mardi 24 août 2021

Les chemins de la vie.

 

Les trois sœurs.





Il était une fois, au bord d’une rivière, trois sœurs, trois orphelines qui avaient décidé d’unir leurs efforts pour vivre ensemble dans la maison de leurs parents, trop tôt disparus. Les temps étaient durs pour tous et plus encore pour ces pauvrettes, sans autre ressource que leur courage et la force de leurs bras.


Pour survivre elles se proposaient aux mille et uns ouvrages qui peuvent se trouver dans un voisinage qui a certes souvent besoin d’aide mais dispose rarement de quoi la récompenser. Les jeunes demoiselles se contentaient d’une miche de pain, d’un morceau de lard, de quelques légumes, simplement de quoi subsister jusqu’à ce qu’un Prince charmant ne passe auprès de leur masure.


Elles étaient bien naïves sans doute parce que leur marraine, la fée Houlippe les avait habituées à croire aux miracles. La belle dame venait parfois leur rendre visite, sortant alors de son panier magique de quoi faire bouillir la marmite quand leur labeur n’y suffisait plus. La magicienne n’avait jamais souhaité les habituer à la facilité, c’est pourquoi jamais elle ne leur promit la Lune ou ne leur donna une bourse pleine d’or.


La bonne fée avait des vues sur l’éducation qui ne permettaient pas de sombrer dans la facilité ni même dans les croyances illusoires. Elle usait avec parcimonie de ses pouvoirs magiques pour ne pas gâter ces belles demoiselles qu’elle avait placées sous son aile. Nous ne pouvons l’en blâmer, bien des parents aujourd’hui devraient agir de la sorte avec leurs rejetons au lieu de céder à tous leurs caprices.

 

Pourtant, l’hiver avait été si rude cette année-là que les maigres ressources dont disposaient les gens ne se partageaient plus. Les trois sœurs étaient au plus mal, seule leur chère Houlippe pouvait leur permettre d’échapper à la famine. C’est l’aînée des donzelles qui un soir, se mit à hurler au bord de la rivière, pour appeler au secours leur chère marraine.


Comme à son habitude, Houlippe sortit des flots, juchée sur un char tiré par deux magnifiques et puissants cygnes noirs. C’est dans cet attelage qu’elle venait toujours leur rendre visite. Quoique incroyable, la chose n’étonnait jamais les jeunes filles, elles l’avaient toujours vue surgir ainsi et ne s’en formalisaient jamais. Les humains ont grande faculté à accepter le merveilleux, c’est sans doute pourquoi ils sont capables de détruire la planète, ce trésor fabuleux que la destinée leur a confié.


Houlippe cette fois sentait bien que la situation de ses protégées exigeait plus qu’à l’accoutumée. Elle s’approcha d’elles pour s’enquérir de leurs désirs. « Que puis-je faire pour vous mes belles, je devine que vous ne m’avez pas appelée au secours sans véritable raison ? Je sais la misère qui est vôtre. Que voulez-vous pour adoucir votre sort ? »


L’aînée, celle qui avait sans doute le plus fort caractère, parla au nom de ses cadettes : « Marraine, nous n’en pouvons plus de cette vie misérable. Nous voulons la Richesse, la Puissance et le Bonheur ». La fée opina de la tête, voilà des exigences qui n’étaient pas en rapport avec ce qu’elle avait voulu enseigner à ses filleules. Elle devinait que c’est leur détresse actuelle qui les poussait à se faire aussi pressantes. Il lui fallait les mettre à l’épreuve.


« Mes filles, vous me demandez l’impossible. Ne croyez pas qu’il soit aisé de répondre à de telles demandes. C’est à vous de savoir saisir ce à quoi vous aspirez tant. Je ne peux que vous en donner l’occasion. Le destin a des facéties que même les fées ne peuvent gouverner. Je vous demande de partir chacune de votre côté à la quête de ces fols espoirs qui sont les vôtres. Nous nous retrouverons ici, demain soir pour tirer les enseignements de votre aventure.


Au petit matin, les trois sœurs se mirent en chemin sans véritablement avoir compris ce qu’elles pourraient y trouver. Mais comment demander des explications à une fée ? Il fallait obéir et se laisser mener par la destinée. L’aînée choisit de descendre la rivière. Elle savait qu’à quelques lieues de là, un grand château dominait la contrée. Elle y trouverait certainement l’un des trois désirs qu’elle avait évoqués.


Elle marcha longtemps pour se rendre jusqu’à la forteresse. Elle était encore dissimulée dans les broussailles quand elle entendit grand fracas. Des hommes en armes encerclaient le château. Il ne faisait pas de doute que ces soldats voulaient investir la place. La bataille faisait rage. Le pont levis céda et la horde entra dans la place. La fille observait à distance une scène qui lui glaça les sangs. Les hôtes de la magnifique demeure furent sauvagement dépouillés sous ses yeux, frappés rudement et laissés là tandis que la troupe, chargeant son butin sur des bateaux, s’en alla pour de nouveaux forfaits. Horrifiée, la jeune femme rebroussa chemin sans même songer à venir en aide à ces malheureux, roués de coups.



