jeudi 21 février 2019

Mon champ de foire.


Ma cour d'honneur …



Je suis né sur le champ de foire ! Belle destinée que voilà : celle qui m'a placé parmi le tumulte du marché, l'agitation de la foire aux cochons, les rallyes automobiles, les fêtes foraines , les camelots et autres bonimenteurs. On ne peut faire mieux comme université de la rue, école du peuple. Pourtant, tout n'a pas été aussi simple pour le gamin qui voyait régulièrement sa cour d'honneur envahie par d'autres que lui …

Le lundi fut longtemps pour moi le jour de l'envahissement. Une fois par mois, le matin, les cochons investissaient la place. Ils étaient tout roses, lovés dans de petits enclos ; c'étaient les derniers-nés qu'il fallait vendre pour engraissement. Les gros spécimens étaient dans les camions, monstrueux, énormes ; ils m'ont souvent effrayé tandis que je me plaisais à entendre les cris de détresse de leur progéniture.

Il ne manquait pas une séance où un aventureux ne se sauvât, ne tentât la belle parmi tous ces éleveurs, marchands, clients, bien prompts à le rattraper impitoyablement par la queue ou bien par les oreilles. Sans doute que la vocation de l'enseignement est née chez moi dans ce geste d'autorité qui m'amusait beaucoup. Une fois même, je me souviens qu'un fuyard avait trouvé refuge dans la boutique. Il ne tarda pas à retourner bien vite dans son enclos.

La foire aux cochons terminée, les forains prenaient la place. Devant chez nous, il y avait le bazar à un franc. Un grand camion qui déployait un capharnaüm improbable, un ensemble totalement hétéroclite où il était bien difficile de trouver une cohérence. L'essentiel résidait dans le prix ridiculement bas de la marchandise et accessoirement dans sa médiocre qualité. Combien de jouets inutiles ne passaient pas le lundi avant que de se briser lamentablement !

Devant chez nous, c'était le coin des fripiers. Curieux étalage de vêtements importables qui ne devaient être conçus que pour amuser le touriste ou le badaud. Les blouses en nylon de toutes les couleurs, les gaines et les vêtements de travail, les bottes en caoutchouc et les charentaises étaient ceux dont je garde encore l'image la plus amusée.

Il y avait régulièrement un bonimenteur qui passait par là pour vendre à la cantonade un lot incroyable, un assortiment à faire pâlir la ménagère ou le bricoleur. Il haranguait la foule, il multipliait les ajouts, déroulait des quantités inouïes de produits qui constituaient, à coup sûr, l'affaire du siècle. J'écoutais, je me délectais du discours sans jamais une seule fois avoir mordu à la combine. Mais quelle belle école du verbe !

Plusieurs fois l'année, les auto-tamponneuses venaient installer leur piste juste sous mes fenêtres. Le monde basculait dans un autre univers, fait de musique et de toute la jeunesse du pays qui se pressait autour de cette unique attraction. J'avais un traitement de faveur de la part de ce forain. En effet il donnait toujours à mon père des réparations à faire : le sellier était capable de prodiges avec ses aiguilles courbes.

Pour le remercier, les hommes de la piste me prenaient à leur bord quand le chaland se faisait rare. Il fallait occuper la piste, faire tourner pour que l'agitation attire de nouveaux clients. J'ai bien vite perdu le goût de ces tours en rond et de ces chocs violents. Quand on a trop tôt fait le tour de la question, cette attraction devient vite dérisoire. Par contre, derrière la fenêtre de la cuisine, je ne me lassais pas d'observer le manège des jeunes coqs qui cherchaient à séduire quelques pintades naïves. J'ignorais que je ferais comme eux plus tard …

Une fois l'an, le boulevard devenait le théâtre du gymkhana du rallye automobile. C'était encore une époque où l'automobile régnait en maître, surtout dans ma commune avec les usines SIMCA. Les moteurs ronflaient, les pneus crissaient et mon terrain de jeu était labouré pour quelques jours. Je pense que ces journées bruyantes m'ont inspiré envers l'automobile un aversion qui ne s'est jamais démentie.

Il y avait encore les animations municipales.Au cœur du village, j'étais aux premières loges des plaisirs d'alors : courses au trésor, concours de chants, corsos fleuris, jeux inter-quartiers, balle populaire, course aux lampions, … C'était une époque où chacun se contentait des animations locales qui n'avaient pas besoin de jouer de la surenchère et du décibel. .

Le reste du temps, le boulevard fut longtemps mon vélodrome. Je tournais en rond entre les tilleuls jusqu'à ce qu'on me donne le feu vert pour vivre l'aventure un peu plus loin. Il était temps : la place accueillait de plus en plus de voitures et pour limiter cette invasion devant notre boutique, mon père avait installé trois grosses buses : pots de fleurs que je devais arroser chaque soir.

La place, j'en ai déjà parlé, était aussi, au petit matin, l'annexe de l'atelier. Mon père installait sa cardeuse pour carder la laine qui lui permettrait dans la journée de refaire un matelas qu'il livrerait le soir-même chez des clients, promis à une nuit de mal de mer. La machine réveillait tout le quartier : le sommeil du juste ne supporte pas le travail du matelassier.

Pour le reste, ma cour d'honneur n'était qu'un parking ; au début en terre battue puis bien vite goudronné. Pourtant, quel que soit le revêtement, je me rappellerai toujours l'odeur de la place juste après la pluie, l'été. Un bonheur olfactif qui restera à jamais le grand bonheur de mon enfance. Hélas, le pathétique survint aussi : un triste jour que je ne peux ôter de ma mémoire, vingt-six corbillards passèrent sur le champ de foire, pour conduire dans l'église Saint Ythiers, les pèlerins morts accidentellement dans un car d'un transporteur local.

Champdefoirement mien.


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