samedi 10 décembre 2022

Le Bogatyr d'Ukraine

 

Kotyhorochko




L'histoire de Kotyhorochko mérite de vous être racontée. Ce charmant petit ukrainien a d'ailleurs commencé son existence d'une fort curieuse manière qui échappe à toute rationalité. Je devine que les cartésiens, les pisse-vinaigres et autre empêcheur de rêver en paix n'accorderont aucune crédibilité à ce récit qui pourtant porte en lui toutes les raisons d'espérer.


Lors d'une période trouble et belliqueuse de cette belle nation slave, la mère de Kotyhorochko avait trouvé refuge dans un abri souterrain. Les pauvres gens n'ont souvent que ce recours ou la fuite désespérée quand surgissent les menaces. La pauvre femme n'avait rien mangé depuis quelques jours, la faim est hélas souvent une arme qu'utilisent les envahisseurs. C'est alors qu'elle découvrit dans un recoin de son habitacle un petit pois, oublié là, on se demande pourquoi.


La malheureuse se contenta de ce maigre festin. Elle avala tout rond et goulument le petit pois, sans même prendre le temps de le mastiquer. C'est sans doute de sa précipitation que le cours de l'histoire prit un étonnant virage, une inflexion qui nous fait basculer dans l'épopée ou la légende.


Il n'est pas possible de prétendre que le petit pois lui resta sur l'estomac. Bien au contraire il poursuivit son chemin en dépit des lois de la morphologie pour aller se nicher dans un merveilleux réceptacle dans lequel se déroula la plus extraordinaire métamorphose que ce beau pays connut de toute son histoire …


La femme éprouva de curieuses sensations, les signes d'un enfantement à venir qui la laissait parfaitement dubitative. Son pauvre époux était parti depuis trop longtemps pour repousser les hordes guerrières qui voulaient envahir la nation. Elle était morte d'inquiétude à son propos et voilà que les signes d'une grossesse mystérieuse allaient la mettre dans l'embarras si jamais son époux rentrait un jour.


Elle n'eut d'ailleurs pas longtemps à se soucier de tous ces détails hors de propos. En elle, de minute en minute, s'effectuait une gestation comme jamais nulle femme n'en connut jusqu'alors. Son ventre grossissait à vue d'œil et avant qu'elle n'ait le temps de prendre véritable conscience de ce qui se passait réellement elle enfanta d'un petit bonhomme tout rond, déjà plein de vigueur et capable de parler.


Kotyhorochko venait de naître peu de temps après avoir été ingéré. Il s'adressa à sa génitrice avec une détermination qui ne supposait aucune contradiction : « Ma chère maman, je suis heureux que vous m'ayez mis au monde si promptement. Il ne faut pas se le cacher, la situation de notre pays est dramatique et je compte me mettre en marche immédiatement pour aller secourir mon cher père et tous les habitants de l'Ukraine »


La femme n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles, Kotyhorochko le temps de lui tenir ce discours était déjà un fort jeune homme, robuste et déterminé, revêtu par magie de la tenue des bogatyrs. Juché sur un cheval, lui aussi apparu comme par enchantement, vêtu d'une armure et des armes des preux chevaliers, il laissa la femme pour s'en aller reconquérir son monde.


Quand notre bogatyr sortit de l'abri, les rares personnes qu'il croisa dans une ville dévastée lui parlèrent d'un animal féroce qui détruisait tout sur son passage, un dragon immonde recouvert d'écailles blindées qui crachait le feu et la désolation sur son passage. Sans plus attendre, d'un coup d'éperon Kotyhorochko demanda à son destrier d'aller au-devant de cette bête abominable.

Avec sa seule lance, il se présenta face au monstre. La créature infernale eut un instant d'hésitation, un imperceptible mouvement de recul qui lui fut fatal. Alors que le chevalier avait stoppé la progression du dragon, de courageuses personnes sortirent de leur cache pour envoyer sur l'animal maléfique des calebasses remplies d'une huile bouillante et enflammée. Le monstre périt sous les flammes qu'il semait devant lui.


