jeudi 28 avril 2022

Une pluie de Pucelles

 

Pêcheur devant l'éternel.






Les traditions eurent longtemps la vie dure en Orléans. Chacun sait, pour peu qu’il s’intéresse véritablement à l’histoire de notre héroïne locale sans se soucier des commémorations illusoires qui la célèbrent, que, lorsqu’elle arriva en 1429 dans ce qui allait devenir sa bonne ville, porteuse de ravitaillement pour sauver la populace de la famine, le bon peuple, pour la remercier, lui offrit une beau poisson migrateur, pêchée dans la rivière. Dans le même temps, la Loire elle même célébra la venue de la Lorraine miraculeuse en gratifiant la populace affamée d'une pluie de pucelles, une arrivée en quantité innombrables d'aloses ce présent de la nature que les orléanais avait associé à la venue de la miraculeuse bergère.


L'alose, un de nos nombreux poissons migrateurs, remonte elle aussi la rivière pour aller frayer, donner la vie ne perdant la sienne, un sacrifice qui illustre parfaitement celui de notre pucelle d'autant plus que cela se produit précisément en mai. Voilà une belle coïncidence à l’origine de cette histoire que m'a soufflée à l’oreille un appariteur épiscopal local, au cours d’un repas fort bien arrosé. Je sais l’homme bon catholique pratiquant et n’irais jamais remettre en question sa parole.


Nous sommes en une époque lointaine où État et Église n’avaient pas rompu leur lien historique. À l'évêché d’Orléans, on connaissait en ce temps-là son Histoire et on avait grand souci des humbles gens. C’est ainsi que pour les fêtes johanniques, Monseigneur l’Évêque (il se pince d’être appelé ainsi, les majuscules en prime) aimait le 8 mai à offrir à ses pauvres un repas avec une alose au menu.


Durant la semaine précédente, son bedeau, un certain La Malice, nommé ainsi car il avait plus d’un tour dans son sac et plus d’une astuce pour répondre aux innombrables soucis qu’impose l’entretien du vaisseau amiral : la grande et belle cathédrale Sainte-Croix, avait été convié à se rendre à la pêche en Loire comme chaque année pour faire grande et belle provision d’aloses.


Le brave appariteur, ravi de cette aubaine, quittait un temps son costume de Suisse pour retrouver une tenue moins cérémonieuse. Il fermait la sacristie à clef et n’ouvrait que les grandes portes de la maison de Dieu. C’était ses vacances de printemps. Il venait d'achever la décoration du transept avec les fanions des compagnons de Jeanne ; il disposait de quelques jours, une semaine tout au plus, pour sa pêche miraculeuse avec l'onction de celle qui n'était pas encore sainte.


Le bedeau, grand pêcheur devant l’éternel, jouissait ainsi de la bénédiction de monsieur l’évêque pour aller taquiner le poisson et éventuellement la lavandière. Monsieur avait souvent du fermer les yeux et accorder son pardon après des confessions d'un clerc qui bien souvent avait de curieuses accointances avec le diable . Mais il était si dévoué qu’il devait absoudre ses turpitudes tout en s’amusant fort de ses répliques et de ses farces. Pour homme d’église qu’il était, Monseigneur était le meilleur des hommes et le plus bienveillant des patrons.


Or donc, ce jour là, La Malice était posté sur la rive, tendant ses lignes pour piéger les aloses et remplir sa mission divine avec la complicité de son supérieur hiérarchique. Mais voilà que, envoyé par Rome, du Vatican même, un Nonce Apostolique, venu assister aux célèbres fêtes, était arrivé quelques jours plus tôt ayant en tête d’admirer le trésor de la cathédrale et tout particulièrement les médaillons byzantins datant du IV° siècle.


L’évêque, que Dieu ait son âme, dut alors mentir à ce haut dignitaire de la curie, ne pouvant lui avouer les raisons de la fermeture à clef du dit trésor. Il bredouilla, tergiversa, se perdit en vaines explications avant d’avouer qu’il ne savait pas où se trouvait son bedeau, un personnage fantasque, capable de partir avec les clefs sans laisser d'adresse.


Le Nonce en était fort marri, lui qui se faisait une joie d’observer ce fabuleux trésor. Il demanda à son collègue s’il n’y avait pas moyen d’aller quérir le supplétif de Saint Pierre : l’homme qui détenait les clefs du paradis local. L’Évêque, discrètement envoya le sonneur de cloches à la recherche du pêcheur.


La Malice adorait la pêche et ne supportait pas d’y être dérangé. Nul n’est parfait en ce bas monde, y compris ceux qui travaillent pour le salut des âmes. Le sonneur fut renvoyé sans ménagement à son bourdon, de manière fort peu chrétienne. Quand l’homme revint devant les deux hautes autorités, le nonce comprit à sa mine déconfite qu’il y avait là un mystère à tirer au clair.


Prenant sa soutane à bras-le-corps, le Nonce, tout prélat qu’il était, alla d’un pas ferme et décidé sur les rives à la rencontre de celui qui entravait son désir le plus cher. C’est ainsi, qu’il se trouva nez à nez avec le dénommé La Malice au moment même où il sortait une magnifique alose des flots. Le nonce lui fit compliment de sa pêche, remerciant dans la foulée le Seigneur de lui avoir accordé ce don. La Malice, en bon chrétien, se signa et s’enquit du but de cette prestigieuse visite.


Quand le Nonce eut expliqué qu’il voulait, séance tenante, que le bedeau abandonnât son activité pour venir lui ouvrir la sacristie et les portes du trésor, notre pêcheur manqua de s’étrangler. Ce noble personnage voulait donc entraver sa journée de pêche au moment même où un banc d’aloses passait par là ; il n’en était pas question. À son tour, il lui mentait, affirmant tout de go qu'il avait malencontreusement fait tomber les clefs dans la rivière.


