, pour elle, s'achevait dans la peine et la misère.


Il était aussi Gaston un vieil homme, ni prince, ni fort, incapable du moindre prodige. Il avait toujours vécu d'expédients, brigandait un peu les gens de bien, blasphémait plus souvent qu'à son tour et avait la fâcheuse manie de mentir plus encore qu'un arracheur de dents. Il buvait au-delà du raisonnable, sentait mauvais des pieds et du reste. Sa vie se terminait dans la débauche, la malhonnêteté et la crasse.


Les dés étaient jetés pour eux. Gaston avait aimé Irène à la manière des hommes brutaux qui deviennent des démons sous l’emprise de l’alcool. Il l’avait battue comme plâtre jusqu’à ce que toute forme de compréhension disparaisse chez sa femme qui finit pour son salut par le mettre à la porte. De ce jour, le gredin vécut sur les routes le plus souvent, dans quelques prisons de basse-fosse quelques fois. Il avait disparu de la vie de sa femme pour son plus grand soulagement.

La vieille Irène, avait pour elle son énergie et ses pouvoirs dont elle usait avec parcimonie. Quant au vieux, Gaston, être d’aucune modération, il avait le profil du gibier de potence et ne pouvait aspirer à rien d'autre. Sentant sa fin proche, usé par sa vie de patachon en errance, Gaston, pris de remords, voulut avant de quitter cette vallée de larmes, revenir vers Irène pour s’excuser de toutes ses vilaines actions. Il s’approchait de la masure qu’il avait quittée il y avait bien des années de cela. Allait-il seulement la retrouver ? Il n’en savait rien, mû qu’il était par un impérieux besoin de rédemption.


C’est sur la route du pardon, marchant sur le bord d’un chemin empierré, qu’il croisa un étrange charroi, mené par un homme au regard glaçant. Gaston eut juste le temps d’esquiver l’attelage en sautant dans le fossé. Il venait de voir passer la mort de très près. Quand il se releva, il aperçut un fer à cheval étincelant. Il se pencha pour le ramasser, il était en or, incrusté de diamants. La fortune lui jouait un bien curieux tour lui qui ne disposait plus du temps pour en jouir. Ce vieux sacripant n’eut plus qu’une idée en tête, l’offrir à son Irène avant de se laisser partir pour l’autre rive. La providence venait de lui donner un merveilleux prétexte pour aller vers celle qu’il avait si mal aimée.


Étrange destinée de celui qui avait passé une bonne partie de son existence à couper les jarrets et vider des bourses jamais très opulentes, plus occupé à perdre son existence qu’à la gagner, il se retrouvait soudainement avec un trésor pour lequel il n'avait commis aucun forfait, pas la plus petite mauvaise action. Il y avait de quoi s'y perdre et douter de la destinée. Sa vieille, sa brave Irène allait enfin recevoir une offrande, elle qui n’avait jamais reçu de son bonhomme que coups et horions, ennuis et soucis. Gaston allait lui faire son premier et son dernier cadeau. Ce fer à cheval incrusté de diamants serait le plus digne des adieux. Appelons ça les remords, le repentir ou bien le réveil un peu tardif de la conscience… qu'importe, sa décision était prise. Le vieux se mit en route pour retrouver sa femme.


Irène n'avait pas déménagé, elle était restée dans ce qui leur servait de demeure : une masure, à la crasse repoussante, pauvre demeure ouverte à tous les vents, qui tenait encore debout par miracle. La vieille avait supporté ces années de solitude sans jamais se plaindre, vendant les fromages de ses chèvres pour survivre tout simplement. Elle avait voulu par son comportement obtenir le pardon pour son fripon de Gaston qu'elle ne parvenait pas à haïr comme il l’aurait mérité.


Quand elle le vit arriver au loin, vieilli tout comme elle, misérable plus encore par son apparence que par son âme qui pourtant ne valait guère, Irène eut pitié. Elle ignorait sans doute que son état à elle, était plus misérable encore, que sa santé pâtissait encore des coups, assénés autrefois par le méchant qui avait vécu un temps à ses côtés. Irène devait avoir encore un peu d'affection pour celui qu'elle avait choisi en dépit des avertissements de tous les siens.


