samedi 27 novembre 2021

L’enfance sur les dents.

La petite souris


 

 



 


    Qu’elle soit verte ou grise, qu’elle court dans l’herbe ou bien sur le plancher du grenier, la petite souris hante l’imaginaire enfantin. Porteuse d’une pièce quand les dents tombent, il ne faut pourtant pas la tirer par la queue, elle rentrerait immédiatement dans sa coquille. D’autres préfèrent la mettre en cage, lui permettant simplement de tourner en rond dans une roue neurasthénique. Elle mérite bien mieux cette demoiselle que seul le chat de la maison avait le droit de croquer.

    Puis est venu le temps de la dératisation, de l'hygiénisme à outrance. La petite souris a dû faire compagnonnage avec la tapette, animal à ressort qui aime tout particulièrement torturer ses victimes à petit feu. Le petit rongeur ne pouvait faire de l’huile, ignorant sottement que les humains sont capables de telles perfidies. Avec le greffier, le combat n’était certes pas égal, mais il était loyal. L’un sortant ses griffes quand l’autre usait de sa roublardise.

    La pauvrette ne fut pourtant pas au bout de ses peines. Ceux qui vont debout sur leurs pattes arrière avaient d’autres idées en tête. Ils épandirent du poisson partout où c’était nécessaire à leur volonté de réduire à néant la nature. La souris se fit du mouron, elle devint vite allergique à cette industrie phytosanitaire qui n’aimait ni les fleurs, ni les insectes, ni ses semblables. Elle n’était plus qu’une mauvaise herbe dans l’esprit des humains.

    Elle trouva refuge dans un univers de carton-pâte et de bulles. Elle eut même les honneurs du cinéma. Étrange phénomène qui fit d’elle une vedette planétaire alors que dans nos maisons il n’était pas question d’en voir la queue. Si elle faisait son trou à Hollywood, par contre c’était loin d’être le cas à Gruyère ou dans le Comté.

    La souris aurait pu protester, faire la grève et renoncer à récompenser les dents de lait qui choient. Mais elle n’est pas rancunière, la douce et belle demoiselle. C’est là sa plus grande méprise, elle aurait certainement obtenu le soutien de tous les bambins édentés, privés d’une juste récompense. Hélas, on ne peut refaire l’histoire, les souris survivantes s’en mordent les doigts.

    Elle tenta de se reconvertir dans diverses activités. La police s’inspira d’elle pour tendre des pièges aux malfrats. La souricière inspirait les auteurs de polars mais n’était d’aucun secours pour elle. Le boucher vantait les mérites de la souris, un morceau de choix parait-il sans que cette fois elle fut en cause, voilà un écueil d’éviter, une bonne nouvelle dans un océan de contrariété.

    Car la demoiselle avait un chat dans la gorge, un animal sans pitié qui proliférait dans ce monde aseptisé. Plus la campagne disparaît de nos villes, plus les humains éprouvent le besoin de caresser dans le sens du poil de doux greffiers qui une fois la nuit tombée, font grande hécatombe d’oiseaux et de rongeurs. La vie est dure pour qui croque sous la dent d’un animal aussi matois que roublard.

    Ses cousins du reste ne sont pas mieux lotis. Mulots, campagnols et musaraignes subissent le même sort tragique. La grande internationale du petit rongeur décimé ne fait pas la une des médias qui pourtant ont tous usé, à l’heure du tout numérique d’une congénère artificielle. Celle-ci aussi tend à disparaître au profit d’un pavé tactile qui manque singulièrement de tact.

    En écartant définitivement de notre quotidien le charmant mot de souris, les enfants pensent désormais qu’il n’y a que Mickey Mouse qui corresponde d’assez loin à cette appellation. Pire même, quand ils reçoivent encore quelques pièces sous l'oreiller, c’est dans l’univers factice de cette succursale de la mondialisation qu’ils vont les dépenser. Les vraies petites souris s’en désolent grandement.

    Je ne sais si j’ai fait le tour de la question. Une belle souris qui a remplacé une vieille taupe vient justement à ma rencontre. Je veux bien me laisser mener par le bout de la queue à panache d’un écureuil qui vient lui aussi troubler mon écriture. Je rongeais mon frein depuis si longtemps, le vieux matou que je suis, était en panne d’inspiration, voilà tout !

    À contre-emploi.



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