Fort de ce premier succès, notre ami se remit en route car de nouvelles menaces toutes plus redoutables les unes que les autres, lui étaient rapportées par une population aux abois, certes, mais qui refusait obstinément de baisser la garde. C'est ainsi qu'on lui dit qu'un gigantesque ours des Carpates écrasait comme fœtus de paille ceux qui s'opposaient à lui.


Son cheval huma l'air et immédiatement comprit dans quelle direction porter ses sabots. Nous avions là un équipage mu par une prémonition aiguë. En moins de temps qu'il ne faut pour l 'écrire, Kotyhorochko et sa mirifique monture se trouvèrent face à l'animal. L'ours était plus effrayant encore que le dragon. Il avait goûté la chair humaine, ce qui l'avait rendu assoiffé de sang. Ses yeux révulsés et injectés de haine terrorisaient les malheureux qui tombaient sous la puissance de son regard. Véritablement paralysés, ceux et celles qui étaient devenus des proies succombaient sans coup férir.


Le chevalier comprit que le monstre usait d'une arme essentiellement psychologique. Il abaissa son heaume afin de ne pas tomber sous les rayons ardents de son adversaire. Il fit virevolter sa masse d'arme : une massue de sept pounds qu'il avait forgé dans une tête d'épingle. Il la fit tournoyer au-dessus de sa tête sans que ce geste ne trouble nullement le terrifiant ours, persuadé qu'il avait la maîtrise de l'espace aérien. Ce fut son erreur fatale et le coup qu'asséna notre héros, fracassa un crâne qui sonna le creux. Une nouvelle menace venait d'être écartée.

Kotyhorochko avait remporté une bataille mais pas encore la guerre. Il fut averti de la présence d’innombrables oiseaux dans le ciel, des charognards qui fondaient sur les civils sans la moindre intention stratégique si ce n'est semer la terreur, l'effroi et une mort aveugle. Cette fois, le chevalier se trouvait démuni devant pareil danger aussi sournois que multiple.


Il mit un pied à terre pour examiner plus avant le problème qu'il pensait insoluble quand le génie du vent vint vers lui. Il avait admiré la détermination et le panache du garçon, il entendait se mettre à son service : « Brave Kotyhorochko, laissez-moi jeter un ouragan sur ces oiseaux de malheur. Ils resteront à terre et tu pourras les éliminer un à un ! »


Ce fut ainsi que grâce à la collaboration de la kossava, un vent qui s'engouffra dans les portes de fer avec une violence jamais atteinte jusque-là, le chevalier, méticuleusement, minutieusement, patiemment tua tous ces oiseaux de malheur. La voie aérienne était libre, c'est du moins ce qu'il pensait quand venue de l'ouest, une troupe de pygargues à tête blanche voulurent profiter de la victoire à l'Est pour imposer une nouvelle hégémonie sur la pauvre Ukraine.


Notre valeureux Kotyhorochko qui pensait être au bout de ses peines et des malheurs de sa nation accusa un temps ce coup du sort, cette trahison de ceux qu'il pensait être les amis d'Ukraine. C'est alors qu'un griffon vint à son secours lui conseillant d'aller quérir les trois géants légendaires : Vernyhora, Vernydoub et Kroutyvou. Ne comptant ainsi que sur eux-mêmes, le quarteron se lança à l'assaut des rapaces aux doigts crochus qui fondaient sur l'Ukraine sous un ciel étoilé.


« Tourne-Montagne », « Tourne-Chêne » et « Tourne-Moustache » les trois géants et « Roule-Petit-Pois » notre valeureux Kotyhorochko, car telles sont les traductions de leurs noms, repoussèrent l'attaque sournoise de ceux qui attendaient que la première invasion fût repoussée pour s'implanter dans une nation exsangue.


La bataille fut plus féroce et insidieuse que la précédente. L'aigle ne lâche pas aisément sa proie mais nos héros avaient la morale de leur côté. Ils finirent par libérer l'Ukraine de toutes les menaces et la décrétèrent à jamais indépendante.


C'est ainsi que s'achève la légende. En espérant que l'actualité s'incline devant ce qui a été prédit depuis toute éternité. De par tout le pays se lèvent d’innombrables Kotyhorochko Vernyhora, Vernydoub et Kroutyvou qui sont portés par la force inaliénable des traditions ancestrales.


À contre-temps.


 

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