La deuxième sœur prit quant à elle le chemin qui se rendait vers la grande ville, perchée sur la colline qui dominait la vallée. Elle n’avait pas tant à marcher que son aînée. La belle cité opulente était proche. Elle s’attendait à y découvrir une effervescence joyeuse et qu'elle ne fut pas sa surprise quand elle découvrit au loin, une ville aux portes closes. Elle s’approcha davantage, fut tétanisée par le silence qui émanait de derrière les remparts. Soudain, une porte s’ouvrit, une charrette en sortit, des cadavres y étaient entassés. Un homme portant cagoule les déposa dans un profond charnier avant que de s’en retourner sur ses pas.


La fille se signa et s’empressa de revenir vers la rivière. Ainsi la riche cité commerçante était aux prises avec la redoutable peste. Il lui fallait fuir au plus vite l’endroit et retrouver la quiétude de sa modeste chaumière. Elle hâta le pas, comme si le diable était à ses trousses.


La cadette quant à elle qui avait goûté fort peu la quémande de son aînée, se dit qu’en remontant la rivière, elle trouverait bien un peu de quiétude avant que de revenir au rendez-vous de sa tendre marraine. Elle n’avait d’autre but que de passer la journée en rêveries tout en profitant pleinement de la magnificence d’un décor unique. Elle avait marché une paire d’heures quand elle déboucha sur une varenne là où pâturait un troupeau de moutons.


Une mère venait de mettre au monde un agneau. La mise à bas ne s’était pas bien passée, le nouveau né avait le cou enserré dans le cordon ombilical. Sans hésiter la jeune femme se précipita à son aide, le sauva d’un trépas certain quand elle entendit derrière elle un « Merci charmante dame ! » qui la fit se retourner.


Devant elle, un berger à la mine souriante, des yeux qui lançaient des éclairs bienfaisants et une voix d’une douceur extrême. La belle sentit son cœur s’emballer. Elle se sauva prise d’une émotion qui la submergeait et qu’elle ne pouvait identifier. C’est ainsi qu’elle retrouva ses deux sœurs devant leur petite maison.


Le soleil se couchait majestueusement dans la Loire. Houllipe surgit à nouveau avec son étrange attelage. La fée interrogea les filles une à une en commençant par l’aînée. Elle écouta le récit que vous avez découvert avant elle, fit mauvaise mine à sa filleule : « Ma fille, tu es allée à la poursuite de la puissance. Tu as constaté les désordres que peut provoquer l'appât du gain. Cette leçon aurait pu te servir et t’enrichir mais tu n’es même pas allée au secours de ces malheureux, j’en suis fâchée ! »


Puis la seconde décrivit ce qu’elle avait vu à distance. La fée reprit la parole : « Ma chère, c’est le désir de richesse qui t’a poussé vers la grande ville. Tu as découvert que l’argent ne peut rien contre la maladie et la mort. Tu as bien fait de ne pas t’approcher mais tu aurais dû prévenir les moines de l’abbaye voisine afin qu’ils viennent au secours de ces malheureux. Je t’en fais reproche ! »


Ce fut alors au tour de la cadette de narrer son aventure. La fée se mit à rire : « Ma fille, tu as fort bien fait et la frayeur qui t’a prise n’a d’autre nom que l’amour. Tu es tombée sous le charme de cet humble berger. Il n’a pas dû comprendre ta fuite. Tu ne savais vers quoi menaient ces pas, je peux te le dire, c’est le bonheur qui était au bout de ce chemin ! »


La fée marmonna d’étranges formules, elle prit sa baguette magique et la posa sur la tête de la plus jeune. Dans l’instant, elle se retrouva dans la pâture avec les moutons. Il faisait à nouveau grand jour. Elle venait de délivrer l’agneau, le beau berger s’était approché d’elle et l’avait remerciée. Cette fois, elle ne sauva pas, elle lui sourit et ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.


Un peu plus loin, sur les flancs d’un léger coteau, la fée venait de faire surgir une bergerie et une maison. Elle appela les deux tourtereaux et leur dit : « Je veux que votre bonheur soit complet et je vous offre ceci pour qu’il puisse pleinement s’exprimer ! » La dame disparut dans les airs avec ses deux cygnes noirs. On ne la revit jamais plus.


Les deux sœurs de la plus jeune vinrent trouver leur cadette. Elle les reçut fort bien, les hébergea jusqu’à ce qu’elles trouvent à leur tour l’amour. Elles vécurent toutes trois à l’abri des désirs de richesse et de puissance qui apportent bien souvent les plus grands désordres. Le bonheur est certainement le plus sûr chemin pour avoir une vie agréable et sereine. C’est ce qu’elles firent pleinement ayant compris la leçon de leur marraine.


Humblement leur.


 

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