Le Nonce tout homme d’église qu’il fût n’en demeurait pas moins un amoureux de la nature. Devant cette contrariété, il fit contre mauvaise fortune bon cœur et décida de rester là ; la pêche étant aussi un péché mignon. C’est ainsi que nos deux larrons se mirent en demeure de remplir la bourriche pour le repas de l’évêque. Et jamais pêche ne fut si abondante que ce jour-là.


La journée avançait et le bedeau, ravi d’avoir un compagnon pour remplir sa mission rituelle, lui demanda s’il était partant pour déguster avec lui l’une de leurs plus belles prises. Il y avait, à deux pas de là, un restaurant fameux : le Cabinet Vert, célèbre pour l’art consommé de son chef à préparer les poissons de Loire. Le bonhomme vous faisait une alose farcie au vin d’Anjou à vous damner un bon chrétien. Le nonce, habitué aux gueuletons du Vatican, était un gourmand invétéré ; il accepta sur le champ la perspective de profiter d'un repas du seigneur.


La Malice s’absenta quelques minutes pour porter son poisson et faire sa commande auprès de Patrice, le maître queux du caboulot. C’est donc, amis comme cochon d'autant plus plus qu'ils avaient abusé du cruchon que nos deux pénitents arrivèrent à la tombée de la nuit pour déguster ce que leur avait préparé le patron. L’homme des fourneaux n’aimait rien tant que raconter ses recettes ; il expliqua à ses deux hôtes comment se préparait l’alose farcie !


« Messieurs, vous m’en direz des nouvelles. Commencez d’abord par vider l’alose par les ouïes sans l’ouvrir, vous l’écaillez et puis la ciselez avec amour. Dans un plat en terre ovale, mettez un bon morceau de beurre, quelques échalotes hachées, un peu de persil coupé grossièrement et une bouteille de vin blanc d’Anjou bien sec. Je vous en ai servi une sur la table pour accompagner le plat ». Et nos trois gourmets de vider une première bouteille …


Tout en buvant, le chef continuait ses explications : « Faites ensuite une farce avec les œufs de l’alose (puisque vous m’avez apporté une femelle), pilez au mortier en y ajoutant 150 g de beurre, incorporez 3 œufs un par un, et un peu d’oseille préalablement cuite au beurre et ciselée. » C’est à ce moment de l’explication qu’il dut réclamer une seconde bouteille.


Le Nonce avait déjà la face rubiconde. On lui avait beaucoup vanté les fêtes johanniques ; décidément, il avait bien fait d'accomplir ce long voyage pour une telle célébration. Le cuisinier continuait ses explications tandis que ces deux drôles de paroissiens vidaient le vin d’Anjou : « Assaisonnez de sel et poivre, une noix de muscade, farcissez l’alose, mettez dans un plat ovale, un bon morceau de beurre dessus et laissez cuire environ 30 minutes au four en ayant soin de l’arroser très souvent ! » Ce dernier conseil fut suivi à la lettre puisqu' une troisième bouteille arrivait sur la table en même temps que ce plat succulent.


Le repas fut exceptionnel. Le nonce en reprit d’autant plus aisément que nous étions un vendredi, jour où il convient de faire maigre dans sa corporation. L’alose remplissant parfaitement ce précepte, il n’y avait aucune raison de se priver. La Malice quant à lui, habitué aux excès, était ravi de trouver un compagnon aussi goulu que lui. Ils rentrèrent bras dessus bras dessous à l'évêché, en chantant quelques chansons qui eussent horrifié la pauvre bergère et sa sainteté le pape


Le lendemain, nous étions le 8 mai, le nonce et le bedeau avaient une petite mine pour les célébrations d’usage. C’est durant le repas où furent servies aux indigents les aloses du bedeau, que le nonce vint vers lui pour le remercier de cette belle soirée, une des plus belles qu’il avait vécues depuis qu’il avait prononcé ses vœux. S’il avait quelques faveurs à réclamer à notre mère l’Église il était tout disposé à l’exaucer en guise de remerciement.


Notre bedeau n’hésita pas un seul instant. Il avait une requête qui lui brûlait la langue, une demande qu’il n’avait jamais osé formuler à monseigneur l’évêque. L’homme eût été marri de ce souhait qu’il n’aurait pas compris. C’était l’occasion ou jamais. Un Nonce avait le bras long. La Malice se jeta à l’eau : « Mon Seigneur, je rêve de devenir bedeau de la cathédrale de Saint-Jean-Baptiste d’Aire ! »


Le Nonce fut particulièrement surpris. Aire-sur-l'Adour est certes une fort belle cité mais bien moins importante qu’Orléans. C’est alors que La Malice lui avoua que sur l’Adour, les aloses étaient plus belles que nulle part ailleurs. Il désirait vivre la fin de son âge à pêcher sur cette rivière et profiter du climat de cette merveilleuse région.


C’est ainsi que le vœu du bedeau fut exaucé. Le Nonce, quant à lui, put admirer le trésor avant de repartir à sa « vaticanerie » , La Malice ayant soudainement retrouvé les clefs. Le bedeau quitta Orléans et termina sa vie en bord d’Adour. Il trouva dans le Jurançon, un vin susceptible de remplacer les blancs de Loire. De cette perte irréparable pour la ville d’Orléans, cessa soudainement la tradition de l’Alose Johannique. Il est vrai que, dans la ville, certains voyaient d’un mauvais œil ce repas offert aux indigents le jour de la grand fête locale quand tous ceux qui comptent défilent devant tous ceux qui ne sont là que pour les admirer béatement, bouche bée et de préférence vide.


À contre-temps.



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