vendredi 27 août 2021

Camille Delamour

Le berlingotier de Briare




Ça va rouasser !



… Dans l'ciel lourd s'traînont des grous nuages

Des nuag' qu'ont un sale goût d'orage

Qui risquont d'brament tout casser

… Aussi d'vant c'te nuée noir qui m'nace

L'Gervais pense, en s'resserant ses f'nasses

Ça va rouasser !


… La Grand' Rouse a un biau p'tit drôle

Mais toute la journée faut qu'i trôle

… Les r 'montrantes .. ça l'fait rigoler !

Tant et si bien qu'la Rouse en colère

Elle s'écrie … Mais sans jamais l'fére

Ça va rouasser !


… « Trein'-Canon » et pis « Suc'Cannelles »

Ont pris les bistrots coumm' chapelle …

… Mais qunqu'ieux femmes v'nont les chorcher

L'murmuront, r'bossant d'l'échine

… Tout en recommandant … eun' chopine

Ça va rouasser !


… On voit dans nout' mond' qui s'terboule

Du mond' qu'est en train d'pard la boule …

… Des jaun's, des noirs, des maillassés …

Qu'on nourre anque eun' drôl' de pâtée !

Tant qu'on pense d'vant c'te curée :

« Ça va rouasser ! ... »


… Ça va rouasser ! … quanqu' nos minisses

Risquanr d'nous foutre eun' vraie jaunisse

Anqu' les impôts qu'j'ons à payer …

… Et on dit, ravalant sa crache :

«  De c'coup … i' vont trop fort … les vaches

« Ça va rouasser ! ... »


… Eh ! Ben, oui … v'la c'que n'on raconte …

… On sent la colèr' qui nous monte …

Mais … qu'ça sey' la Rouse ou l'Gervais

… L'mal content … ou ben l'contribuabe,

Tout l'mond' dit ça ! … Mais, cin' cents diabes !

Ça rouasse jamais ! ...



Camille Delamour est né à Briare le 5 décembre 1896. Il meurt en 1965. Il était connu comme le loup blanc puisque forain de son état, il écrivait des poèmes en patois berrichon tout en vendant ses berlingots et en tenant son stand de tir. Il écume les fêtes du Pays Fort, cette terre berrichonne qu’il aime tant ! Il amuse la galerie de sa gouaille, joue de l’accordéon pour animer ses deux baraques foraines.


Camille Delamour vivait avec sa femme dans une roulotte. Il se déplaçait de fête en fête avec sa voiture-boutique de tir et de confiserie dans la région de Gien et de Châtillon-sur-Loire. Quand ses deux roulottes, tirées par un tracteur, arrivaient en vue d'un bourg, les gamins accouraient, avides de quémander un peu du fil de berlingot fumant qui sortirait bientôt des grands chaudrons de cuivre.


Camille Delamour était aussi poète. À la suite d'un drame personnel, il se met à écrire des poèmes en berrichon, des " rimailles " comme il aime à dire qui paraissent dans le journal de Gien de 1946 à 1965. Ses textes évoquent la nature et racontent aussi la vie des campagnes et le monde qui change. L'humour du bonhomme, la précision de ses descriptions, la vivacité de la langue et le ton rabelaisien de son style font la joie des lecteurs qui aiment à le retrouver dans leur journal favori. Ce personnage singulier mérite qu’on s’y attarde ici. Il n’a eu de cesse de faire hommage à son terroir dans une langue incroyablement fleurie et truculente. Le retrouver ici ou bien aux Éditions Corsaire c’est rendre raison à une époque totalement révolue, celle d'avant la voiture et la télévision, ces deux éléments qui transformeront radicalement la vie de nos campagnes.

 


 


La chanson du marinier


Prends le large mon gars
C'est le vent qui t'appelle
Prends le large mon gars
Il est temps de partir
Prends le large mon gars
C'est le vent qui t'appelle
Eho ! Les gars, au vent de la mer
Eho ! Les gars chantant

Prends le large mon gars
Sur la vague jolie
Ton bateau glissera
Comme un grand goéland
Prends le large mon gars
Sur la vague jolie
Eho ! Les gars...

Prends le large mon gars
N'aie pas peur des tempêtes
Prends le large, ton bras
Est plus fort que la mer
Prends le large mon gars
N'aie pas peur des tempêtes
Eho ! Les gars...

Prends le large mon gars
C'est la vie qui t'appelle
Hisse toutes les voiles
Bonne route et bon vent
Prends le large mon gars
C'est la vie qui t'appelle
Eho ! Les gars...



L'Vieux Sapin

On me l’avait dit…J’v’lais pas l’croire

Et j’pensait – C’est un mal content
Qui vient m’raconter queuqu’histoire
…Je l’ai vu…C’est bien vrai pourtant

J’orais jamais penser qu’ des hommes
Qu’on une âme... qui sont pas des fous
Seuraint comett’ c’crime énorme
Tuer c’vieux sapin…pour s’fee des sous

Ca fait si longtemps que sa ramure
Couvrant l’sol…où l’harbre a pouss’ pas
Portant son éternelle vardure
Même sous la neige et les frimas

Ca fait si longtemps que d’sa bute
I r’gadait tracer des labours
Tandis qu’un marbot jouait d’la flûte
Que j’pensais qu’ça durait toujours

Combien d’ foués qu’en bonn’ compagne
J’atais v’nu l’voir dans l’soir couchant
Sans penser qu’un jour une cognée
Viendrait l’meurtrir de son tranchant

Mais c’est l’sal couté d’mont époque
Où tripatouill’nt tant d’ drol’s de gens
C’qu’est joli…Mon Dieu ! qu’on s’en moque
C’qui compte à présent…c’est l’argent

V’la pourquoué…pour queuqu’s billets d’mille
Qui p’tete demain tomb’ront dans l’siau
Cartains. Ah ! les pour imbéciles
Tuons c’que l’Bon Dieu a fait d’pus beau

J’ses sur ben d’fait qu’c’est un blasphème
Et sous la plainte du vent du Nord
Comm’su l’cercueil d’un etr’ qu’on aime
J’ai pleuré c’vieux sapin mort

A Briare

12 mars 1948




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