vendredi 6 novembre 2020

L’arbre aux oiseaux


Pour tutoyer les anges




Il était une fois un enfant, Victor qui n’avait pas l’usage de la parole. Ne pensez pas qu’il fut privé de cette faculté qui lui faisait défaut, bien au contraire, il avait acquis la faculté de siffler à merveille, de s’exprimer ainsi en parvenant à se faire comprendre des humains. Mais plus encore, il avait trouvé en lui la capacité de s’entretenir avec les oiseaux qui aimaient tous sa compagnie.


Victor avait un arbre fétiche, un magnifique chêne, vénérable et majestueux, noueux et puissant sous lequel il avait pris l’habitude de converser avec ses amis ailés. Les gens d’alentours respectaient ce rendez-vous, certains se signaient voyant sans doute dans cette étrange confrérie la marque du démon. D’autres tout au contraire, se mettaient à genoux, les mains jointes, persuadés de voir ici la volonté du très grand.


Victor s’amusait de ces deux attitudes qui lui démontraient combien la superstition trouble la pensée. Lui savait qu’il n’y avait nulle magie ni sorcellerie dans son pouvoir, simplement la réalisation d’un long et patient apprentissage. Les oiseaux et lui s’étaient mutuellement apprivoisés, avaient appris à se comprendre et à se faire confiance. Ni Dieu ni Diable dans ce pouvoir, mais simplement l’expression d’un cœur pur.


Nous étions en bord de Loire, du côté de La Charité-sur-Loire là où, jadis, selon la légende, la mère de Jésus en personne vint faire offrande miraculeuse à trois braves moines - dont les terres étaient frappées de stérilité par l’intervention du Malin - simplement en étalant son manteau devant l’autel de l'abbaye. Aussitôt le vêtement se remplit de pièces d’or tandis que Marie allait rendre la vue à un aveugle… C’est ainsi que la cité devint un passage du grand pèlerinage de Saint Jacques.


Victor savait l’histoire mais ne s’en souciait guère. Lui, ne tutoyait pas les anges, du moins le pensait-il, et se contentait des petites bêtes de la création qui volent en toute liberté loin de nos contingences terrestres. Il était heureux ainsi et ne demandait rien de plus que ses longs échanges de trilles mélodieux.


Un jour pourtant le monde de Victor s’écroula. Des bûcherons à la demande d’un charpentier de marine, vinrent abattre le chêne. Il était destiné à devenir un bateau et durant quelques mois, les planches, branches, racines qui avaient été tirées de lui, furent mises à sécher. Victor se lamentait, avait beaucoup pleuré avant que d’inviter ses amis à choisir un autre perchoir, certes beaucoup moins beau mais tout autant plaisant.


Cependant Victor avait désormais une nouvelle curiosité. Il voulait assister à la transformation de son ami l’arbre. Il ne se passait pas un jour sans qu'il rende visite à Sébastien, le charpentier de La Charité. Il le saluait de quelques coups de sifflets brefs et stridents auxquels l’artisan répondait par un roulement de langue à sa manière. Victor se lançait alors dans une petite mélodie interrogative, demandant ainsi à celui qui avait fini par le comprendre, s’il allait bientôt se mettre à l’ouvrage. L’homme répondait d’un long sifflement de dénégation en remuant la tête. Victor s’en allait alors rejoindre les oiseaux, un peu lus loin.


Un jour pourtant le menuisier lui répondit de deux coups brefs et joyeux. Le bois était sec et était venu le temps d’en faire le plus beau et le plus aérien des bateaux. Sébastien était réputé pour construire des fûtreaux légers et étroits, maniables et conçus tout particulièrement pour filer au vent avec grâce et vitesse.


De ce jour, Victor ne cessa d’assister à toutes les étapes de la construction. Lorsque l’artisan avait besoin de son aide, deux petits coups stridents entre ses dents invitaient le garçon à lui donner un coup de main que Victor ne refusait jamais. Bien vite, une incroyable complicité s’établit entre eux. Sébastien et Victor se comprenaient, tout simplement.



