samedi 26 février 2022

Spécial salon de l'Agriculture


1 : Drame bovin sur le Ségala.






Il était une fois deux fermes voisines sur le Ségala. Les familles y vivaient en paix, on peut même dire que la concorde et l'amitié régnaient en maîtresses des lieux. Tout allait bien, du moins en apparence, car comme souvent, le mal sournois de la jalousie ronge même les esprits les moins sujets à ce genre de stupide gangrène sociale.


Revenons à nos taureaux, car à défaut de moutons, c'est eux qui tiennent la vedette de cet épisode peu glorieux de la bataille ancestrale du dominant et du dominé. Pour la famille Coubyr, le taureau depuis des générations se nommait « Pompon ». Les injonctions bruxelloises pour identifier tous les animaux agricoles à quatre pattes n'y faisaient rien. Et même si ce Pompon là était né en une année en « A », qu'il avait papier officiel et numéro d'immatriculation sous le patronyme «d'Affreux », il était Pompon comme tous les autres …


De l'autre côté du fil barbelé, chez les « Malcou », il y a avait « Pataud ». Lui aussi était assigné à ce prénom charmant de père en fils, même si la génétique naturelle, depuis fort longtemps n'était plus responsable de la succession des générations dans ces fermes d'élevage du Haut-Ségala. L'autre était d'une année en « C », plus jeune, bien plus fougueux que son rival et voisin aveyronnais.


Les relations taurines eurent dû continuer ainsi comme le firent bien avant eux les premiers Pompon et Pataud de la longue succession qui les a précédés. Mais voilà que l'impondérable et les soucis sécuritaires dans l'élevage moderne ont apporté leur grain de sel. Pompon quand il était encore chez son éleveur sélectionneur fut privé de ses cornes. On le devinait agressif et chafouin, il fallait préserver le futur fermier qui l'aurait en charge !



De cette terrible ablation, Pompon ne s'était moralement jamais remis, d'autant plus que l'infâme Pataud, ce jeune paltoquet, en portait fièrement une belle paire sur la tête, à vous faire damner de jalousie. Chez les bêtes aussi, les questions d'apparence prennent des proportions énormes, nous allons bientôt nous en rendre compte …


Pompon, manifestement traumatisé, détourna son sentiment de frustration en une énorme agressivité contre son jeune rival. Leurs relations en permanence conflictuelles, vinrent sonner le glas de la belle harmonie historique qui régnait jadis entre les Pompons d'en haut et les Pataud d'en bas. Les familles Coubyr et Malcou ignoraient alors tout du changement d'époque qui était en train de se produire ...


Des regards de travers, des mouvements du sabot, des souffles vengeurs, des beuglements discourtois furent les premiers signes d'une guerre larvée. Pompon bénéficiait encore du bénéfice de l'âge et en profita l'an passé, pour mettre une belle rouste à ce jeune encorné. Mais la vengeance est un plat qui, chez les taureaux aussi, se mange froid. Ce qui devait advenir, advint en ces premiers jours d'août 2012.


À l'heure où l'éleveur fait rentrer ses bêtes à l'étable pour nourrir les veaux sous la mère, il manquait trois bêtes à l'appel … Pompon était des absents, ce qui ne manqua pas de l'alarmer même si le taureau n'est que de peu d'utilité pour nourrir les veaux, sa présence tutélaire rassure ses femelles et ses quelques rejetons. Beaucoup sont hélas les fruits de l'inséminateur, plus régulier que le brave géniteur …


Le père Coubyr, les soins aux veaux achevés, entreprit de s'enquérir des absents. Il ne tarda pas à retrouver ses bêtes et ce qu'il vit alors lui indiqua en peu de temps la nature du drame qui venait de se nouer. Les clôtures étaient sens dessus-dessous, le fil électrique jeté à terre comme un fétu de paille et pire, la solide quadruple rangées de barbelés totalement arrachée. Il y avait eu bataille titanesque à n'en point douter !


Pire, Pompon gisait au sol, mourant ou peu s'en faut. Incapable de la plus petite réaction, le solide limousin était sur le flanc, vaincu par son rival, humilié, fauché comme la seconde coupe de foin. Il n'était plus que l'ombre du fier et arrogant chef de troupeau. Il n'avait plus qu'à se laisser mourir tant la défaite avait été cuisante.


Car, non seulement, l'abominable Pataud lui avait mis une rouste dont on ne se remet pas au pays des mâles reproducteurs, mais pire encore, il avait emporté, pour trophée de sa victoire, deux des plus belles femelles du troupeau. Le forfait dont on ne peut se remettre quand on a de la dignité et de l'amour propre. Vaincu, passe encore mais cocu quand on n'a plus de cornes, comment garder la tête haute et revenir à l'étable ?