Gaston approcha, tendit le fer à cheval incrusté de diamants à la vieille femme, murmura un « Pardon » à peine audible puis s'en alla dans l’instant sans se retourner. Il avait l’air de vouloir fuir au plus vite ce lieu chargé de tant de souvenirs. Irène ne s'y trompait pas ; elle voyait ses épaules se soulever, ses mains se porter à son visage. Le Gaston, cet homme dur et souvent méchant, pleurait. C'était là, la seule marque d'affection qu'il ne lui eût jamais montrée. Il était bien tard ! Il se cachait d'elle pour exprimer ainsi un peu d’humanité.


L'homme marcha longtemps ainsi, le corps agité de cette convulsion étrange que provoque le chagrin, le plus grand et le plus profond des chagrins. Irène le suivit des yeux ; elle n'en revenait pas qu'il puisse ainsi marquer sa compassion, exprimer son repentir sur la fin de sa vie. Elle ne croyait pas si bien dire : tout au bout du chemin, le Gaston s'effondra pour ne plus jamais se relever.


Le bandit, le pitoyable chenapan était mort après sa seule bonne action. Il n'eut pourtant pas d'enterrement à l'église : le curé refusa catégoriquement la sépulture chrétienne à ce mécréant notoire, ce triste sire, ce maudit gredin qui n'avait pas hésité à vider les troncs de la maison de Dieu. Irène ne s'en offusqua guère, elle savait que son homme n'avait eu que la monnaie de toutes les pièces volées au cours de son existence lamentable.


Le fer à cheval incrusté de diamants lui brûlait les doigts. C'était le cadeau du diable, la tentation du malin. Il était trop tard pour elle aussi ! Profiter d'une richesse tardive, d'un mieux-être qui la tuerait à coup sûr, à quoi bon ? Elle se mit en chemin pour aller trouver dans le bourg voisin un jeune couple qui ressemblait à celui qui fut le leur à l'époque.


Elle observa longuement les comportements des uns et des autres, de ceux qui vivaient à la lisière de la place centrale. Elle remarqua un homme qui ressemblait à son Gaston quand il était jeune. Il buvait tout comme lui, avait la main leste et le verbe haut. Sa femme était encore belle : elle n'était pas encore marquée par les outrages de cette vie de chien qu'ils menaient tous deux.


Irène s'approcha et sans rien dire, elle aussi, fit offrande de ce trésor mystérieux. Elle partit courbée mais heureuse. Si ses épaules se secouaient elles aussi, c'était du rire qui l'étreignait. Elle venait de sortir ce couple des griffes du destin tragique que la misère impose : elle lui offrait une vie plus belle qui éviterait les travers qu'elle avait connus avec son Gaston. Laissons-la à ses illusions : l'argent ne fait ni le bonheur ni les honnêtes gens.


Quand elle arriva dans sa masure, elle se coucha. Elle était lasse, fatiguée comme jamais elle n'avait senti le poids des années sur ses épaules et son cœur. Elle pensa que le Très-Haut avait décidé de la rappeler à lui, que son heure était venue, peu de temps après son Gaston de malheur. Elle ferma les yeux ; elle s'abandonnait à cette fin qui était toute proche, elle en était certaine …


Quand elle se réveilla, elle sentit une présence à ses côtés. Elle s'étonna, tâta ce corps robuste et ferme qui reposait là. Elle ouvrit les yeux. Son Gaston d'autrefois, celui d'il y a si longtemps, le gars qui lui avait tant plu était juste à côté d'elle, jeune et beau, radieux et gentil. Il lui dit des mots d'amour dans l'oreille, lui promit de l'aimer toute sa vie. Madeleine se leva et vit son reflet dans le petit miroir de la chambre.


Elle n’en revenait pas, elle avait retrouvé elle aussi son apparence d'alors. Il lui semblait même qu’elle était plus belle encore que dans ses vieux souvenirs. Il est vrai qu’on n’y voyait guère dans ce vieux miroir dépoli. Sur la table de la cuisine, trois fers à cheval incrustés de diamants étaient posés là. Elle vit à la dérobée, s'enfuyant par la cheminée, un drôle de personnage tout vêtu de noir qui lui fit un clin d'œil avant de disparaître. Le diable lui rendait ainsi la monnaie de sa pièce.


Ce que devint leur nouvelle vie ? C’est à vous de l’imaginer. Je ne puis prétendre que l’argent fera leur bonheur, la formule est fort trompeuse même s’il est plus aisé de connaître bien des tourments dans la pauvreté. Contentons-nous de croire qu’il est peut-être possible de trouver le bonheur sous les sabots d’un cheval. Il suffit d’y croire très fort !

Réincarnement leur.

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