lundi 2 novembre 2020

Un drôle d'oiseau

 

Bredouille et en quenouille






Dans l’existence, Pitchoune, il est recommandé de ne jamais désespérer. La destinée est une curieuse loterie, tout peut advenir quand on ne s’y attend pas. Écoute cette histoire avant de la glisser à l’oreille de Victor. Il se peut qu’alors, lui aussi prenne son envol.


Il était un homme malheureux comme les pierres . Il avait la réputation d'être le plus maladroit des pêcheurs du pays. Le pauvre bonhomme pouvait bien y faire, jamais il ne sortait un poisson de l’eau. Ses voisins se moquaient de lui tout en prenant bien garde de ne pas se poster là où il jetait son bouchon. Pour tous, il était porteur d'une malédiction !


C'était une époque lointaine où pêcher n'était pas un loisir mais une nécessité alimentaire. C'était aussi un temps où la Loire regorgeait de poissons ; le saumon, l'esturgeon et le brochet étaient les prises du roi, l'alose ne boudait pas notre rivière et les petites espèces permettaient d'assurer l'ordinaire. Chacun y trouvait de quoi satisfaire sa gourmandise.


L'éternel bredouille était montré du doigt. De tous temps, la moindre singularité vous place en marge de la communauté. L’étrange particularité faisait du pauvre homme un paria, un être qu'il convenait d'éviter. Sans famille , sans amis, il était désespérément seul. Pire encore, nulle femme n'aurait envisagé de marier sa destinée à ce porte-poisse, le pestiféré de la rivière.


Il multiplia les tentatives pour changer le cours des choses . Il concocta de curieuses nasses, d'étranges dispositifs pour enfin réussir à piéger les poissons. Rien n'y faisait jamais : il relevait des engins désespérément vides et, pour ajouter à son déshonneur, il se trouvait toujours un gamin, tapi dans un fourré, pour observer le résultat et porter bien vite la mauvaise nouvelle …


Un jour, n'en pouvant plus de ce mauvais sort qui s'acharnait sur lui, il se décida à consulter un sorcier. Dans notre région, on faisait souvent appel aux services d'un jeteur de sort, d'un rebouteux ou d'un barreur de feu. Ces personnages mystérieux avaient plus d'un don dans leur besace et étaient capables de tout.


L'éternel bredouille confia sa peine à l'homme des potions et des rituels. Celui-ci écouta attentivement ce récit qui lui semblait des plus banals. L'envoûtement passe aujourd'hui pour une hérésie des époques obscures ; prenez bien garde cependant de ne pas réveiller les forces occultes en méprisant leur existence ; vous pourriez vous en mordre les doigts !


Le pêcheur stérile avait frappé à la bonne adresse. L'homme avait commerce avec le Diable, il savait quoi faire. Il pratiqua une mystérieuse cérémonie faite d’incantations, de poudres jetées dans le feu, d’amulettes brisées et de transes inquiétantes. Le sorcier mit en garde notre malheureux héros: « Je peux faire de toi un pêcheur redoutable. Mais prends bien conscience que ce mystère pourra à tout moment se retourner contre toi ! »


Le pauvre homme était dans un tel besoin de normalité, qu'il repoussa d'un revers de main la mise en garde. Il n'avait qu'une idée en tête : être comme les autres et se débarrasser de cette fâcheuse particularité qui le mettait au ban de sa communauté. Cesser d’être bredouille c’était pour lui la certitude de trouver enfin une charmante épouse.


Le sorcier lui fit alors boire une tisane au goût amer. La potion était si mauvaise qu'il en eut des haut-le-cœur. Puis, étrangement, rien ne se passa et l'homme rentra chez lui avec le sentiment d'avoir été floué. Le sorcier voyait bien que son visiteur remettait en cause son pouvoir ; il s'en moquait. Lui était certain de son fait ….


Le lendemain, le pêcheur improductif se réveilla comme les autres jours. Rien n'était changé en lui. Il se dit qu'en allant le matin même en bord de Loire, il allait pouvoir constater si le miracle avait lieu. Il s'équipa et partit à cette heure magnifique où la brume flotte à la surface de l'onde. Le soleil pointait timidement au-dessus de ce rideau délicat.