Voilà, vous savez tout ou presque de ce drame bovin. Les relations entre les deux fermes vont-elles pâtir de ce qui se noua sur la pâture ? Nous n'en savons rien, pour l'heure, c'est le duel des experts qui va prendre le devant de la scène. Pompon va fermer les yeux définitivement, l'euthanasie est sa seule porte de sortie.


Voilà comment finit la triste histoire d'un taureau à qui l'on a coupé les cornes. Que les hommes se souviennent qu'il ne faut pas se mêler de ce que la nature a fait, ils seront alors plus sages ! Il y aura un autre Pompon, qu'importe la lettre qui sortira du chapeau. C'est ainsi depuis toujours, il n'y a pas de raison pour que ça change dans ce petit coin de France !




À contre-temps


2 : Le dernier voyage du matricule 1261

 

 


 

 

 

Chaque jour dans nos beaux pays d'élevage, ceux qui respectent leur cheptel, le métier et l'environnement, se noue un drame afin que l'homme des villes industrielles puisse jouir à loisir de sa ration quotidienne de protéine animale. Ici le chapon perd son honneur, là le cochon se fait du mauvais sang, plus loin le veau abandonne sa bonne mère laitière.


Je vais vous narrer la triste et édifiante histoire du matricule 1261 qui se sacrifia à la gloire du label rouge et des derniers gastronomes qui ne supportent pas la viande hormonée. Cette histoire débute un jour de mars 2009. Un éleveur anxieux fait les 100 pas dans une étable du Ségala. La délivrance survient en ce petit matin brumeux et le bal des formalités administratives débute.


Dans un pays où plus rien ne doit échapper aux fourches Caudines d'un big brother informatique, le veau ne déroge pas à la règle générale. Encarté, fiché, suivi à la loupe, vacciné, …, l'anthropométrie nationale veille à ne rien laisser passer au travers de ses filets.


L'heureux naisseur envoie immédiatement un message électronique à un regroupement officiel pour signer l'heureux événement et recevoir en retour un feuillet informatique en 4 exemplaires pour lui signifier le matricule de baptême de son rejeton de veau. Cette bête de choix se nommera 1261 puisque les arcanes administratives en ont décidé ainsi !


Sa vie va suivre son cours sous sa bonne mère aimante, pas très loin de son père génétique bien indifférent, il faut le reconnaître à sa progéniture. Ici, l'inséminateur estampillé n'est pas le seul à jouir du privilège de l'engrossement. Il doit affronter la concurrence bovine d'un mâle souverain en son troupeau.


Les jours passent entre le pré à la belle saison et l'étable quand les jours raccourcissent. Il se pique de quelques caprices vétérinaires : une grippe qui s'impose à tous, humains récalcitrants qui conservent leur libre arbitre et bovins beuglants qui subissent sans représentation syndicale reconnue par nos autorités. Une fièvre Catharale, mal mystérieux venu sous les ailes d'un moucheron Corse, pandémie redoutable s'il en est, exige une campagne obligatoire et gratuite de vaccination pour tous les génitrices du troupeau.


Le seringue est devenue, il faut bien l'admettre un vecteur plus puissant et néanmoins pointu, pour favoriser l'enrichissement des laboratoires amis d'un pouvoir qui croie si peu aux vertus du libéralisme, qu'il impose par la loi, une multitude de dépenses incomprensibles.


Revenons à notre veau, quoiqu'il y est de moins en moins de différence entre un bovin et un brave citoyen aux yeux méprisants de nos gouvernants. Le 1261 en ce jour de décembre fait ses adieux à ses congénères. Son maître est entré dans l'enclos vêtu de son habit de lumière. Une magnifique côte à double passe-main qui vous libère de la chose comme une banane de sa peau. Je sais quelques libertines Belges qui fantasment à l'idée de dépouiller un éleveur sur d'accueillantes bottes de foin encore carrées ( la botte ronde a tué les amours fripons... ).


L'homme en question était arrivé au volant d'un 4x4 qui n'est pas rutilant. Véhicule utilitaire en cette région escarpée, il traîne une bétaillère et ne saurait se laisser conduire par une blonde peroxydée. Le brun musculeux entre dans l'enclos armé d'un solide bâton, repère le bon numéro qu'il isole de ses camarades de foin. Il a ouvert les vannes (pardon le van) et l'animal, ignorant tout de son triste sort, monte dans la charrette aussi digne que Marie Antoinette le jour de son marthyre.


Une tête de veau vaut bien mieux qu'une bouchée à la reine et la bête affiche sous la balance finale 422 kilogrammes. L'éleveur remet médaille et papiers d'identité à un maquignon satisfait qui jauge une croupe replète. Le veau s'en va vers son trépas, un label rouge vous donne de la dignité sur l'étal et du baume au cœur quand sa dernière heure a sonné.

 

À contre-jour



 


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