mercredi 18 janvier 2023

À mots couverts

 

Avant de se mettre à table.






Vivre heureux, c'est vivre caché se disent les couverts dans leurs jardinières. C'est bien là le seul endroit où ils n'ont pas besoin de sortir du bois ni risquer mauvaises rencontres avec des convives attirés par l'argenterie. Seule du reste, la plus grande d'entre eux, affirme sans manière que leur attitude lui parait louche. Celle-ci a toujours craché dans la soupe, se pensant au-dessus de la mêlée simplement parce qu'elle a le bras long et de la contenance.

Les plus petites, celles qui du reste aimeraient plonger dans le potage pour avoir quelque espoir de grandir, se plaignent de n'être pas bien dans leur assiette. Si la formule n'exprime pas tout à fait la réalité, elles se sentent abandonnées, laissées seules devant une armée de verrerie menant grand train, allant tous d'un bon pied.

Ses autres compagnons se serrent les coudes, ayant souvent le bonheur de côtoyer une grande diversité de presque pareils, se spécialisant à l'extrême. Les uns taillant ou piquant le poisson, d'autres les entremets tandis que les vedettes de la fête attendent le plat principal pour passer à l'action.



La fourchette compte ses dents pour savoir à quelle sauce elle sera mangée. À deux dents, elle ouvrira le bal à condition de sortir de sa coquille. À trois dents, elles se réservent pour le clou du repas mettant le couteau sur la touche quand sa consœur à quatre dents se sent responsable du principal, accordant le subalterne à ses petites sœurs.

Quant aux cuillères, est-ce parce que l'une d'elles baignent dans le potage que toutes les autres se font un malin plaisir à ne servir qu'à une seule fonction : absinthe, kiwi, caviar, moka, la liste est longue tandis que seule la petite sucre les fraises. C'est en quelque sorte l’aristocratie de la jardinière à la française.

Le couteau prendrait la mouche s'il m'entendait parler ainsi, ça n'y couperait pas. Il y a d'ailleurs ceux qui ne quittent pas l'office et se montent du chef dès qu'il est question de les comparer à la piétaille. Laissons-les à leur orgueilleuse posture. Ils ne perdent jamais le fil et ont l'âme musicienne puisqu'ils jouent du piano.



Passons donc du côté des convives pour envisager la troupe qui tranche, coupe, cisaille, découpe, épluche au gré des formes et des fonctions. Le couteau supporte une révision régulière et pour lui le coup de fusil lui refait une jeunesse sans jamais lui mettre du plomb dans la tête lui qui se veut en acier bien trempé tout en se satisfaisant parfois de l'inox.

Tout ce joli monde encadre les assiettes qui s'empilent les unes sur les autres sans pudeur ni tenue. Les couverts sont du reste assez choqués d'un tel comportement préférant de très loin le service à l'anglaise où les assiettes se font plus adroites. Vous pouvez constater que ce petit monde est sensible à l'étiquette sans oublier le poinçon pour garantir son authenticité. Vous pourriez en prendre de la graine me dit alors un certain Guy en me faisant un dessin.

Je pensais en avoir fini avec cette fastidieuse énumération quand les serviettes se mirent en quatre pour exprimer leur présence. Le sujet en dépit de son importance est sujet à polémique. La bonne serviette en tissu n'a plus la côte ayant semble-t-il perdu le fil de la modernité. Il convient d'user de la couleur, le papier se montrant pliable et corvéable à merci jusqu'à ce qu'on découvre qu'il n'est guère durable. Les torchons quant à eux n'ont pas droit au chapitre, consignés qu'ils sont dans l’arrière-cuisine.
 

La table est certes le royaume du fongible tandis que les commensaux vont et viennent au gré des invitations. Il est loin le temps des ronds de serviette, il a laissé la place à celui des ronds de jambes. Hélas, mille fois hélas, ceux-ci sont souvent le fait des esclaves cyclistes qui viennent vous apporter ce que vous ne prenez même plus la peine de préparer dans vos cuisines pourtant fort bien aménagées.


À contre-service.

 


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