Il s'installa dans un lieu isolé ; en effet, il avait pris l'habitude de fuir les regards et les curiosités mal placées ; bien lui en prit car ce qui se passa alors l'aurait condamné, à coup sûr, au bûcher. Quand il voulut se mettre en action et tendre ses engins, il sentit son corps se transformer comme s'il se contractait, se dissolvait, explosait de l’intérieur. Il perdit connaissance.


Quand il retrouva ses esprits, il survolait la rivière. Il planait si haut qu'il n'en croyait pas ses yeux. Que se passait-il ? Il se sentit soudain fondre sur l'eau. Il piqua, telle une pierre qui tombe d'une falaise, et plongea dans la Loire. Il en ressortit avec un beau brochet entre ses serres. Il était devenu un grand oiseau pêcheur : un magnifique rapace que nul n'avait jamais observé jusque-là.


En quelques voyages, il avait empli sa besace. Le charme pouvant se briser, une nouvelle explosion se fit en lui et il retrouva son aspect humain. Il rentra, fier de lui, désireux de montrer à tous sa pêche miraculeuse. La nouvelle circula dans le pays comme une traînée de poudre ; la foule des curieux se précipita pour voir le prodige.


Passée l'euphorie de ce retour en considération, l'homme découvrit bien vite qu'un autre mystère planait désormais sur lui. Devenu l'objet de nouvelles rumeurs, jalousé par ceux qui, jusqu'à ce jour mystérieux, étaient plus habiles que lui dans l'art de la pêche, il fut encore plus pisté qu'auparavant. Il devait se cacher pour partir à la pêche, chercher des endroits de plus en plus éloignés, de plus en plus secrets.


Il n'en pouvait plus, d'autant que les dames n'avaient toujours pas tourné leurs regards vers lui. Sa vie restait un calvaire. Il s'en retourna voir le sorcier. Il avait été prévenu, lui fit remarquer ce dernier, il devait assumer ce qu'il était désormais impossible de défaire. La seule chose que le magicien pouvait pour lui, c'était de le maintenir définitivement dans son état animal.


Le pauvre homme n'eut pas longtemps à réfléchir. Il prenait un tel plaisir, si haut dans le ciel, qu'il accepta sur le champ et but une nouvelle potion sans se soucier de son amertume. C'est par la fenêtre qu'il quitta définitivement sa vie d'humain et cette masure diabolique. A la vue de tous désormais, un nouvel oiseau planait dans le ciel de Loire.


La chose aurait pu en rester là. Mais le sorcier était un homme négligent et bien peu ordonné. En suivant des yeux le départ de ce bel oiseau, il s'était penché par la fenêtre pour observer son œuvre. Il y avait laissé sa fiole … Une vagabonde passa par là, une pauvre hère sans âge que la vie avait maltraitée. La pauvrette allait par les chemins quémander ou voler sa pitance. Elle vit cette bouteille étrange ; elle avait grand soif et but ce breuvage si amer.

 


 


C'est depuis ce jour que, dans le ciel de Loire, on vit voler un, puis deux rapaces et par la suite, une nombreuse nichée. Les hommes appelèrent cette nouvelle espèce « Balbuzards pêcheurs ». Est-ce parce que les premiers d'entre eux avaient été un temps des humains repoussés de tous ? Toujours est-il que le bel oiseau vole bien haut dans le ciel, qu'il fuit la présence des curieux et qu'il se cache, pour faire son nid, dans la noirceur d'une forêt touffue.


Ces êtres autrefois disgraciés, qu'on les laisse en paix ; ils ont enfin trouvé le bonheur, c'est bien la seule morale de cette histoire ! Celui qui ne trouve pas sa place ici-bas peut toujours espérer trouver sa voie sur d’autres chemins. Il sera peut-être explorateur, charpentier, musicien, sculpteur, cuisinier, peintre ou même conteur. Pitchoune, il n'est pas besoin de consulter un sorcier pour fuir la triste réalité de ce monde matérialiste. Chacun peut trouver son bonheur dans un ailleurs bien meilleur.


Aériennement leur.


 

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