samedi 29 avril 2023

Donner sa langue au chat …

 

Alimentation et citoyenneté





Il se trouve des gens persuadés de pouvoir défendre la filière agroalimentaire française en bradant notre langue, organe indispensable au bon goût français. On ne peut leur en vouloir : ils font partie de ceux qui ont appris dans les écoles de commerce ou de communication que pour bien se faire comprendre des décideurs, il faut désormais abandonner sa langue maternelle au profit d'un globish indigeste.


Alors, pourquoi pas organiser une manifestation au doux nom « d'Open agrifood » pour satisfaire à l'air du temps, à la médiocrité générale et à la débâcle culturelle française ? C'est si joli, ça sonne si bien qu'on ne peut que s'extasier devant l'appellation si clairement compréhensible qu'elle en devient déjà un paradigme de référence dans ce domaine.


Bien sûr, il eût été question de défendre la gastronomie tricolore, les experts en communication eussent sans doute opté pour un terme plus franchouillard. Mais qui se soucie encore de notre cuisine nationale : ce fleuron que le monde entier nous envie alors que nos concitoyens fuient les restaurants de qualité au profit de gargotes infâmes, de pizzerias qui envahissent le territoire et d'officines interlopes où l'on préfère ingurgiter avec un lance-pierre plutôt que de se restaurer lentement ?


Alors l'industrie agroalimentaire, celle-là même qui s'est vendue au diable avec des produits toujours plus standardisés, insipides, douteux, sans saveur ni caractère, peut bien s'afficher avec un tel générique pour sa grande foire qui se tiendra à Orléans les 18 et 19 novembre 2015. Il y a d'ailleurs des rendez-vous qui ne trompent pas sur l'abandon sans rémission de notre langue chez ces formidables vendeurs comme le déjeuner thématique dont le nom me donne des brûlures d'estomac : «  Conciliate climat, pleasure and food ».


J'en reste bouche bée d'autant plus que la seconde édition de ce grand raout est placée sous le thème de l'alimentation et la citoyenneté. La première exigence pour satisfaire à ce merveilleux thème serait, il me semble, de respecter la loi Toubon sur la langue française. Mais dans ce monde résolument moderne qui concerne toute la filière des semenciers jusqu'aux consommateurs, on se moque bien des règles contraignantes. Ici, on répand aussi facilement les pesticides que les expressions anglophones.


Comment affirmer une identité nationale, comment revendiquer une qualité spécifique à notre pays, comment gagner la confiance des autres nations quand on brade sa propre langue, quand on se prosterne devant le langage qui porte en lui les valeurs de la mondialisation et de la médiocrité alimentaire ? Ces gens raisonnent de bien curieuse manière, égarés qu'ils sont par des théories qui conduisent tout droit dans le mur en niant ce label de qualité qui devrait faire la force de la France.


Les produits faits en France s'honoreraient de se présenter en version originale. C'est ce qui est attendu à l'étranger quand il est question du bien manger, de la qualité française, de notre gastronomie reconnue comme participant au patrimoine de l'humanité. Une exigence qui ne touche en aucune façon ces pauvres pantins distingués qui n'ont que des anglicismes dans la bouche, des courbes de croissance, des critères de rendement et jamais de qualité.


Je sais que mes protestations ne toucheront pas ces distingués représentants de la classe dominante, celle qui brade notre héritage culturel, qui défend l'industrie et ses dérives au détriment d'une agriculture ancrée sur le territoire, qui se vend au plus offrant et ne se soucie plus de défendre le patrimoine national. Ce sont les mêmes qui tiennent les rênes du grand syndicat agricole, chantre de l'industrie phytosanitaire. Ainsi la manifestation sera patronnée par un sieur dont je me refuse à évoquer le nom ici tant il personnalise la dérive de l'agriculture prétendument moderne.


Et la cerise sur le gâteau est telle que je m'étrangle d'indignation en découvrant qu'un concours de cuisine sera organisé à l'initiative de l'association régionale des industries alimentaires du Centre-Val de Loire. C'est naturellement un « Open chef », pourquoi user d'un vocable francophone ? Pire que tout encore, ce concours de cuisine se fera à partir de produits surgelés ou conditionnés sous vide, transformés par les industriels de la région. On mesure la conception de la qualité chez ces pauvres traîtres à la nation. Du fait maison, comme il se doit dans un monde parfait !


Il n'est plus rien à espérer d'un pays qui s'abandonne ainsi à tous les travers de la mondialisation. Je pensais que la gastronomie demeurait un bastion et je découvre, affligé, que le pire n'est jamais impossible. Plus rien ne tient dans une nation où la langue est ainsi galvaudée. Demandez le programme de cette foire si le cœur vous en dit, ne comptez pas sur moi pour vous le communiquer. Je tire au cœur et j'ai la langue bien trop chagrine.



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