samedi 13 novembre 2021

Le nouveau royaume des caquesiaux.

 

L'arrivée des Bourgeoisiaux au domaine.





Il était une fois une misérable masure servant d'habitation à une pauvre famille de paysans qui subsistait modestement sur les quelques lopins de terre. Dans l'étable, deux vaches pour faire un délicieux fromage blanc connu dans les environs, quelques moutons de Sologne, élevés pour la laine et surtout pour en préserver l'espèce et dans la porcherie, un goret à l'engraissage pour honorer la plus belle des traditions. Pas de quoi devenir riche mais largement de quoi faire bouillir la marmite. Le vieux couple s'en contentait, n'ayant plus de « gnas » en charge, il y a belle lurette que leurs rejetons étaient partis à la grande ville. Ils oubliaient même de revenir au pays plus souvent qu'à leur tour.


C'est Joël, le patriarche qui flancha en premier, cassant sa pipe au sens propre, un soir qu'il prenait l'air, fumant tranquillement sur son banc placé devant sa chère mare. Une crise l'avait saisi là, il n'avait rien senti, s'en était allé dans ce décor où il avait passé toute son existence à l'exception d'une maudite excursion en Algérie dont il taira toujours la blessure. La vieille Josette n'était plus capable de vivre seule, loin de tout, elle qui n'avait jamais appris à conduire.


Les enfants se rappelèrent avoir des parents, ils se précipitèrent pour vendre le petit domaine, placer la mère à l'hospice comme elle disait, se refusant à employer ce sigle qui ne lui disait rien qui vaille. Elle consentit à son placement n'ayant sans doute pas d'autre choix ni même la force de résister à ces ingrats qu'elle avait pourtant nourris de son sein. Elle avait au fond du cœur la certitude qu'elle ne tarderait pas à rejoindre son bonhomme, ce qu'elle s'appliqua à réaliser moins de deux mois plus tard. Pour les héritiers, c'était tout bénéfice…

 


 


La maison et ses terres attenantes fut promptement vendues à des bourgeoisaux de la grande ville ligérienne. Des parvenus comme on disait sous cape en Sologne mais de ceux qui n'avaient pas les moyens de s'offrir un des innombrables châteaux en brique qui poussèrent comme des champignons aux XVIIIe et XIXe siècles. Ceux-là n'avaient aucune attache rurale et avaient ce regard hautain qui ne leurre pas les gens de la terre. Ils allaient chambouler le domaine des deux vieux.


Un architecte fut mandaté pour transformer la masure et ses dépendances en un coquet cottage, puisque tel était ce mot curieux employé par les acheteurs. Une armée d'ouvriers vint répondre aux projets conçus par l'homme de l'art. En moins de temps qu'il n'en faut pour élever un cochon, la ferme était devenue un écrin digne d'une émission de télévision ; un décor glaçant de magazine glacée dans lequel Édith et Marcel allaient pourvoir recevoir le gratin de leurs amis de la ville. L'étable était devenue une salle de réception dans laquelle seule la goulotte centrale et un nouveau râtelier en bois pour recevoir des fleurs d'intérieur, rappelaient son usage ancestral.


Les débuts furent enchanteurs. Les ouvriers avaient fait du bel ouvrage, repoussant à jamais les nids d'hirondelles, les cachettes pour les chauves-souris, les nichoirs des martinets. Les chats de la maison avaient fait le reste, les oiseaux ne venaient pas déposer une malheureuse offrande sur la rutilante terrasse en dallage blanc. Cette nouvelle expérience de la nature profonde fut cependant perturbée pour nos deux tourtereaux par le vacarme émanant de la mare. Les guernazelles comme disent les pécores de l'endroit font une sérénade à ne pas fermer l'œil.


 


Rapidement ils prirent de nouvelles mesures énergiques. Un paysagiste réputé vint se charger de l'environnement pour pourchasser toute trace de l'ancienne nature sauvage. Adieu les roseaux, les herbes folles, les grenouilles, les libellules, place nette pour un gazon parfait et une piscine pompeusement qualifiée de biologique qui prit la place de ce cloaque. Les amis affluèrent, décidément le domaine baptisé moqueusement « La Grande Châtaigneraie ! » était le lieu où se pressaient tous les gens en vue de la grande cité voisine.


Une année était passée, le succès commençait à s'essouffler. L'authentique quand il est à ce point factice finit par lasser même les plus faussement écologistes. Ce retour à la terre d'Édith et Marcel ne trompait plus grand monde. Quant aux autochtones, ils avaient compris immédiatement à qui ils avaient affaire. Ce qui les chagrinaient le plus c'est que pas un artisan ni un commerçant d'ici ne profitait des dépenses somptuaires de ces néo-ruraux de pacotille, écologistes des réseaux sociaux.


C'est la nature elle-même qui se vengea de ces parvenus de la fin de semaine. Leur domaine avait été prodigieusement barricadé comme les gougnafiers seuls peuvent le faire avec une implantation profonde dans le sol pour éviter l'intrusion des animaux fouisseurs et une hauteur de grillage à décourager les sauteurs. De multiples pancartes rappelaient à qui eut été assez sot pour ne pas le comprendre que la propriété était interdite à toute personne extérieure au monde de ces gens-là.



Dans ce bastion de la modernité, l'électricité illuminait le décor grâce à un merveilleux système automatique. Ce fut ce qui attira les premiers caquesiaux qui élurent domicile dans ce fameux bassin biologique. L'exode des hirondelles, martinets, chauves-souris, libellules et guernazelles avait transformé cet endroit en paradis pour eux. Ils se piquèrent même d'apprécier les chairs tendres et dénudées de ces citadins souvent en position horizontales, ils en firent un véritable festin.


La chose tourna au drame, les invités désormais trouvaient mieux à faire que de servir de casse-croute aux moustiques solognots tandis qu'Édith et Marcel s'aspergeaient de répulsifs bien moins efficaces que les prédateurs habituels des maragouins. J'emploie à dessein un terme exotique pour qualifier ces monstres insidieux car l'aventure tourna à la bérézina. Un moustique au nom savant de Aedes aegypti, en dépit des panneaux, pénétra sournoisement et sans y être dument convié dans ce fastueux domaine. Ce fut le début de la fin du retour à la terre…

 



Édith et Marcel se retrouvèrent porteur de la Dengue, mal terrifiant parfaitement adapté à la réputation qu'ils avaient conquis de haute lutte. La maladie leur donna de terribles céphalées et une fièvre jaune qui non seulement ne leur permit pas d'être adoptés par les ventres-jaunes mais les fit passer pour des malades contagieux à éviter de toute urgence. Ils n'eurent d'autre choix que d'abandonner la Grande Châtaigneraie qui retrouva bien vite son ancien nom cadastral : « Métairie du petit Moulin ».


La piscine biologique redevint une mare, les guernazelles retrouvèrent ses eaux calmes. Les acquéreurs suivant du domaine refirent bon accueil aux oiseaux tandis que les grillages d'enceinte de cette bastille tombèrent pour le plus grand bonheur de tous les promeneurs et les cueilleurs de champignons. La Sologne se passerait aisément de propriétaires comme ces deux-là dont l'histoire meuble encore les soirées de grillées à la châtaigne.


Moustiquement sien.


 

 

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