Le travail avançait, les différentes étapes de la fabrication confirmaient à chaque fois l'habileté du menuisier et sa capacité à façonner une embarcation conçue pour la navigation à la voile. Victor aimait à caresser le bois, à sentir la douceur des courbes, la solidité des emboîtements pourtant si légers. Chaque jour, en fin de journée, il quittait son ami d’un sifflement admiratif qui flattait toujours le menuisier.


Un jour enfin, le bateau fut prêt. Il fallut quelques jours encore pour lui installer un mât, haut et fin, l’équiper de gréements et lui tailler une grande voile rouge et carrée. Elle semblait de taille disproportionnée pour le fûtreau mais là était la volonté du constructeur, il avait rêvé que son bateau vole littéralement sur le dos de la Loire quand il remonterait son puissant courant au vent. Sébastien avait dans l’idée de vaincre les redoutables tourbillons du pont de La Charité par la seule force du vent.


Victor avait compris qu’il avait devant lui un bateau extraordinaire, un voilier taillé pour faire des miracles. Il siffla une longue conversation à Sébastien. Il avait quelque chose d’important à lui demander, une requête que son ami ne saurait lui refuser. Quand l’autre acquiesça, Victor fut le plus heureux des hommes.


C’est donc lui qui allait avoir l’honneur d’étrenner le beau coursier que son créateur avait baptisé Icare. Ils attendirent un jour de grand vent du nord ouest pour réussir leur projet, passer sous le pont de La Charité sans l’aide des Gobeux ni d’aucune autre énergie que celle du vent. Une folie qui les aurait fait passer pour des déments si les mariniers en avaient été informés.


Victor embarqua. Il était calme, certain de son succès. Il mit son Icare le nez face au courant, hissa la voile et l'étarqua solidement. Il fit quelques réglages sur les boulines, glissa ses écoutes dans les taquets. Icare réagissait à merveille, il remontait les flots avec aisance et vitesse quand le garçon se mit à siffler de toutes ses forces. Des rives, tous les oiseaux vinrent se poser sur le bateau qui sur la vergue, qui sur le mât, d’autres sur les écoutes ou bien les bordées.


L’enfant était métamorphosé, il riait aux éclats quand tous ses amis déployèrent leurs ailes qu'ils agitèrent frénétiquement. Le bateau ne glissait plus sur la Loire, il prenait de la hauteur, il s’envola véritablement et franchit le pont non pas sous les arches mais au-dessus du tablier. Puis, il prit de la hauteur et disparut dans le ciel. Jamais on ne revit Victor et Icare, ils avaient quitté la Terre. Nous étions le jour de la fête de la Purification et les esprits crédules virent la main de Marie dans ce qu’ils qualifièrent de miracle.


Cette histoire resta confidentielle. Il n’était pas question de raconter pareille chose au risque de passer pour un affabulateur. Il se confia de bouche à oreilles dans le secret des veillées nivernaises et berrichonnes quand quelques « causeux » venaient distraire la compagnie. Puis les années passèrent et beaucoup oublièrent l’aventure de Victor.


Quand en 1929, il fut décidé au ministère de la Marine d’installer à La Charité-sur-Loire une base d’hydravions sur la rivière canalisée par un duit, personne ne fut outre mesure surpris. Dans les esprits des gens du pays, la relation avec le miracle de Victor était évidente et chacun se garda d’évoquer à nouveau cette légende.


Voilà, le secret désormais est éventé. Vous pouvez ne pas me croire, c’est votre liberté. Prenez bien garde cependant à ne pas vous mettre à siffler sur un fûtreau construit pas Seb et Bibi si vous lancez la grand-voile. Vous pourriez tutoyer les anges …


Aériennement leur.


 

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